Accueil du site > Le Temps des Médias > 08 - Le Tour du monde. Médias et voyages > MédiaMorphoses, revue publiée par l’INA

08 - Le Tour du monde. Médias et voyages

envoyer l'article par mail title= envoyer par mail Version imprimable de cet article Version imprimable Augmenter taille police Diminuer taille police

Hélène Duccini

MédiaMorphoses, revue publiée par l’INA

Le Temps des médias n°8, printemps 2007, p.229-234

Créée en 2001, MédiaMomorphoses est une revue scientifique publiée trois fois par an ; tous les deux ans, un numéro hors série analyse également les enjeux culturel, historique, économique ou politique d'un phénomène marquant l'univers médiatique : le premier était consacré aux émissions de télé-réalité (2003), le deuxième, au service public de l'audiovisuel (2005) et le troisième aux séries télévisées (2006).

La revue se place résolument sous le signe de l'interdisciplinarité puisque y est abordé l'ensemble des médias, depuis les expositions (n° 9) jusqu'aux récentes technologies numériques et de l'Internet (n° s 4 et 6).

Fondée par des chercheurs en information - communication, elle a le mérite de s'ouvrir aux autres sciences humaines, dont l'histoire, en témoignent les numéros 3 et 4 abordant respectivement l'« Histoire à la télévision » et « 11-Septembre : histoire en direct ». Les problématiques et auteurs étrangers ont aussi toute leur place : ainsi le dernier hors série, consacré aux fictions télévisées, analyse les spécificités du paysage audiovisuel latino-américain et asiatique tandis que le n° 15 décrypte « les mondes créoles dans la parole publique ».

La revue est composée de trois rubriques judicieusement illustrées. Elle s'ouvre par une « Confrontation », dialogue interdisciplinaire autour d'un thème d'actualité portant sur les médias, la communication et les publics : dans le n° 13, Edgar Morin était interrogé sur la culture de masse. Cœur de la revue, le « Dossier » est composé d'un entretien avec un professionnel et d'une dizaine d'articles qui analysent un thème particulier : les médias et le sport (n° 11), les minorités dans les médias (n° 17). Cette diversité permet d'aborder tous les grands secteurs et enjeux des médias. Enfin, le « Magazine » offre des notes de lectures des livres récemment parus dans le domaine et fait la chronique de colloques ou de Journées d'Études, comme les « Lundis de l'INA ».

Plaidoyer en faveur de la fin du cloisonnement qui sépare les études sur les médias, information-communication, sociologie, histoire politique, économique et culturelle, MédiaMorphoses constitue un outil de choix pour l'historien attentif à la compréhension et à l'évolution de la sphère publique. Elle confirme, si besoin était, l'importance historique et patrimoniale des médias.

N° 19

La « Confrontation » qui ouvre ce numéro 19 de MédiaMorphoses réunit la sociologue Monique Dagnaud et trois producteurs audiovisuels. Si chacun pointe l'importance des dimensions économiques liées à la production, ils témoignent du souci de donner à voir des programmes de qualité susceptibles de nourrir nos imaginaires collectifs.

C'est justement d'imaginaire, de « mythologies » médiatiques dont il est question dans le « Dossier ». Il s'agit de montrer ce qui perdure et ce qu'impose la spécificité d'un média, d'une culture, d'une époque. La dimension fédératrice des médias est notée dès l'ouverture : un hommage rendu à James Carey est l'occasion de mettre en exergue la problématique du numéro et présente les médias comme acteurs indispensables du lien social (G. Jacquinot-Delaunay ; P. Froissard et Y. Winkin).

Les premières contributions décryptent les formes d'écriture journalistique et pointent l'extrême complexité des liens ainsi médiatisés. Mettre en forme puis dire une information, ce n'est pas seulement transmettre, c'est aussi convoquer un réseau d'évidences invisibles, un capital historique et culturel qui réunit tacitement une communauté.

