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08 - Le Tour du monde. Médias et voyages

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Parutions

Le Temps des médias n°8, printemps 2007, p.235-247

Cinéma

Sylvie Lindeperg, Nuit et brouillard : un film dans l'histoire, Paris, Odile Jacob, 2007, 288 p.

L'ouvrage de Sylvie Lindeperg, historienne du cinéma à Paris III, contribue de façon originale et méritoire aux études filmiques autour d'une réflexion sur les fonctions de l'image. Ce livre s'inscrit dans la continuité de ses précédentes recherches consacrées à l'Occupation « Les écrans de l'ombre : la Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français » et « Clio de 5 à 7 : les actualités filmées de la Libération » parus aux Presses du CNRS. Sylvie Lindeperg propose ici une nouvelle analyse du film d'Alain Resnais « Nuit et brouillard » à la lumière de multiples relectures et d'une confrontation avec les archives. Le sous-titre, « Un film dans l'histoire », précise l'approche circonstanciée sous l'angle historique et filmique de son analyse. Par l'éclairage d'archives multiples, ce livre interroge également la diffusion et la réception du film au-delà de ses seuls enjeux de production En effet, l'analyse proposée ici, en mesurant l'impact d'une production filmique, dépasse le seul contexte d'un film emblématique d'après-guerre. La réflexion permet ici de décrire dans la durée (1955-2005) les différents statuts du film, ses régimes de visibilité dans l'histoire tout en montrant comment ses nombreuses facettes en font un dispositif complexe. À partir d'une genèse du film, Sylvie Lindeperg s'attache à décrypter son statut dans l'espace public depuis 1955, pointant dans les archives des séries de transformations en amont comme en aval. Ses sources conséquentes traduisent d'ailleurs la diversité des questionnements de l'historienne. Son approche des archives se déroule à partir d'un regard rétrospectif sur le travail pionnier et préparatoire d'Olga Wormser-Migot sur les camps, qui sera avec Henri Michel un des conseillers historiques du film. La conception de Nuit et brouillard en 1955 s'élabore sur une réflexion initiée alors non sur la seule description des camps mais sur l'interrogation des normes et processus qui présidèrent à l'extermination massive des nazis. Nuit et brouillard, dans le silence prévalant de l'après-guerre, traitera du système concentrationnaire et non de la solution finale. Sur la base des controverses de l'après-guerre, liées en partie à la politique de la mémoire comme de l'oubli, Sylvie Lindeperg reconstitue la genèse du film (ses protagonistes, l'enjeu politique d'après guerre…) avec Alain Resnais pressenti comme réalisateur, Anatole Dauman comme producteur et le poète Jean Cayrol comme commentateur. La recherche documentaire se poursuit en Pologne pendant le tournage puis en Europe malgré les nombreuses contraintes à la fois financières et institutionnelles, (également) liées aux différentes réécritures du film. Cette première partie décrit respectivement les contextes de production du film avant d'aborder les rapports entre cinéma et histoire jusqu'à la réception du film aujourd'hui. Ainsi reconstruites par l'historienne, ces étapes permettent de remonter la genèse du film par quelques plans reconstitués à posteriori sur un corpus de documents éparpillés (les photographies de l'album d'Auschwitz). L'assemblage d'une série de documents donne peu à peu corps à un récit narratif sur les camps. Il permet aussi de comprendre l'élaboration d'un film pour les besoins d'une histoire, en amont à la production et en aval au montage, mais aussi en cours de tournage où certaines scènes sont reconstituées par l'équipe.

Au prisme de la mémoire concentrationnaire, Sylvie Lindeperg offre une lecture du film sous l'angle de la migration des images. Celle-ci est d'autant plus indispensable que la fiction cinématographique participe après 1946 à la volonté de réparer une réalité à la fois abominable et intraduisible à l'écran. Emblématique en 1955, dix ans après la libération des camps, Nuit et brouillard décrypté ici dans le moindre de ses recoins contribue directement à l'émergence de multiples oppositions et controverses au festival de Cannes en avril 1956 puis en Allemagne. Culturellement légitimé ce film tisse, dans l'espace public de sa réception et selon les contextes politiques, des cercles concentriques impliquant les institutions politiques, les témoins, les critiques et d'autres regards de réalisateurs. Dans sa dimension historique, le film n'a plus la seule fonction de pointer les atrocités du passé. Il ouvre des combats tels que la lutte contre l'antisémitisme dans des sociétés cherchant à s'affranchir progressivement de ce pan d'histoire et à l'époque où le cinéma s'approprie les témoignages pour mettre en scène les camps sur un mode fictionnel (Spielberg…). Alliant le souci du comparatisme, la démarche de Sylvie Lindeperg sur les questions de la représentation et de l'histoire à l'écran devient cruciale. D'ailleurs dans cette perspective, le cinéma de Resnais apparaît comme un cinéma de l'inquiétude marqué par le pessimisme initié dans l'après-guerre. Il est aussi, en continu, une méditation sur le régime des apparences. De Guernica en 1950, Les statues meurent aussi en 1953, Hiroshima mon amour en 1959 jusqu'à plus récemment On connaît la chanson en 1997, sa filmographie interroge le statut de la vérité. Comme si le premier plan dérisoire de la Croix gammée dans ce dernier film réincarnait ces hantises initiales de Nuit et brouillard. En remontant son itinéraire, Sylvie Lindeperg réévalue pertinemment sa place dans l'histoire contemporaine par un jeu croisé de regards à travers lesquels le système concentrationnaire a été représenté à l'écran.
Kristian Feigelson

François Garçon, Enquête sur le cauchemar de Darwin, Paris, Flammarion, 2006, 265 p.

