04 - Dire et montrer la guerre, autrement
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Le Temps des médias n°4, printemps 2005, p.253-264- Soutenances
- Aurélie Tavernier, Paroles d'experts : rhétoriques journalistiques de recours aux paroles extérieures. Journaliste et sociologue, la construction d'un référentiel Le Monde, Libération, Le Figaro, Thèse de doctorat en sciences de l'information et de la communication (dir. Bernard Delforce), Université Lille 3 Charles de Gaulle, 2004
- Caroline Tachon, Débats et controverses littéraires dans les revues en France à la Libération (9 août 1944 - 27 octobre 1946), Thèse de doctorat en littérature (dir. Pierre-Edmond Robert), université de Paris III-Sorbonne Nouvelle, 2004
- Colloques
Soutenances
Aurélie Tavernier, Paroles d'experts : rhétoriques journalistiques de recours aux paroles extérieures. Journaliste et sociologue, la construction d'un référentiel Le Monde, Libération, Le Figaro, Thèse de doctorat en sciences de l'information et de la communication (dir. Bernard Delforce), Université Lille 3 Charles de Gaulle, 2004
Le solide travail d'Aurélie Tavernier ne devrait pas rester ignoré longtemps de ceux qui, quelle que soit leur discipline d'origine, ont vocation à s'intéresser au journalisme en général, et aux usages de paroles extérieures, ici expertes, en particulier. C'est dire autrement que sa thèse est utile à ceux qui tentent, en histoire ou ailleurs, de comprendre les modes d'investissement des « intellectuels » dans l'espace public et, plus largement, de saisir les logiques de la circulation sociale des discours. Aurélie Tavernier fonde son investigation sur un riche matériau, quantitatif (2 700 discours rapportés dans trois quotidiens de la presse dite de « référence » du 1er janvier au 31 mars 1999) et qualitatif (des entretiens avec des journalistes et des sociologues). Ce matériau lui permet d'éviter les pièges ordinaires qui font marcher les collectifs comme un seul homme (« les sociologues », « les journalistes », « les médias »…). Retenant ainsi les tribunes, comme les interviews, les chroniques mais aussi, en contrepoint, le courrier des lecteurs, elle analyse avec rigueur les titres à parler en construisant de nombreux cadres de compréhension, souvent élégants. Entre autres, elle distingue des types de paroles (profane, politique, institutionnelle, protagoniste, intellectuelle) et des types de rhétoriques journalistiques portés par des figures : le porte-parole (rhétoriques de l'objectivité), l'expert proprement dit (rhétoriques de la compétence), le sage (rhétoriques de l'universel). Elle varie aussi constamment les points de vue : parmi d'autres, elle suit pas à pas le sociologue Jean-Claude Kaufmann (dans les journaux ou magazines comme à la télévision ; en analysant aussi les articles qui sont consacrés à ses productions scientifiques) pour situer les contraintes du sociologue et ses paradoxes, faire connaître sans (se) renier ; être connu et être reconnu par ses pairs. Elle retient encore trois débats au cœur de la thématique familiale : le PACS, la réforme du droit de la famille et la parité. Ils lui permettent de replacer les rhétoriques journalistiques de recours à des paroles de sociologues dans ce qu'elle appelle « le travail de co-construction du référentiel », entendu comme un processus cognitif de normativisation de l'événement, les acteurs construisant un cadre de représentation des problèmes inscrits sur l'agenda médiatique. À ce titre, le débat sur la parité dénote la présence de plusieurs référentiels : fonctionnaliste, technicien, théorique. L'auteur peut ainsi souligner les intrications entre expertise, idéologie et normativité, du côté des médias comme des sociologues intervenants. Aurélie Tavernier n'oublie pas non plus le « fameux » débat Bourdieu/Schneidermann. Il lui permet dans un épilogue de bien voir combien « la re-figuration du savoir sociologique dans le dispositif médiatique suppose l'enrôlement dans le dispositif, comme matrice signifiante et principe d'actualisation » (p. 648). Sa problématique, clairement constructiviste, s'imprègne d'approches variées, mais, dans une phrase conclusive, elle situe fort bien l'ambition (d'un point de vue théorique) de son travail : « L'identité incarnée en médias n'est pas prescrite par un nombre limité de positions occupées dans un champ, mais se trouve co-construite par l'acte discursif vu comme engagement social » (p. 672). Puisque ce n'est pas son choix, il n'y a sans doute pas lieu ici de regretter ou de reprocher à l'auteur de ne pas suffisamment se pencher sur les dispositions des acteurs analysés même s'il se pourrait qu'elle passe ce faisant à côté de clefs de compréhension pas forcément mécanistes ou déterministes ! En revanche, on pourrait à bon droit penser qu'elle ne « plonge » pas assez dans le quotidien du travail journalistique qui rend possible ces rencontres fort spéciales entre des rédacteurs façonnés par des rôles et des postures et des sociologues assumant de quitter, le plus souvent, leur travail ordinaire pour être enrôlés dans une entreprise fréquente de normativité.