A. Gattolin se penche sur les résurgences, transformations et modalités d'une culture subversive médiatique. Le succès d'un canular moderne (« hoax ») dépend d'une mise en scène particulière, corrélée à des phénomènes de contestation des dérives du système médiatique, qui mélange de plus en plus information et divertissement. L'interview de Patrick Pesnot (producteur du RDV avec X, France Inter) et l'article de T. Prsir montrent comment une certaine théâtralité vient soutenir le récit médiatique afin de tenir les auditeurs en haleine. Le recours aux formes théâtrales donne une dimension collective à l'événement, portée par le commentaire-coryphée des médias (P. Lardellier).

Toujours sur le registre du spectaculaire, les analyses d'E. Taà¯eb, J-P. Sélic et J-J. Mandel expliquent les permanences d'une « tératologie médiatique » : « Ã©vénement-monstre », la mise à mort sur la scène publique est l'occasion de mettre en scène un regard. À celui distancié, raisonné du journaliste stigmatisant les foules avides du spectacle mortifère, succède l'expression d'une subjectivité nouvelle, contemporaine d'une évolution des sensibilités (E. Taà¯eb). Les potentialités pathétiques du monstre servent à lui opposer une norme et à révéler le caractère double des êtres (J-P Sélic). L'expression du refoulé collectif peut aussi se révéler derrière les rumeurs qui viennent exagérément gonfler un incident télévisé (J-B Renard) ou un fait divers (J-J. Mandel).

Les médias réactualisent ainsi les manières de construire et d'affirmer une identité commune. Les « avatars » virtuels qui peuplent le cyberespace créent un univers symbolique et un imaginaire communs, instaurent des manières d'être ou de ne pas être ensemble (M. Moatti). O. Steimberg montre comment la qualité informative et fonctionnelle de la traditionnelle recette de cuisine s'efface derrière le fictionnel de la mise en scène télévisée. Les médias « re-confectionnent » le folklore populaire pour exposer des valeurs et une appartenance sociale.

Enfin, le « Magazine » dresse le bilan de la Journée d'Études organisée par A. Duprat et J. Lalouette consacrée aux relations entre « Caricatures et sacré » (21 sept.06) Nouveauté de cette livraison, des notes de lecture regroupées par thèmes (caricatures, médias audiovisuels, les médias dans le monde) clôturent ce dix-neuvième numéro. Si cette livraison montre, derrière la nouveauté ou les transformations des médias, la permanence des imaginaires, on regrettera l'absence des historiens et un manque d'ouverture aux imaginaires non occidentaux. Ces comparatismes auraient ainsi pu donner plus de profondeur au dossier.

Hors-série

MédiaMorphose a aussi sorti son troisième numéro Hors Série consacré à la série télévisée, genre jadis dénigré par la critique. Comme annoncé dans sa présentation, la livraison nous donne effectivement « toutes les raisons d'aimer les séries télés », mais surtout de porter un autre regard sur ces programmes populaires.

Richement illustré, le numéro est judicieusement organisé en trois axes thématiques qui rendent compte des dimensions tout à la fois géopolitique, économique, culturelle et esthétique de ce genre « emblématique de la culture contemporaine ».

La première partie aborde la série par un prévisible face à face USA-Europe. Mais les contributions permettent de dépasser la traditionnelle confrontation. Plusieurs facteurs modifient les modalités de production et de diffusion des fictions. Les technologies numériques bouleversent le calendrier des chaînes et invitent à reposer la question de la réception par les différentes catégories de publics (E. Vérat). Derrière les caractéristiques historico-culturelles propres à chaque pays, l'hétérogénéité des système de financement de l'audiovisuel (H. Larski, R. Chagniac) ainsi que des habitudes et normes professionnelles (S. Chalvon-Demersay, P. Le Guern), la concurrence des fictions américaines pousse les pays européens à s'adapter aux exigences d'un marché international.

L'importance de l'économie est confirmée par les contributions consacrées aux séries latino-américaines et asiatiques.

