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21 - Oyez jeunesse !

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Parutions

Le Temps des médias n°21, Hiver 2013/2014, p. 213-226.

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Frédéric Clavert et Serge Noiret (dir.), L’histoire contemporaine à l’ère numérique, Peter Lang, Bruxelles, 2013, 381 p.
Digital humanities, digital history... ce livre nous fait pénétrer les coulisses de ces champs, méthodes, outils, infrastructures qui, depuis plusieurs années, contribuent à modifier le rapport des historiens, ou au moins d’une partie d’entre eux, à leurs objets, leurs pratiques de recherche, de collecte, de préservation des sources, d’écriture de l’histoire, et/ou encore de communication scientifique et de valorisation de leurs travaux.
Organisés en quatre grandes parties, ces actes tirés d’un colloque qui s’est tenu en 2009 au Luxembourg abordent, sous la direction de Frédéric Clavert et Serge Noiret, au travers d’une vingtaine de contributions, les enjeux, ruptures (et parfois continuités) auxquels le numérique confronte les historiens contemporanéistes et ce en quatre temps : dans la première partie, Marin Dacos et Gino Roncaglia engagent la réflexion sur les cyberinfrastructures en sciences humaines et sociales, l’accès ouvert, les outils du « Web 2.0 », ou encore la possible recomposition du métier d’historien autour de la notion de travail collaboratif, sans omettre de porter un regard critique sur les réalisations, les chantiers engagés et les obstacles à surmonter (nécessité de formation, de dialogue ingénierie/recherche, etc.). Ces papiers sensibilisent à une réflexion sur les reconfigurations potentielles induites par ces outils, que la seconde partie, « Ressources et outils » et la troisième « Méthodes et écritures » aident ensuite à appréhender par des études de cas concrètes (par exemple « Organisation et exploitation des archives du Parlement européen dans un environnement électronique » d’Andreas Bagias ou « La diffusion des produits de la recherche historique à l’ère du Web 2.0. Une étude de cas » de Philippe Rygiel), des descriptions d’activités de recherches et des papiers plus théoriques. Plateformes collaboratives, numérisation de matériel historique et de collections, enrichissement des sources par des métadonnées, réalisation et usages de bases de données prosopographiques, valorisation des résultats de la recherche sous des formes numériques inédites, l’ampleur et la diversité des approches et cas proposés donnent un aperçu des expérimentations, projets en déploiement ou aboutis et expériences en cours sur des sources (photographiques, fonds institutionnels…) et des thématiques variées. Ils permettent également de se faire une idée de quelques réseaux de chercheurs et centres investis dans ces initiatives. La quatrième partie, enfin, à travers le chapeau « Environnements numériques », élargit la réflexion aux pratiques muséales, pédagogiques, aux outils de médiation.
En filigrane de ce copieux ouvrage se dessinent des questions qui dépassent les seuls historiens : les rapports aux savoirs et aux autorités académiques et scientifiques, à la technique, les enjeux politiques, juridiques, sociaux et économiques sous-tendus par le « tournant numérique » mis en avant par l’ouvrage. Que l’on adhère ou pas à l’idée selon laquelle la « révolution numérique » ouvre un nouvel âge de la science et de la communication et des changements radicaux dans les humanités et sciences sociales (p. 20), que l’on soit sceptique ou enthousiaste face à la nécessité de créer et revendiquer l’existence d’un champ spécifique au sein des humanités digitales que serait « l’histoire numérique » (Digital History), le livre fournit les bases nécessaires à une entrée dans ces problématiques. Celles-ci dépassent largement la communauté des contemporanéistes et interrogent profondément tous les historiens. Elles engagent à une réflexion critique sur la fabrique « numérique » de l’histoire et les évolutions du métier d’historien, d’enseignant-chercheur ou d’archiviste à l’heure du numérique et sur le rapport plus général de nos sociétés à l’histoire. Les défis épistémologiques et méthodologiques sont certains. L’ouvrage remplit son double objectif de support d’initiation à cette thématique d’une part et de partage d’expériences et d’outil d’approfondissement méthodologique d’autre part, et nous convainc que cette vaste réflexion ne peut être laissée à une frange pionnière de digital historians, mais doit impliquer tous les historiens.