Jean-Baptiste Legavre
Caroline Tachon, Débats et controverses littéraires dans les revues en France à la Libération (9 août 1944 - 27 octobre 1946), Thèse de doctorat en littérature (dir. Pierre-Edmond Robert), université de Paris III-Sorbonne Nouvelle, 2004
La thèse de Caroline Tachon, soutenue à l'université de Paris III-Sorbonne Nouvelle, le 16 novembre 2004, consacrée aux formes du débat intellectuel à travers les revues entre 1944 et 1946, contribue à porter un regard neuf sur cette période charnière, souvent négligée par l'historiographie qui s'est plutôt tournée vers les années de l'Occupation et les années de guerre froide. La floraison de revues issues de la Résistance intellectuelle, marquées par un désir de rénovation dans tous les domaines, témoigne de la spécificité de cette période de transition.
L'ensemble, très volumineux (1 166 pages, 2 221 notes à la bibliographie quasi-exhaustive), est formé de deux tomes distincts dont le second, les Annexes, constitue la première tentative d'indexation des revues politico-intellectuelles de la période.
La thèse proprement dite s'ouvre par un tableau remontant aux années trente et à la période de l'Occupation afin de donner leur profondeur historique aux débats surgissant à la Libération, autour des thèmes de l'engagement et de la responsabilité des intellectuels. Au cours d'une partie plus neuve, Caroline Tachon s'interroge sur « le concept éditorial de la revue » après la Libération et trouve là son véritable sujet. Elle étudie de façon originale les modalités de constitution de la revue en genre propre en mettant en avant trois critères : les déclarations d'intention ou manifestes, les sommaires, enfin « la dimension humaine ». Les tactiques éditoriales, la diffusion et la distribution, les stratégies de communication de ces revues sont étudiées de façon très rigoureuse. La partie suivante s'inspire des méthodes d'analyse du discours et se propose d'éclairer le fonctionnement du « genre agonique » en s'appuyant sur trois exemples de débats et controverses, significatifs de la période : le lancement des Temps modernes par Jean-Paul Sartre, la publication de La France byzantine de Julien Benda, la réception du roman d'Arthur Koestler, Le Zéro et de l'infini. On peut se demander si le recours à la lexicographie, les commentaires très pointus, par lesquels Caroline Tachon analyse les procédés rhétoriques ou discursifs à l'œuvre, renouvellent véritablement la connaissance qu'on a déjà de ces trois moments du débat intellectuel. En revanche, la réflexion sur l'« objet-revue » ouvre de nombreuses voies originales de recherche. De même l'étude des débats politico-littéraires amène à nuancer la vision généralement donnée du paysage intellectuel de l'après-Libération. En faisant entrer dans son corpus plus d'une centaine de revues, elle montre qu'il n'y a pas seulement Les Temps modernes, Critique, Esprit qui ont animé le débat intellectuel et débattu des questions comme celles de la conception de la littérature, engagée ou dégagée, de la révolution. Le phénomène de politisation d'après la Libération se trouve ainsi nuancé. Malgré l'exclusion de son corpus des hebdomadaires dont certains comme Action, Les Lettres françaises, Le Figaro littéraire ont fréquemment été les initiateurs et les caisses de résonance des débats les plus passionnés, Caroline Tachon montre de façon probante que l'étude des revues, menée de façon pluridisciplinaire, est irremplaçable.