Conçue dès son origine comme un élément stratégique du consortium audiovisuel mexicain (T. Paramo) et brésilien (J-F. Chougnet), la production des telenovelas (TNV) a été soutenue par l'État ou des sponsors nationaux. Elles jouent un rôle économique et social, reflétant les normes et valeurs morales que les producteurs et diffuseurs souhaitent promouvoir. Le succès est en partie assuré par la légitimité culturelle de la TNV. Mais, si l'auteur est un porte-parole essentiel dans l'élaboration d'une identité sociale commune, son autorité auctoriale est concurrencée, en amont, par l'intervention d'autres collaborateurs et, en aval, par la quête de l'audience qui rend le public roi (E. Thomas). Support identitaire, les TNV le sont de façon inédite pour des populations auxquelles elles ne s'adressent initialement pas. Des proximités historico-culturelles expliquent cette porosité, mais surtout, c'est la place non négligeable du poste de télévision, « fenêtre ouverte sur le monde », qui est à considérer (E. Wolff). Elément essentiel d'une sphère publique émergente, la télévision et le visionnage des programmes diffusés, particulièrement des séries, est l'occasion d'une écoute collective inscrite dans un cercle domestique élargi, propice aux échanges (Ugur Tariöver).

L'analyse des fictions asiatiques prouve l'influence toute relative du modèle occidental. L'Asie apparaît comme un pôle de production riche de promesses. La télévision indienne puise ainsi dans le terreau culturel du sous-continent et adapte les épopées hindoues au format sériel. Marché lucratif autant qu'élément d'unification nationale, ces séries doivent cependant s'adapter aux attentes d'un public de classes moyennes, attiré par la culture anglo-saxonne. Ce compromis témoigne de la recherche d'équilibre entre modernité et nostalgie face au processus de mondialisation (C. Deprez). Ferment identitaire, la télévision asiatique a su créer des genres nouveaux, spécifiquement adaptés au marché extrême-oriental. L'exportation des séries sud-coréennes a fait d'elles le produit phare du phénomène culturel de la Vague Coréenne (« Hallyu ») (Hong-Mercier). Les séries singapouriennes manifestent la même exigence, sinon la nécessité d'une dynamique d'échanges pan-asiatiques. Il s'agit d'élaborer des stratégies d'ouverture vers une audience plus large et d'assurer la rentabilité des productions (N. Quemener).

La deuxième partie du numéro aborde les dimensions sociologiques et culturelles des fictions. Les « néo-séries » policières et judiciaires rendent compte des évolutions et des défaillances de nos sociétés. Accordant plus de place à l'humain et sa psychologie au détriment d'une morale qui veut s'imposer au spectateur, elles portent un nouveau regard sur la déviance et offrent les conditions d'un ré-examen du monde social (N. Perreur). C'est un souci similaire de s'inscrire dans la réalité contemporaine qui animait les créateurs de la série à‚ge sensible. Présentée comme un « anti-Hélène et les Garçons », elle n'a pas répondu aux espérances des programmateurs. Cet échec révèle les limites d'un genre destiné à s'adresser à une cible stratégique et particulière, les adolescents (N. Schmidt) La question des publics est également abordée dans l'entretien que L. Doyonnax, chargée de la fiction sur TF1, a accordé à G. Soulez. Elle souligne le rôle joué par l'économie et le soutien à la création dans les possibilités d'évolutions formelles ou thématiques (dont témoigne le succès d'Ally McBeal étudié par Nadaud-Albertini).