Valérie Schafer

Guillaume Garcia, La Cause des « sans ». Sans-papiers, sans-logis, sans-emploi à l’épreuve des médias, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Res Publica », 2013, 285 p.
Ce livre se penche sur l’engouement des journaux télévisés français pour certaines mobilisations de « sans » – sans-papiers, sans logement, sans travail – au cours des années quatre-vingt-dix. Son auteur questionne ainsi le « paradigme critique » des analystes anglo-saxons de la médiatisation des mouvements sociaux, pour qui les médias sont « les instruments de la classe dirigeante ». La « cause des Sans » serait-elle une exception à cette règle ? En médiatisant ces mouvements de défense du Lumpenproletariat, les journalistes n’ont-ils pas montré leur autonomie vis-à-vis des puissants ?
L’ouvrage débute par un premier constat historique : les débuts des mouvements de « sans » se font dans l’indifférence médiatique. Sans interlocuteurs, sans levier pour peser sur la définition de leurs causes, les « sans » sont dépourvus de relais. Les journalistes qui s’intéressent aux « nouveaux pauvres » ou aux sans-papiers les ignorent, et préfèrent interviewer les responsables des associations gestionnaires (l’ADIE, Emmaüs ou la Cimade). Les choses changent lorsqu’à partir de 1994, les mouvements de « Sans » font l’ouverture des journaux télévisés. Que s’est-il passé ? Guillaume Garcia relève qu’au début des années 1990, ces associations vont se mettre au diapason de la demande journalistique : ils recrutent des people, jouent la carte de l’expertise et de l’indignation, nouent des contacts politiques. Ce qui permet aux « sans » de s’installer sur la scène médiatique, à l’occasion du mouvement de la Rue du Dragon de l’hiver 1994-1995, ou du mouvement des sans-papiers de 1996, ou encore de la campagne pétitionnaire contre la loi Debré de 1997 ou du mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998.
L’auteur s’interroge ensuite sur les effets de ces rencontres entre ces collectifs et les journalistes des rubriques « société » : ont-elles changé le « cadre » d’analyse des problèmes que vivent les « sans » ? Sa réponse est mitigée. À partir d’un corpus composé de centaines de reportages, Guillaume Garcia répertorie cinq façons récurrentes de traiter les problèmes des « sans ». Les journalistes de TF1 et de France 2 mobilisent un peu toujours la même grammaire : la cause des « sans », c’est tantôt une affaire de droits individuels, tantôt une question de solidarité avec les exclus ; parfois, leur action soulève la question du maintien de l’ordre, parfois elle met au contraire à l’agenda l’urgence humanitaire ; enfin, le spectre de la lutte des classes hante certains reportages.
Les actions du DAL, d’AC !, ou encore des collectifs de sans-papiers tirent-elles les journalistes vers des cadres favorables à leurs causes ? Oui, dans un certain sens. La couverture télévisuelle des collectifs de « sans » conduit à un traitement de leurs causes moins individualisant, moins sécuritaire, plus axé sur la prise de conscience d’un problème collectif. Comme le rappelle ce livre, ces épisodes sont bien le moment d’une « Ã©mergence de fenêtres d’opportunités offrant à des acteurs sociaux outsiders l’occasion d’agir momentanément sur les termes de la définition médiatique des problèmes considérés » (p.128). D’un autre côté, le combat n’est qu’à moitié gagné. Même s’ils élargissent la focale journalistique, ces actions ne conduisent pas les journalistes de ces grandes chaînes à poser des questions radicales. Plus sagement, les reportages se contentent de pointer gentiment l’inaction de l’État, « plus petit dénominateur commun » entre journalistes et personnels associatifs. L’ouvrage s’achève sur un appel à prolonger cette analyse sur les mobilisations plus récentes, égrenant les récents succès médiatiques des Enfants de Don Quichotte et de Jeudi Noir : « tout n’est pas joué ou perdu d’avance sur ce plan pour les groupes protestataires » (p.225). Les mouvements de protestation actuels, relatifs aux politiques d’austérité budgétaire de nombreux pays d’Europe, nous attendent à la sortie de ce livre pour en soupeser l’urgence, et en prolonger la réflexion.
Parfois aride, toujours sérieux, La Cause des « Sans » est un solide jalon de la sociologie française des médias.