Il faut enfin signaler le volume d'Annexes, instrument de travail remarquable, destiné à devenir une référence pour les chercheurs et les érudits. C'est l'aboutissement d'un exceptionnel repérage des lieux de conservation des revues, nombre d'entre elles ayant échappé à la conservation et ne se trouvant que dans des fonds privés. Il comporte une indexation très complète des 150 revues dépouillées, selon un modèle de fiche signalétique établi par Caroline Tachon : mentions descriptives légales, rédactionnelles, éditoriales ; classement par familles (revues locales ou régionalistes, de prestige, spécialisées, institutionnelles de littérature, littéraires, de jeunes, de création et de critique littéraire, politico-littéraires, de spiritualité et de philosophie). Signalons l'excellente idée d'avoir reproduit les principaux articles du sommaire et, dans tous les cas où elle existe, la « déclaration d'intention » de la revue, matériau qu'il serait passionnant d'exploiter. L'ensemble de cet inventaire, loin d'être austère est une invitation constante à de nouvelles recherches. Songeons que la première revue indexée, L'Age d'or n'eut que huit numéros (mais publia Claude Lévi-Strauss) et que la dernière, La Vrille, qui voulait succéder au Minotaure d'avant-guerre, n'eut qu'un numéro (ouvert par Georges Bataille). Je laisse au lecteur imaginatif le soin de tirer les conclusions que lui inspirera le rappel de l'existence de ces deux revues éphémères. En tout cas, la thèse de Caroline Tachon convainc que l'étude et l'inventaire des revues sont désormais une approche indispensable à l'histoire intellectuelle.
Nicole Racine
Colloques
« Cinéma et histoire »
Le 9e colloque de la SERCIA (Société d'Etude et de Recherche sur le Cinéma anglo-saxon) portant sur le thème « Cinéma et Histoire » a eu lieu l'été dernier, du 28 juin au 1er juillet, au University College de Londres.
Les interventions avaient pour but d'interroger le cinéma en tant que dit médiatique et dire mémoriel. Il s'agissait de démontrer que le cinéma ne doit pas seulement être compris comme un discours historiquement daté mais qu'il existe une réelle réversibilité du sens : le cinéma n'est pas qu'un moyen représentant l'Histoire/une histoire, il est aussi représentatif, témoin et témoignage d'un mode de représenter, de penser.
Convoquer le cinéma comme outil d'analyse d'une société, en prenant en considération tant le fond traité que la forme filmique adoptée, est un exercice qui réclame une nécessaire pluridisciplinarité. La SERCIA réussit ce challenge en confrontant des chercheurs anglicistes, plus sensibles aux aspects littéraires et civilisationnels du cinéma anglo-saxon, avec des spécialistes de l'objet cinématographique comme art et/ou média.
Les communications se sont principalement réparties entre trois axes : définir la spécificité des discours cinématographiques sur l'Histoire, caractériser le processus de transformation de l'Histoire en fiction, questionner les représentations.
Traiter du discours cinématographique implique d'accorder une attention toute particulière à ses émetteurs, ses auteurs. Les interventions se sont ici employées à démontrer l'imbrication étroite et nécessaire du référent historique et/ou de la réflexion historienne avec la narration et la mise en scène. Ainsi, Peter Walkins choisit-il d'évoquer la bataille de Culloden dans le film du même titre de manière anachronique en empruntant son esthétique aux reportages télévisés, soulignant par là -même le rôle médiatique du cinéma.
Le processus diégétique et sémantique par lequel l'Histoire devient fiction cinématographique, correspond à la transformation de l'Histoire en récits littéraires, à tel point que nombre de films se révèlent être des adaptations de romans sur grand écran. Les narrations audiovisuelles partagent également avec la littérature des structures pré-construites, les mythes, qu'ils soient anciens, réactualisés, ou modernes.
Enfin, les relations d'interdépendance nouées par l'Histoire et le cinéma passent par un certain nombre de topoà ¯ puisqu'il s'agit de périodes historiques (Guerre civile américaine, Seconde Guerre mondiale, Guerre froide) aux traitements médiatiques multiples, idéologiquement connotées voire datées dont les représentations n'échappent pas à une schématisation stéréotypée. De nouvelles stratégies esthétiques et narratives sont donc utilisées pour réactualiser les idées reçues et représenter un passé qui doit sembler exacte, naturel aux yeux du spectateur.