Le caractère fictionnel et divertissant de la série permet d'aborder la sexualité et de rendre compte de la mutation des stéréotypes hétéronormés (M. Bourdaa). Symboles de reconnaissance et d'émancipation, les personnages y « performent », c'est-à -dire qu'ils jouent un rôle qui induit une certaine idée de l'homosexualité (Pichon-Alessandrini). En France, l'« homomania » qui a gagné le pays à la fin des années 1990, n'a que très peu contribué à l'intégration de personnages gays dans les scénarios. Jamais l'homosexualité n'est montrée dans sa dimension transgressive (B. Rollet). La série française n'est donc pas le lieu privilégié de l'affirmation des différences ni de transgression des tabous et des normes. Si les héroà¯nes des séries policières présentent des figures variées, les fictions françaises donnent souvent une image stéréotypée de la femme-flic, dominée mais rassurante (G. Sellier). Le scénario ou les personnages incarnent des normes et valeurs sociales ; mais un décor, des motifs du paysage peuvent suffire à l'affirmation de dogmes philosophiques et moraux (C. Rollet, Mottet).

Le troisième et dernier axe du hors série explore les différentes caractéristiques de l'audience des fictions. Au-delà de sa dimension économique (« faire de l'audimat »), le public est devenu un acteur clé de la chaîne de diffusion, voire de production. Si les pratiques des amateurs légitiment culturellement les séries, les produits dérivés ou les sites Internet qui leur sont consacrés servent en retour de marques de « distinction » aux membres d'une communauté de fans (H. Glévarec, Pinet). L'audience des séries ne répond pas seulement au plaisir du spectacle : leur succès populaire est indissociable de leur rôle sociologique et de leur capacité à atteindre des publics auxquels elles ne s'adressaient pas, à faire évoluer leur regard (Leveratto, F. Montebello)

C'est toute la question du statut d'œuvre culturelle qui est posée ici. Après avoir remarqué, avec Benassi, un dépassement des limites du cadre classique de la série, Stefanelli et Maigret notent les relations que celle-ci entretient avec les autres médias, notamment la BD. Cette « intermédialité » invite les chercheurs à revisiter leurs théories. Relativisme épistémologique donc, relativisme historique aussi : la série britannique Absolutly Fabulous trangresse outrageusement les cadres traditionnels de la sitcom en mettant en scène des anti-héroà¯nes en tous points grotesques et parodiques, dont les péripéties carnavalesques insufflent leur vitalité à la culture dominante (F. Pothier)

Enfin, l'observation des nouvelles pratiques d'écriture de fiction par les internautes (fanfics) ouvre une piste de réflexion stimulante (O. Aà¯m, Martin). Si ces usages récents bouleversent et contredisent les stratégies de programmation des chaînes (O. Aà¯m), ils permettent à leurs auteurs de s'approprier un univers fictionnel. Loin d'un public - consommateur, il s'agit ici d'une audience réellement active et créative qui témoigne d'une volonté de prise en main des contenus et de leur diffusion.

Ce hors série atteste des riches potentialités des programmes de fiction. Genre jadis méprisé pour son caractère « lessivier », récurant et artificiel, la série est désormais un support de création qui assume des caractéristiques. L'historien contemporain lira avec attention les articles concernant les soap allemands, les fictions de guerre américaines et la série policière Cold Case (H. Larski, S. Sépulchre, G. Soulez). Ces articles évoquent, sans en faire leur thème principal, hélas, la façon dont la fiction aborde l'histoire de ces soixante dernière années. Enfant de la réunification allemande, l'héroà¯ne de Berlin Berlin, a su attirer un public jeune et a rajeunir l'image de la chaîne ARD (H. Larski). Les fictions de guerre américaines des années 1970 et 2000 posent la question des reconstitutions historiques. Les valeurs consensuelles de courage et de fraternité valorisées permettent de faire l'économie d'une interrogation sur la légitimité de la guerre et de l'idéologie qu'elles véhiculent (S. Sépulchre). Au-delà de ses particularités internes, le récit sériel interroge donc l'Histoire mais aussi les « maladies du temps » que sont le deuil et la mélancolie (G. Soulez).

Heureuse invite à reconsidérer la série, en historien. Rappelons cependant que les premières séries françaises puisaient déjà dans la l'Histoire (Maison Rouge et les autres grands feuilletons historiques).

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/MediaMorphoses-revue-publiee-par-l.html

Sommaire du numéro