Gaël Villeneuve

Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Eve Thérenty et Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du journal, histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Nouveau Monde Éditions, 1762 p., 39 €
La « civilisation du journal » : le bonheur de la formule a déjà fait du titre de cette somme monumentale une expression consacrée dans les milieux spécialisés, et ce, dès avant la parution de l’ouvrage, en chantier depuis plusieurs années.
Les objectifs étaient pluriels. En préambule, identifions-en un premier : compléter, approfondir la déjà datée Histoire de la presse française [1], socle indispensable aux études médiatiques, mais qui ne s’était pas souciée d’aborder les pratiques de l’objet journal (lectures, réceptions), ni la périodisation, ni les problèmes posés par la respiration de la presse face aux turbulences de la vie politique. L’ouvrage s’attaque également à l’épineuse question de la typologie nécessaire pour historiciser la complexité redoutable de ce que l’on définit a posteriori comme « grande » ou « petite » presse, revue, feuille satirique différente de l’humoristique, etc.
L’intention était de faire une « histoire culturelle et littéraire » de la presse. Disons-le tout de suite, nous n’avons pas très bien compris en quoi le littéraire était censé se distinguer du culturel qui semble avoir vocation à l’absorber, de même que d’autres déclinaisons thématiques d’un genre hybride par essence. Oublions donc vite ce sous-titre fort connoté de prés carrés pour saluer, au contraire, l’ambition et la totale réussite d’une authentique approche interdisciplinaire, encore que l’on puisse regretter l’absence de philosophes ou de juristes aux côtés des historiens, des littéraires, des historiens de l’art, des spécialistes de communication ou de sciences politiques.
Une histoire culturelle de la presse donc, qui prétend restituer les horizons d’attente du lectorat des journaux en restant au plus près de la réalité matérielle et textuelle de l’imprimé, éclaircir la sociabilité d’un monde profus et confus en prolongement de l’approche professionnalisante autrefois entreprise par Christian Delporte. La Civilisation du journal entremêle avec bonheur les silhouettes imaginaires des Bixiou, Georges Leroy ou autres Frédéric Moreau avec d’authentiques figures essentielles, aujourd’hui négligées, comme Francisque Sarcey ou Nestor Roqueplan.
La diffusion n’est pas oubliée, de même qu’une possible identification de groupes sociaux ou politiques par leur consommation médiatique, pour reprendre une idée théorisée autrefois par André-Jean Tudesq et développée ici selon deux approches, identité de classe et identité de genre. « Le journal n’est pas considéré comme un simple support de l’opinion, écrit Pierre Karila-Cohen, mais comme le lieu essentiel de sa formation », l’auteur expliquant en quelques pages particulièrement éclairantes le passage de l’opinion publique à l’opinion commune, selon une idée chère à Dominique Kalifa, l’un des maîtres d’œuvre de cet ensemble.
Les différentes entrées sont nécessairement courtes, entre huit et vingt pages en moyenne, pour un ensemble qui s’impose comme une synthèse au sens le plus noble du terme. Synthèse d’ouvrages déjà existants comme les articles de Gilles Feyel, Marc Martin ou Alain Vaillant qui livrent ici une extraction lumineuse de leurs travaux passés ; synthèse d’une multitude de thèses déjà soutenues mettant en synergie les approches monographiques de différents types de journaux. Certains articles combinent les travaux d’universitaires de générations différentes, comme cette approche conjointe de la diffusion de presse par Gilles Feyel et Benoît Lenoble, ce qui permet à ce dernier de compléter la matière de son aîné par ses récents apports sur la culture du « réclamisme ». Publicité invasive, contaminant l’espace public jusqu’à ses moindres recoins, information à outrance également avec le succès des agences de presse.
Plusieurs livres coexistent en un seul : la matière journalistique est analysée par genre (article de tête, de fond, chronique, reportage, interview, carnet mondain, etc.) ou selon une « poétique de l’écriture de presse » qui égrène différentes formes rédactionnelles : écrire pour informer (Adeline Wrona), pour instruire (Claire Barel-Moisan), pour divertir (Boris Lyon-Caen) et l’on en passe, faute de place. Polymorphe, le périodique devient un agent d’homogénéisation du corps social et joue successivement un rôle subversif envers le pouvoir monarchique, puis édificateur d’une culture républicaine.
Par leur richesse, ces 1700 pages fonctionnent comme un gigantesque colloque au sein duquel les apports se répondent et se complètent. Ainsi, l’étude fouillée de Vincent Robert sur la censure jusqu’à la loi de 1881 se trouve continuée dans d’autres notices par des mentions aux procès de presse des années 1890-1900. Le travail de Fabrice Erre et Bertrand Tillier trouve son prolongement chez Emmanuel Pernoud pour qui « se dessine l’utopie d’une presse illustrée d’extraction artistique conçue, sinon par les artistes eux-mêmes, du moins comme un objet d’art ».
Pour une fois, en effet, l’image n’est pas oubliée malgré une iconographie assez terne, quasi-obligation du format adopté. La Civilisation du journal permet alors de mesurer les avancées de la recherche sur l’image de presse, qu’il s’agisse des couvertures fait-diversières décryptées par Anne-Claude Ambroise-Rendu, ou des premières photographies mises au service de l’information étudiées par Thierry Gervais. Ce dernier aborde aussi la question décisive du bouleversement des rythmes de lecture par la montée des motifs clichés et de « l’instantanéité des images qui retient l’acmé d’une actualité ». Complexification des genres, pulsion scopique, modernisation des procédés de fabrication, intensification de la diffusion : la presse satirique incarne à la perfection la place nouvelle du journal dans la culture de masse de la fin du xixe siècle.
Un tel ensemble contient forcément quelques scories ou redondances sur lesquelles il ne convient pas de s’appesantir : Le Chat noir n’est en rien un « modèle » de la presse satirique puisque catalogué à l’époque comme appartenant au genre très spécifique de la « presse de cabaret ». Les Hydropathes d’Émile Goudeau et leurs petits milliers (centaines ?) d’exemplaires n’ont que fort peu à voir avec la force de frappe du Rire de Juven et ses centaines de milliers de numéros. Le Courrier français, « magazine illustré de 1889 » à faible tirage pour Jean-Pierre Bacot, devient un « bel espace de réclame » né en 1884 pour Bertrand Tillier. Ces trois détails anecdotiques pris dans le seul domaine du genre satirique montrent que l’enjeu de la typologie est loin d’être épuisé. De même, le problème spécifique du recyclage des imprimés obsolètes ou celui des collections de presse auraient peut-être mérité une étude à part entière.
Plus contestables, les quelques notices biographiques proposées au lecteur dans la troisième partie, sur plus de 200 pages, constituent des « figures » censées être centrales au sein de l’écart chronologique balayé. Or, des écrivains fameux comme Barbey d’Aurevilly sont assez curieusement préférés à des personnalités majeures de la presse du moment comme Charles Chincholle, Jules Clarétie ou Catulle Mendès par exemple… Pourquoi Jules Lemaître et non Édouard Drumont ? Pourquoi Octave Mirbeau et non Laurent Tailhade ? Pourquoi Alphonse Allais et non Jules Roques ? L’absence du moindre critère de sélection tranche sur ce point précis avec la rigueur scientifique draconienne de l’ouvrage, qui parvient à mettre en intelligence scientifique une multitude d’aspects explorés jusqu’ici de façon éclatée.
La somme est à ce point considérable que les critiques qu’elle suscite participent pleinement de son caractère fondateur, en ce qu’elle révolutionne fondamentalement toutes les études en matière de presse. Par son ampleur comme par sa qualité, il faut saluer la publication d’un chantier à ce point gigantesque, tout comme l’ambition et l’obstination de ceux qui l’ont conduit à son terme.