Le cinéma est un média de masse. Il a l'art de susciter l'adhésion empathique du public à son message. Dès lors, il devient essentiel d'appréhender les modes et les modalités de transmission de l'Histoire par la mémoire collective audiovisuelle.
Ces visions historiques ne doivent pas tant initier une réflexion sur l'Histoire que sur les versions de l'Histoire qui nous sont données à voir. Le cinéma n'écrit, ni ne réécrit l'Histoire, et si le spectacle qu'il propose peut influencer le public, c'est sans doute qu'il répond aux attentes implicites de son époque.
Delphine Robic-Diaz et Elodie Dulac
Les presses enfantines chrétiennes
En 1928, naissait à Arras l'illustré catholique Cœurs vaillants, repris l'année suivante par l'UOCF – Union des œuvres catholiques françaises – plus connue par la suite sous le nom de Fleurus presse. Pour fêter cet anniversaire, un colloque sur « Les presses enfantines chrétiennes », organisé par Thierry Crépin, membre du Centre d'histoire culturelle de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et Laurent Wiart, directeur de la médiathèque d'Arras, s'est tenu en décembre 2004 dans cette même ville.
Ironie du calendrier : on apprit, lors de ce colloque, que le groupe Fleurus, filiale de la société PVC, rachetée par Le Monde SA en 2003, avait décidé de cesser la parution de Mon journal arc en ciel, son dernier magazine religieux pour la jeunesse. Même si le groupe Bayard presse, détenu depuis sa création, en 1895, sous le nom de La Bonne presse, à 100 % par la congrégation des Assomptionnistes, se porte plutôt bien, avec ses 42 titres pour la jeunesse (22 pour Bayard, 20 pour Milan), la presse catholique pour la jeunesse stricto sensu va mal. Les titres phares de cette presse ont successivement disparu et ne subsistent plus guère aujourd'hui, en France que deux titres : Pomme d'Api soleil, dont Marie Garnier expliqua qu'il naquit d'une déclinaison du magazine Pomme d'Api, lorsque celui-ci perdit son supplément religieux, et Grain de soleil. Comme le remarqua à juste titre Monique Scherrer, rédactrice en chef de ce dernier titre, lors d'un débat animé consacré aux presses enfantines chrétiennes aujourd'hui (Patrick Eveno, Michèle Piquard, Monique Scherrer) : « un titre qui disparaît, c'est toujours une mauvaise nouvelle, car son lectorat disparaît avec lui ».
La « presse enfantine chrétienne » a toujours rencontré des difficultés structurelles et financières, mais elle a aussi connu ses heures de gloire. Elle fit même souvent figure de précurseur dans l'univers des médias.
Ainsi, les primes à l'abonnement proposées aujourd'hui par les éditeurs font bien pâle figure à côté de la célèbre poupée Bleuette, offerte dès 1905 par les éditeurs Gautier et Languereau à chaque nouvelle abonnée à La Semaine de Suzette, comme le rappela Jean-Yves Mollier, dans son étude de la maison qui créa Bécassine. Côté étranger, Rita Ghesquière retraça l'histoire de l'autre « bonne presse », les éditions flamandes Averbode ; Luc Courtois dressa lui un panorama des presses enfantines chrétiennes en Wallonie et à Bruxelles. Josiane Cetlin évoqua Notre journal, un illustré protestant de Suisse romande. L'histoire de deux autres illustrés protestants, français cette fois, fut également présentée, L'Abeille, par Pierre-Yves Kirschleger et Le Petit messager des missions évangéliques, par Jean-François Zorn.
Cœurs vaillants fit l'objet de plusieurs communications : Thierry Crépin évoqua Robert Rigot et la bande dessinée d'inspiration antisémite, La cité perdue (1941), Michel Renouard les images des étrangers et des femmes dans cet hebdomadaire entre 1946 et 1963, tandis que Philippe Rocher rappelait le parcours d'Hergé, puisque Cœurs vaillants fit découvrir les aventures de Tintin en France. Mais d'autres illustrés furent disséqués, comme Lisette (Sylvette Giet), Le Noà « l, Ames vaillantes etc. ainsi qu'O Lo Lé, journal illustré régionaliste pour les jeunes Bretons, paru pendant l'Occupation (Christophe Carichon).