Laurent Bihl

Benoît Lafon, Histoire de la télévision régionale. De la RTF à la 3, 1950-2012, Bry-sur-Marne, Ina Éditions, 2012, 312 p.
Alors que seules Télé Lille et Télé Marseille avaient fait l’objet de monographies, Benoît Lafon propose dans cet ouvrage la première histoire générale de la télévision régionale française. Cette dernière présente l’originalité de ne pas avoir été mise en place comme une télévision régionale de plein exercice, puisqu’elle fonctionne en réalité sur le principe de « décrochages » – limités – par rapport au programme national. Les deux premières parties présentent, de manière chronologique, une histoire institutionnelle (l’ouvrage est issu d’une thèse en Sciences politiques) articulée autour du pivot de 1972, date de création de la troisième chaîne. La troisième partie montre la diversité et l’abondance méconnue des programmes produits grâce à la politique d’innovation défendue par la trois.
La décentralisation de la diffusion télévisuelle apparaît, après la Libération, comme un enjeu d’aménagement du territoire. La télévision, en effet, est conçue comme un instrument d’intégration du territoire et de l’État-nation : elle relaie l’action du gouvernement dans les provinces, prolongeant ainsi une vision héritée de l’administration d’Ancien Régime. Ce contexte politique marque (et, en fait, entrave) pour longtemps son histoire : il ne s’agit pas, en développant des programmes régionaux, de produire une diversité de points de vue et il n’est pas davantage question de remettre en cause la centralisation des ressources et instances décisionnaires.
Dans un premier temps, la préoccupation des ingénieurs et de couvrir le territoire. Benoît Lafon rappelle les étapes de création des émetteurs régionaux – dont la mise en place reçoit l’appui des élus locaux mais suscite l’inquiétude de la PQR, qui craint la concurrence. L’insuffisance des moyens attribués aux télévisions régionales apparaît pourtant comme un problème récurrent : ainsi, les téléspectateurs du Sud Ouest reçoivent alternativement les programmes de Toulouse et Bordeaux, qui doivent se partager un seul émetteur, jusqu’en 1963. Cette même année, le ministre gaulliste de l’Information, Alain Peyrefitte, lance en grande pompe la régionalisation de la RTF. Benoît Lafon en expose les limites (le champ de la production régionale est restreint à l’information et les rédactions sont étroitement contrôlées par le gouvernement). Mais il rappelle qu’à cette époque, les régions sont elles-mêmes en gestation : la mise en place des centres d’actualités régionales (CAT) a bel et bien accompagné celle des circonscriptions d’action régionale (CAR). Ainsi, la télévision apparaît comme une administration productrice de territoires.
Après 1972, la création d’une troisième chaîne dite régionale n’entraîne pas de modification structurelle, même si elle se traduit par une augmentation des moyens alloués à la production de programmes. Ni l’éclatement de l’ORTF en 1974, ni la décentralisation politique, en 1982, ne permettront une véritable décentralisation des structures télévisuelles. Depuis le début des années 1980, enfin, d’autres considérations ont pris progressivement le dessus : dans une logique de rationalité économique favorisée par l’arrivée de la publicité, FR3 s’oriente vers la recherche d’audience. La présidence commune de France Télévisions contribue à affaiblir encore la composante régionale et la production propre des stations : désormais, c’est le problème des coûts énormes liés à l’importance du personnel en régions qui est invoqué. La situation actuelle offre un bilan en demi-teinte de cette longue histoire : s’il n’existe pas de véritables télévisions régionales fortes, l’audience et la notoriété des décrochages d’information, désormais locaux, témoignent d’un attachement réel des téléspectateurs à cette télévision.
La dernière partie, consacrée aux programmes de la troisième chaîne, présente les approches les plus novatrices de l’ouvrage. L’auteur y développe d’intéressantes réflexions sur la définition d’un programme « régional », dans un pays où l’on hésite à mettre en avant les spécificités culturelles locales, le plus souvent réduites au folklore. Si la régionalisation est inachevée, l’échelon infranational est bien pris en charge de diverses manières à la télévision, et d’abord par les éditions locales du JT – le célèbre 19/20, créé en 1986. L’auteur évoque aussi le succès des chaînes périphériques dans le Nord et l’Est de la France, dont le rôle en tant que chaînes régionales est peu connu. Les magazines en langues locales sont décrits comme un symbole fort, mais un élément quantitativement mineur, de la programmation de France 3. Conformément à son cahier des charges, en effet, la chaîne cherche à intégrer le régional dans sa programmation nationale. Ainsi, à l’heure actuelle, la dimension locale des programmes tend à se dissoudre de plus en plus au profit des notions de proximité, de création de lien social (dans des fictions comme Plus belle la vie), ou encore de mise en valeur du patrimoine (le « journalisme de découverte » de Des Racines et des Ailes, p. 266).
Le cÅ“ur de cette partie reste, cependant, consacré à l’étude des JT régionaux et à la remise en cause de certaines idées reçues à leur sujet. Malgré le poids des contraintes techniques et économiques, l’étude de leurs dispositifs montre que les journaux régionaux ont joué un rôle précurseur par l’importance accordée au générique et à « l’habillage ». En outre, l’analyse exhaustive de l’information politique diffusée en Midi-Pyrénées de 1963 à 1995 (7380 reportages) nourrit un tableau nuancé de la médiatisation de la politique et des acteurs locaux. À l’encontre de la réputation de soumission et d’instrumentalisation du JT par les notables régionaux, Benoît Lafon montre la diversité des registres de médiatisation et des acteurs politiques mis en lumière.
Cet ouvrage synthétique parvient à évoquer les nombreuses dimensions d’un sujet aussi riche que peu étudié (la mise en place de la télévision d’outre-mer n’est pas oubliée), et l’on espère qu’il sera prolongé par d’autres monographies mettant en avant la spécificité des diverses stations régionales, ou encore la réception de leurs programmes. Ainsi, comme le veut l’auteur, la télévision apparaîtra enfin, aux côtés de la presse et de la radio, dans sa dimension infranationale.

Géraldine Poels

Christian Le Bart, La Politique en librairie. Les stratégies de publication des professionnels de la politique, Paris, Armand Colin, coll. Recherches, 2013, 292 p.
À l’heure où les médias ne cessent de nous parler des spin doctors qui feraient et déferaient l’opinion à l’aide de sondages, de buzz et de médias sociaux, la publication politique semble des plus désuètes. Et pourtant, le succès (auprès des politiques) de ce mode de communication ne s’est jamais démenti. Face au florilège d’ouvrages écrits par des hommes politiques, on ne peut que s’étonner du manque d’étude scientifique sur ce sujet. C’est ce déficit que l’ouvrage de Christian Le Bart entend combler.
S’appuyant sur un corpus de 210 ouvrages écrits par des hommes et femmes politiques depuis le début de la Ve République, compilé de manière artisanale, l’auteur brosse un tableau éclairant des stratégies de publication. Il en distingue treize en particulier : exister dans le champ politique, s’imposer au sein d’une formation politique, contester au sein d’une formation politique, s’imposer comme leader d’une formation politique candidat aux plus hautes fonctions politiques, s’imposer comme entrepreneur politique individuel, justifier l’action gouvernementale que l’on conduit, se justifier après la défaite, sauver la face après une mise en accusation personnelle, témoigner sur le monde politique, prendre de la hauteur, rendre hommage à une grande figure de la vie politique, assurer sa place dans l’histoire, et enfin les textes posthumes.
Loin d’une analyse atemporelle des stratégies, l’auteur restitue ici les évolutions chronologiques de ces publications. Le livre s’ouvre même sur une impressionnante fresque historique des rapports entre littérature et politique, permettant ainsi de montrer les rapports étroits entre ces deux mondes, en dépit de la séparation contemporaine que la division du travail social engendre. Surtout il montre l’influence fondamentale que jouèrent deux modèles dans ce qui est devenu un passage obligé pour tout aspirant à la fonction suprême. Le plus important est bien entendu le général de Gaulle, dont l’auteur montre l’usage de ses Mémoires dans la reconquête du pouvoir et dans la construction d’une image politique singulière. Le second modèle est François Mitterrand, qui s’est véritablement installé dans la posture d’homme politique-écrivain. Mais bien loin d’un privilège réservé uniquement aux présidentiables, l’auteur souligne la banalisation de ce genre désormais outil essentiel pour les « petits entrepreneurs politiques individualisés, ceux qui utiliseront prioritairement ce média pour entretenir leur notoriété (…) et à qui le rapport de force au sein du champ politique est pourtant défavorable [2]. »
Il met également en valeur les différents genres de livres écrits par les politiques allant des Mémoires, au livre-programme, en passant par la biographie historique, le roman, et même la poésie. Il souligne ainsi que même les genres en apparence les plus éloignés du politique ont finalement une visée, une conclusion, et une ambition politique.
En outre, l’auteur n’omet aucun élément du livre, couvertures, quatrième de couverture, et même les dédicaces étant méthodiquement étudiées. Il décortique ainsi avec brio les modes de présentation de soi, visant de plus en plus à réajuster une image personnelle en mettant en scène ses goûts et sa vie privée, là où la personne s’effaçait autrefois derrière la fonction.
Son étude de la réception par les journalistes de ces ouvrages s’avère très éclairante des pratiques journalistiques contemporaines soucieuses de dévoilement des stratégies politiques et des ambitions. Mais par ce biais de la publication, l’auteur éclaire plus globalement les mutations de la communication politique depuis une cinquantaine d’années mettant notamment en lumière l’individualisation et la personnalisation croissantes de la part des professionnels de la politique, ainsi que l’affaiblissement des structures partisanes.
D’un point de vue technique, on regrettera néanmoins que l’ouvrage n’offre pas un index qui eut été salvateur pour le chercheur en quête de réflexions sur un auteur particulier, d’autant que les hommes politiques étudiés sont ici très nombreux.
Mais surtout cette étude avant tout qualitative s’enrichirait d’une approche plus quantitative, notamment de lexicographie, de ce corpus, permettant ainsi de mettre en valeur la récurrence des termes ou au contraire les différences de lexique entre auteurs et entre courants politiques. En outre, une dose de comparatisme aurait été bienvenue. Il eut été intéressant de souligner les caractéristiques propres du média « livre » face aux autres modes de communication, ainsi que de comparer le corpus français ici étudié avec les ouvrages politiques d’autres pays, éléments qui ne sont qu’esquissés dans le livre. L’ouvrage de Christian Le Bart ouvre donc avec talent de nouvelles perspectives, à charge aux jeunes chercheurs de les prendre en main.