D'autres analyses s'intéressèrent au contenu proprement dit de ces publications, « entre dévotion et récréation » (Francis Marcoin) : images religieuses, parfois convenues, souvent inattendues (Isabelle Saint-Martin), vies de saints (Catherine d'Humières), représentations de la Grande Guerre (Marion Pignot), mais aussi images de distraction parfois surprenantes (Jacques Sys). Jean-Pierre Rioux a conclu le colloque en insistant sur les pistes de recherche ouvertes par les différents intervenants.
Les actes de ce colloque seront publiés aux Presses de l'Artois, courant 2005.
Françoise Hache-Bissette
Un groupe de recherches sur la radio
Le GRER (Groupe de Recherches et d'Etudes sur la Radio), fondé par Jean-Jacques Cheval en 1999 à Bordeaux, a pour objet d'aider au développement des études radiophoniques en France et de leur donner une nouvelle dimension. Il a organisé deux colloques à Bordeaux, en novembre 2001 [1] et en avril 2004. Mais le groupe n'a pas de statut légal, ni de personnalité juridique. Jean-Jacques Cheval a donc proposé, lors d'une réunion tenue le 29 juillet 2004 à Sienne (Italie), de permettre au GRER d'avoir une existence légale, des fonds et des moyens de fonctionnement propres, en devenant une Association nationale.
Depuis, une dynamique s'est déclenchée, un groupe de réflexion a été créé pour préparer un projet de statut, un autre travaille sur la rénovation du site Internet, des contacts ont été pris avec divers organismes, et le Conseil régional aquitain a approuvé le projet.
Le GRER continuera à organiser des colloques mais mènera aussi des activités régulières, dans le but de renforcer, d'encourager et de légitimer les études sur la radio, en alliant recherche théorique et pratique, en s'intéressant au contenu, à la pratique et à la création radiophoniques. Le GRER se penchera, dans une démarche prospective, sur la réalité et l'avenir de la radio, en abordant les problèmes et enjeux actuels de ce média. Il sera une plaque tournante entre chercheurs, professionnels de la radio (publique, privée, associative), et organismes gérant les outils de la recherche (INA, SAéM, centres de recherche universitaires…) et s'efforcera d'exploiter au mieux cette polyvalence en fédérant les compétences et spécificités de ses membres et partenaires.
Le projet affiche donc une volonté d'ouverture, d'élargissement, un désir d'utilité active, en inscrivant le GRER dans la société civile, en impulsant des tendances de recherche.
Relais de l'IREN [2] en France, le GRER travaillera en coopération avec des groupes existant à l'étranger, comme RSN en Grande-Bretagne, le groupe scandinave NORDICOM, le groupe européen DRACE, ou le SCIRAB. Mais le GRER veillera aussi à être complémentaire par rapport à des organismes existant en France comme la SPHM, le GEHRA, ou le CHR.
Le GRER fédérera des sous-groupes thématiques comme celui, constitué à la suite du colloque de Bordeaux d'avril 2004, qui réunit des doctorants travaillant tous sur la radio selon des approches et des disciplines diverses.
Le site Internet du GRER [3] se voudra un lieu d'expression, d'expériences, de réflexion et de recherche, un lieu d'échange entre toutes ses composantes et tous ses partenaires.
L'association sera officiellement fondée lors d'une Assemblée Générale qui aura lieu à Bordeaux au printemps ou à l'automne 2005.
Béatrice Donzelle
Colloque de Cerisy
Le sujet choisi – l'histoire culturelle du contemporain –, la variété des participants – contemporanéistes mais aussi moderniste, médiéviste, sociologue, géographe, littéraire et historien de l'art – et sa durée confèrent au colloque qui s'est réuni à Cerisy du 23 au 30 août 2004 un grand intérêt. L'alternance des communications et des débats, la complémentarité entre les thèmes choisis ont permis aux chercheurs issus d'horizons différents de dresser un bilan historiographique et épistémologique de l'histoire culturelle du contemporain, de dégager des pistes de recherche. Ce colloque a souligné quels peuvent être les apports réciproques de l'histoire culturelle et de l'histoire des médias. L'approche culturaliste revêt une triple dimension.