Pierre-Emmanuel Guigo

Erik Neveu, Les Mots de la communication politique, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 2012, 128 p.
La qualité d’un ouvrage ne se résume pas au nombre de ses pages. C’est sans doute un adage que l’on pourrait tirer de l’ouvrage d’Erik Neveu, Les mots de la communication politique. Cette collection, Les mots de… éditée par les Presses Universitaires du Mirail sous la direction de Marlène Coulomb-Gully vise à vulgariser des concepts et à donner des définitions des termes les plus courants dans un certain nombre de secteurs de la recherche (les élections, les entreprises, les Etats-Unis pour n’évoquer que les plus récents). Mais dans le cas de la communication politique, la tâche n’avait rien de simple, tant la recherche est dispersée entre diverses disciplines (sociologie, histoire, science politique, sémiologie, rhétorique, etc.) et entre diverses tendances épistémologiques. L’auteur fait ici une brillante synthèse de ces divers courants. En faisant appel à l’histoire et à l’anthropologie, il nous rappelle que la communication est consubstantielle à la politique et que, plutôt que d’étudier la communication politique moderne sous l’angle d’une révolution, il faut nous demander « pourquoi le mot communication n’est devenu que depuis les années 1980 une des clés de perception des luttes politiques [3]. » Empruntant cette fois-ci à la science politique, il nous rappelle l’importance des « actes lourds » dans la communication politique, dans la lignée des travaux de Jean-Luc Parodi [4]. Mais bien plus qu’un catalogue de définitions, le petit opuscule d’Erik Neveu problématise les notions employées et les critique. Ainsi du « storytelling », devenu le mot-valise de la recherche en communication politique et du journalisme, et que l’auteur bat en brèche, en soulignant l’ambiguïté du terme – « Pour rendre omniprésent le storytelling, Salmon en fait une éponge conceptuelle qui rend la notion inconsistante [5] » –, et en relativisant sa nouveauté. Il met en valeur une série de concepts bien connus des chercheurs en communication politique comme le « cadrage », « l’amorçage », « l’agenda », la « popularité », en nous expliquant les évolutions de ces notions et les discussions qu’elles ont engendrées au sein de la communauté scientifique. Il fait un bilan toujours précis de la recherche sur la télévision dans son rapport à la politique, des « journalistes politiques », ou encore de la « pipolisation ».
Mais l’auteur entend aussi décortiquer « le point de vue des acteurs », en intégrant parmi les termes étudiés des expressions propres aux communicants : « Ã©léments de langage », « buzz », « grand communicateur », « méthode Soyez vous-même ». Partant de la définition donnée par ces acteurs, Erik Neveu souligne les marqueurs idéologiques qui imprègnent ces formes discursives. L’auteur participe aussi à la déconstruction des mythes de la communication politique comme la « barbe de Nixon », la « faute » attribuée aux médias, ou encore « l’âge d’or » d’une politique où la communication ne serait qu’une affaire de raison.
Le lecteur soucieux de mieux comprendre la communication politique trouvera ainsi dans cet ouvrage sans doute l’un des meilleurs points de départ que l’on trouve sur le marché, et le tout expliqué avec humour (on appréciera en particulier « l’agora en TIC [6] »). On regrettera néanmoins une bibliographie trop courte et vieillie, ainsi qu’un point de vue sans doute trop franco-centré à l’heure de l’inévitable mondialisation, surtout en communication politique.

Pierre-Emmanuel Guigo

Guillaume Pinson, L’imaginaire médiatique, Histoire et fiction du journal au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, coll. Études romantiques et dix-neuviémistes, 2013, 272 p.
« Imaginaire », « poétique », « fiction », « roman » : nombreux sont les termes qui renvoient à l’affect afin de « penser » le journalisme et les journalistes, ces dernières années. Guillaume Pinson, professeur à l’université Laval (Québec) et co-directeur du projet Médias 19 s’inscrit dans cette communauté de chercheurs. Parmi ses écrits, cet ouvrage-ci parvient utilement à approfondir le croisement des études littéraires et des faits culturels en revisitant souvenirs de journalistes, romans traitant du journalisme et histoires de la presse.
On appréciera surtout la mise en valeur des représentations qu’on donnait à voir à l’époque – des années 1830 aux années 1900 – du journalisme et des journalistes. Par la plume, surtout – et plus par les caractères de l’alphabet que par les traits du dessinateur ou du caricaturiste – le journaliste fait rêver ou attire l’opprobre.
On soulignera deux thématiques, deux corpora, que traite Guillaume Pinson, d’un intérêt pertinent pour les chercheurs. Les histoires de la presse éditées au XIXe siècle, et les romans parus alors qui traitent de la presse et du journalisme. L’importance des travaux d’Eugène Hatin sous le Second Empire a souvent été soulignée ; Pinson leur rend la place qui s’impose. L’Histoire de la presse d’Henri Avenel, 1900, - son Monde des journaux en 1895, lui, n’est pas cité – est mise en valeur. Encore qu’Avenel, qui reprit l’Annuaire de la Presse lancé en 1880 par Émile Mermet (marqué par la logique publicitaire présente dans ses Guides pratiques de la Publicité, de 1878 et 1879) et continué par Paul Bluyssen après Avenel, ne peut prétendre à la rigueur d’historien d’Eugène Hatin. Hatin réalisa un travail encyclopédique novateur, bien plus qu’un survol de l’histoire de la presse, en travaillant seul, semble-t-il. Son apport à l’histoire de la presse est à marquer d’une pierre blanche même si des lacunes inévitables sont à constater. Comme le dit Guillaume Pinson : « toute historiographie est de son temps. » Rappelons l’ouvrage d’Hatin parfois négligé : Manuel théorique et pratique de la liberté de la presse, 2 tomes, 1868.
Avec son analyse des romans (ainsi que les souvenirs) des journalistes et d’autres écrivains, traitant du journalisme, Guillaume Pinson, on peut dire, est « dans son élément. » Les titres des deux chapitres principalement concernés — « Le journalisme est un roman », « Le journaliste est un héros » — en disent long. La plupart des ouvrages cités ou analysés datent de la deuxième partie du xixe siècle – ce qui ranime le débat sur l’émergence du terme « journaliste » – sa prégnance – par rapport aux ‘hommes de lettres », « littérateurs », « publicistes » et autres appellations courantes dans la première partie du siècle : débat auquel les historiens de la presse tels Marc Martin, Gilles Feyel, Pierre Albert et Christian Delporte ont souvent contribué.

Michael Palmer

Sébastien Soulier, La Chronique criminelle dans la presse du Puy-de-Dôme de 1852 à 1914, Paris, Fondation Varenne (Collection de thèses), LGDJ, 2012, 759 p.
Cet ouvrage est le soixante-huitième tome publié dans la collection de thèses parrainée par la Fondation Varenne. La présentation des archives, sources, et bibliographie totalise 300 pages, chose que n’auraient guère acceptée bien d’autres éditeurs. La qualité d’impression (les illustrations comprises) est à saluer. On regrette, certes, l’absence d’un index des noms propres – même si la plupart des noms des criminels du Puy-de-Dôme ici traités sont rapidement tombés dans l’oubli. On ne trouvera pas ici des criminels appelés à une célébrité nationale suscitant une couverture dans la presse parisienne. La dimension « nationale » survient, si l’on peut dire, lorsqu’il est question d’une éventuelle grâce présidentielle (p. 186).
L’ouvrage est organisé en trois parties : 1) « de la révélation d’un crime à la construction d’un récit : les éléments de l’enquête médiatique » ; 2) « des crimes et des hommes », centrée sur « la presse et la société provinciale : perception de l’individu et de la communauté » ; 3) « approches thématiques », que ce soit « les empoisonnements, les mineurs aux assises, ou les violences sexuelles commises sur les enfants. » Les rapports des journalistes avec les autorités - judiciaires, policières - et la représentation que donne la presse des victimes, des témoins et de la foule et autres « acteurs secondaires », ainsi que le regard de la presse sur les jeunes criminels sont analysés avec sobriété et acuité. L’auteur étudie 144 comptes rendus d’audience et centre sur 45 affaires. On relève, parmi les jeunes criminels l’importance du jeune meurtrier, l’agresseur nocturne et l’enfant incendiaire (p. 363).
S. Soulier tire profit des approches des historiens de la presse et des historiens de la criminalité. Anne-Claude Ambroise-Rendu et Dominique Kalifa sont souvent cités, tout comme Frédéric Chauvaud, Jean-Claude Caron et Alain Corbin. Les « affaires criminelles » - grandes, graves et petites - et leur retentissement local ressortent des Unes : La Croix d’Auvergne du 25 février 1900 accorde trois de ses six colonnes de la Une aux parricides, affaires de moeurs et autres empoisonnements et vols. Les techniques d’écriture de la chronique criminelle sont relevées : une petite phrase-choc de l’accusé est mise en avant pour « susciter l’émotion du lectorat en enrichissant le descriptif de quelques envolées mélodramatiques parfois douteuses » (p. 235). Si le maire et le juge de paix sont souvent les premiers avertis d’un crime, le reporter en tire souvent moins que du butin ramené des rapports des experts – le médecin légiste, l’aliéniste et le chimiste. Quant au rôle du photographe, il ne paraît que tardivement, vers 1910. S. Soulier a beaucoup à dire du rôle qui revient à la rumeur : « rumeur publique, notoriété publique, clameur publique et conversations » caractérisent des informations « extraites d’un ensemble communautaire anonyme directement ou indirectement affecté par un événement » (p. 311). Les chercheurs travaillant sur la genèse et la portée des « micro-événements » consulteront cet ouvrage avec intérêt. De même voit-on ici comment travaille un reporter provincial et sa manière d’exposer ses sources. Le récit du crime lui, témoigne du souci du détail macabre. L’ensemble des personnages ou écrits impliqués de près ou de loin dans le récit du crime – de l’accusé à l’avocat en passant par le journaliste et le compte-rendu d’audience — sont ici examinés à la loupe.
Depuis un long demi-siècle, les mal-aimés de l’histoire — dont les pauvres et les criminels – font l’objet de bien des recherches. On s’émancipe de la vision « classes laborieuses, classes dangereuses », titre de l’ouvrage magnifique de Louis Chevalier. Avec cette étude de la couverture dans la presse puy-dômoise des crimes et des procès, on salue le parcours accompli depuis cette observation de Françisque-Michele en 1847 : « les pauvres, les opprimés » n’ont pas trouvé d’historiens. S. Soulier ne livre pas une analyse en termes de classes, mais, si la pauvreté explique beaucoup, les comportements individuels diffèrent – c’est cela qui prime. Même si les diverses couches des récits à propos du criminel ne permettent guère de cerner l’individu.