D'abord, le regard de l'histoire culturelle (Pascal Ory, Jean-François Sirinelli) s'enrichit d'ambitions nouvelles (Dominique Kalifa, Catherine Bertho-Lavenir, Anne-Marie Thiesse).
Ensuite, les médias et plus largement la médiation apparaissent comme un filigrane qui permet aux hypothèses et aux pistes de recherche étudiées dans ce colloque de prendre tout leur sens (Jean-Yves Mollier, Pascale Goetschel et Jean-Claude Yon, Emmanuelle Loyer et Ludovic Tournès). Enfin, les domaines de recherche s'enrichissent de ces apports et de l'appel à la médiation comme facteur explicatif (Marie-à ˆve Therenty, Alain Vaillant) comme en témoigne la vitalité de l'histoire littéraire.
Les intervenants se sont d'abord attachés à définir le champ. Ainsi, Pascal Ory a souligné la récurrence de l'histoire culturelle, insistant sur la fécondité de nombreuses recherches mais aussi sur la nécessité de faire école. La vitalité de l'histoire culturelle s'explique en effet par le fait qu'elle répond à une demande sociale. L'histoire culturelle, présente dans la pensée d'Hérodote, s'est construite au xviiie comme une histoire de la civilisation et au xixe siècle comme une histoire des idées. C'est ce paradigme jugé trop réducteur qu'a voulu dépasser l'histoire des mentalités, fille des « Annales ». L'histoire culturelle acquiert une légitimité académique durant les années 1980. Histoire des représentations collectives, elle rompt, sous l'impulsion des Cultural Studies, entre autres, avec une conception hiérarchique de la culture et accorde une importance accrue au qualitatif.
Jean-François Sirinelli a affirmé l'importance de la réception par le bas à l'ère contemporaine. La notion de « culture politique » conçue comme l'ensemble des représentations qui soudent un groupe humain lui permet de souligner le rôle de l'histoire culturelle dans le renouvellement de l'histoire politique.
Dominique Kalifa appelle de ses vœux une histoire culturelle qui considère le culturel comme une interrogation et non comme un domaine. L'étude du crime, par exemple, ne peut passer que par des représentations qui le rendent présentable et lisible. Ce fait culturel invite à prendre en compte les imaginaires, déterminants dans la médiation, qu'elle soit judiciaire, journalistique ou littéraire. Catherine Bertho-Lavenir s'est attachée à montrer la mutation de l'histoire des techniques durant cette dernière décennie. Récusant tout « déterminisme technique » et toute conception téléologique, cette histoire a mis en évidence la compétition entre les inventeurs qui précède toute innovation et la technique conçue comme produit du désir humain. Ainsi les premiers pas de l'homme sur le sol lunaire se sont-ils accompagnés d'une méticuleuse mise en scène, laquelle a permis la naissance de l'« événement médiatique ». Anne-Marie Thiesse et Michael Werner se sont interrogés sur la pertinence de l'approche comparatiste qui tente de dépasser l'échelle nationale mais reste tributaire des spécificités nationales. Ceci interpelle le chercheur sur ses lieux d'exercice et d'études. Un Dictionnaire européen des médias rédigé par des chercheurs dont les sujets d'études seraient supranationaux est-il possible ? Ce jeu sur les échelles bouleverse la notion d'aires culturelles.
Ces appréhensions complémentaires de l'histoire culturelle font souvent appel à la médiation en général et aux médias en particulier comme pierre angulaire de leurs raisonnements. Jean-Yves Mollier a insisté sur la notion de « fortune critique » des œuvres littéraires, invitant l'historien à revisiter le patrimoine littéraire (et non le « panthéon ») en se détachant des jugements émis par les contemporains et leurs successeurs. Ces succès littéraires qui répondent rarement aux souhaits de la critique savante sont sources d'inspiration pour la presse écrite, la radio puis pour la télévision à travers les feuilletons. L'apparition de l'éclairage dans les pièces de théâtre a permis à Pascale Goetschel et à Jean-Claude Yon de montrer la vitalité de l'histoire du spectacle vivant dont les dramatiques sont les héritières à la télévision. Hors des frontières traditionnelles, Emmanuelle Loyer et Ludovic Tournès ont présenté les échanges intellectuels sous l'angle de la diplomatie culturelle des démocraties et des fondations internationales. Le succès de la French Theory aux États-Unis (François Cusset) dont témoignent le prestige outre-Atlantique de Michel Foucault, de Jacques Derrida, de Gilles Deleuze illustre les transferts culturels et le rôle des intellectuels comme « passeurs de culture ». Les institutions internationales jouent à cet égard un rôle primordial. La fondation Rockefeller a pris part à l'émergence d'une pensée économique mondiale et à la naissance d'un réseau international (elle est associée au développement de la London School of Economics). Elle a aussi favorisé la naissance des premières études sur les médias de masse, commandant, en 1938, une étude sur les effets culturels des programmes musicaux à la radio à Theodor Adorno, alors en exil aux États-Unis. Bien qu'Adorno rompe très vite avec la fondation Rockefeller, sa démarche reste fondatrice pour la prise en compte de la réception, thème central de l'histoire des médias.
L'interpénétration entre la presse et la littérature au xixe siècle, thème cher à Marie-à ˆve Thérenty et Alain Vaillant qui ont dirigé un colloque sur le sujet en 2001, souligne la légitimité comme la richesse de l'analyse de la médiation et du média, non comme un simple maillon mais comme une démarche scientifique à part entière. L'histoire littéraire s'est émancipée de la tutelle d'une conception de l'excellence qui exclut les genres considérés comme mineurs. Sensible à l'apport des Cultural Studies, elle a investi la presse, l'édition et plus largement les représentations, soulignant l'émergence d'une culture de masse au xixe siècle. Attentive aux modes d'écriture et aux réalités socio-économiques qu'ils reflètent, elle met en abîme les mutations de la profession journalistique. Le roman imprègne encore largement l'écriture journalistique au xixe siècle, ce qui entre en contradiction avec l'impératif de vérité et d'objectivité qui anime le journaliste. Le passage d'une presse d'opinion à une presse d'information durant les années 1870-1880 s'accompagne de l'essor de l'enquête, du reportage, de l'interview. La volonté de saisir ce que vit une société et ce qu'elle dit inscrit l'histoire littéraire dans le lignage des travaux de Roger Chartier (sur les pratiques de la lecture), de Jean-Yves Mollier (concernant l'édition). La mise en recueil ou la fragmentation des œuvres suggèrent leur succès auprès du grand public tout comme l'apparition de livres au format réduit et à bon marché dès le milieu du xixe siècle révèlent les « best-sellers » et les goûts du public. Se dessinent alors en creux une histoire des sensibilités, des sentiments et des sens chère à Alain Corbin, permettant à l'historien de mieux appréhender l'univers de l'écrivain (et de la compétition éditoriale) et du lecteur. L'histoire littéraire dépasse donc l'histoire politique de la presse (et la censure) et marque son intérêt pour la réception et plus largement pour les publics.
Le décentrement du sujet, la volonté de sortir du cadre national sont sources d'inspiration pour l'histoire des médias. Le rôle des stratégies individuelles et collectives a fait l'objet d'une revalorisation tandis que la réflexion sur la nécessité de varier les échelles (du global à l'individu en passant par le groupe) a permis de dépasser la dichotomie entre une vision internaliste et une vision externaliste de l'histoire culturelle. Le nombre des emprunts à la sociologie, à la littérature, à la philosophie ne saurait en effet occulter leur réinvestissement par le culturaliste.
Ce colloque a donc suggéré de nombreuses passerelles entre l'histoire culturelle et l'histoire des médias. Il permet, en outre, d'approfondir une réflexion à la fois globale et ponctuelle quant au rôle et à la place que tiennent les médias dans l'élaboration des cultures de l'élite et des cultures de masse. On pourra cependant y regretter la rareté du recours à l'audiovisuel voire à la publicité sous toutes ses formes comme outils de compréhension du contemporain.
Frédéric Delarue
Remerciements à Laurent Martin et Sylvain Venayre
[1] L'ouvrage Audiences, Publics et Pratiques Radiophoniques, Pessac, MSHA, 2003 réunit les actes de ce colloque sous la direction de Jean-Jacques Cheval.
[2] International Radio Research Network, régi par un contrat européen, financé par les fonds de recherche de la Commission Européenne.
[3] Le site Internet du GRER : http://greriren.free.fr ; l'adresse mail du groupe : grer@msha.fr.