Michael Palmer

Alexis Lévrier et Adeline Wrona (dir.), Matière et esprit du journal. Du Mercure galant à Twitter, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2013, 420 p.
Quinze auteurs, dont des chercheurs confirmés et des post-doctorants, sont ici réunis par Alexis Lévrier et Adeline Wrona pour s’interroger, chacun avec une optique différente, sur le journal pensé à la fois comme objet et comme contenu, et cela du xviie au xxie siècle. Dans une partie intitulée « entre la feuille et le livre : le périodique ancien », cinq auteurs explorent la situation au xviie et au xviiie siècle. Celle intitulée « la stabilisation du modèle périodique au xixe siècle » regroupe quatre contributions. La dernière, intitulée « le journal à l’heure de la concurrence médiatique (xxe-xxie siècles) comporte cinq textes, qui vont de la photographie au quotidien - le journal Excelsior - à Twitter : « entre geste sémiotique et geste professionnelle ». Un texte concerne les journalistes au Québec. Autrement, la presse en France est la focale des recherches. Une brève et judicieuse bibliographie accompagne l’ensemble.
L’apport des recherches littéraires et de la sémiotique est fortement mis en évidence. Même l’article sur Excelsior, avec son excellent choix d’illustrations, explore plus son métadiscours que sa prouesse technique : des photos dans un quotidien de luxe. Certaines contributions explorent la diversité de facteurs dont il convient de tenir compte : ainsi Julien Schwab, analysant des textes ou le journal s’adresse formellement à ses lecteurs (Le Siècle et Le Figaro, 1836-1901) relève l’entrelacs de facteurs politiques, économiques et techniques qui sous-tend les évolutions formelles.
On ajoutera toutefois que dans l’analyse de la chronique de « Timothée Trimm » dans Le Petit Journal, Amélie Chabrier parvient à traiter tant de son métadiscours que de son format, de son prix et de sa tonalité « populaire ». Elle identifie ses innovations typographiques, notamment « l’éloge de l’alinéa » (septembre 1864). Bref, qu’on lise Le Petit Journal au xixe siècle, ou L’Express au xxe – que traite Émilie Roche – les innovations de formules, de maquette, sont souvent pointées dans cet excellent ouvrage-survol. Émilie Roche évoque même « le dialogue inavoué » entre le premier Obs (France Observateur) et L’Express, à propos de leurs projets rédactionnels et de leurs formules et même de leur conception de l’information hebdomadaire. Yves Lavoinne met en valeur le tournant de 1827 : « annonceurs et lecteurs réclament chacun davantage d’espace. » Le format se modifie pour en tenir compte. Et c’est également Lavoinne qui souligne l’importance de ce qui se joue au milieu des années 1840, notamment pour la typographie.
La matérialité même du support périodique et les interrogations sur le rôle et l’identité de ceux qui y écrivent sont peut-être encore plus présentes dans les cinq contributions qui traitent de la presse du xviie au xviiie siècle. Avec les contributions de François Moureau et de Jean Sgard, tout ce que l’histoire de la presse doit à l’histoire de la littérature au xviiie siècle est fortement représenté. Ces cinq contributions centrent plutôt sur tel ou tel périodique, ou séries de périodiques. Mais les questions de fond, en résonance avec celle des directeurs de l’ouvrage - le journal : un contenu ou un objet ? – sont abordées par tous, comme le suggèrent les titres des textes de Marion Brétéché : « Entre l’actualité et l’histoire : le pari des mercures historiques et politiques (1680-1730) » et de Suzanne Dumouchel : « Quel discours sur la forme dans les périodiques littéraires entre 1730 et 1777 ? »
On sort de la lecture d’un ouvrage si judicieusement illustré avec un appétit renouvelé pour l’histoire de la presse écrite, au moment même où, comme le suggère joliment la contribution de Valérie-Jeanne Perrier sur Twitter, ce support se trouve plus que jamais entre le marbre et l’instantané.

Michael Palmer

[1] Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral, Fernand Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, Paris, PUF, 1969-1976, 5 vol.

[2] p. 138.

[3] p. 5

[4] Cf. Jean-Luc Parodi, « Ce que tu es parle si fort que l’on n’entend plus ce que tu dis » in Hermès 4, 1989, p. 223-233.

[5] p. 115

[6] p. 10

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Parutions,5003.html

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