François Garçon, historien à l'Université de Paris I, nous propose dans cet essai une mise en perspective de l'espace médiatique en France à partir d'une analyse en profondeur d'un cas d'école, le film documentaire d'Hubert Sauper Le cauchemar de Darwin (2005). Salué unanimement à sa sortie, nominé ensuite aux Oscars d'Hollywood, le film est revisité de manière critique dans un premier article de François Garçon publié par la revue Les Temps Modernes en décembre 2005. Occasion souvent rare pour un chercheur, le débat est repris dans la presse et suscite une réelle controverse médiatique en 2006 par supports interposés (journaux, radios et télévisions). Son enquête sur Le cauchemar de Darwin, centrée sur l'anatomie d'un mensonge filmique, retrace les étapes de cette polémique. Certaines thèses pourraient sembler ici assez peu novatrices au regard des nombreux travaux de chercheurs déjà publiés sur ces questions. Mais François Garçon ne verse pas dans une énième réflexion sur la manipulation des médias. En 1922 Nanouk l'esquimeau de Flaherty avait cristallisé un véritable succès international sur une mise en scène documentarisante. Déjà le débat sur la vérité au cinéma passait par la reconstitution. Au delà de la mystification filmique, l'enquête sur Le cauchemar de Darwin illustre en profondeur les impasses d'un modèle consensuel de la critique de presse et cinématographique en France. Avec perspicacité, l'auteur pointe les insuffisances du travail journalistique se contentant de reprendre les dossiers de presse, de ne pas vérifier les sources pour enfin conforter paresseusement un « politiquement correct » sur le sujet… Seuls Le Monde (4 mars 2006) et Charlie Hebdo (17 mai 2006) reviendront sur leurs précédents articles pour lancer des enquêtes de terrain appuyant le point de vue de l'historien. Ambitieuse, son enquête brasse à partir du seul film de Sauper différents aspects de ce dossier qui s'avèrent ici passionnants et dépassent le seul contexte du film. Les ambivalences et ambiguà¯tés du film sont fréquemment relevées, appuyées par des analyses commentées renvoyant aux recherches menées sur l'Afrique depuis 25 ans autour des questions de développement, dont celles du Lac Victoria. À partir d'une véritable enquête de terrain, en France puis en Tanzanie, l'historien remonte un par un les arguments du cinéaste en réponse à son article des Temps Modernes, puis de l'ensemble des critiques unanimes pour pointer les contradictions ou antinomies tant dans le film que dans le discours de la critique. Quel est l'enjeu des discours sur la Perche du Nil ? Quelle est la nature du débat scientifique et de la polémique qui s'ensuivit ? Quelle est la teneur d'un apparent trafic d'armes qui construit toute la rhétorique du film ? Quelle est la réalité de l'ensemble des faits dans ce dossier à partir d'enjeux économiques locaux et internationaux ? À cet égard, cette enquête sur Le cauchemar de Darwin mesure en profondeur le hiatus entre les méthodes du chercheur et du journaliste. Aussi son ouvrage est un véritable plaidoyer pour la recherche et une réflexion d'ensemble sur l'argumentaire en présence. Les dysfonctionnements de la construction médiatique autour d'un film mensonger ne sont pas que pointés et dénoncés. Pour donner de l'ensemble une vision plus cohérente, sa démarche s'inscrit d'ailleurs à l'intérieur d'une réflexion salutaire autour de la notion de controverse. L'ouvrage permet de décrire les affrontements de toute une série d'acteurs les plus diversifiés soulignant la nature plus conflictuelle des relations entre cinéma et société. De ce point de vue, les thèses de Sauper font écho en arrière-plan aux discours sur l'altermondialisme et l'Afrique, laquelle s'est fondue dans un discours idéologisé sur une globalisation mal identifiée que le film contribue à réconforter de manière mensongère. La démarche de François Garçon prend un tour plus original lorsqu'elle aborde dans sa dernière partie ces notions de critique culturelle dans l'espace public : « L'Afrique est une gigantesque zone d'ombre… Le film de Sauper aura au moins réussi à redémontrer cette ignorance : Angola, Sierra Léone, Tanzanie, ces pays qui seraient plongés dans un désordre sanglant permanent, se ressemblent finalement. Cette indistinction n'est pas seulement la marque d'une méconnaissance brute. » (p. 221) À cet égard, l'Afrique offre ici le terrain d'un magma d'élucubrations des plus variées, où un historien reconnu dans ce domaine, comme M'Bokolo (Ehess), participe sur Arte (coproducteur du film) à la mystification générale sous couvert de légitimer une nouvelle expertise médiatique. François Garçon souligne bien l'ensemble de ces contradictions d'un espace médiatique « incontournable » en matière de désinformation. En fin de compte François Garçon dresse un constat pessimiste de la critique en France, qui au final, et à quelques exceptions, banalise l'ignorance. Plaidoyer pour une éthique du regard, ce livre a le mérite d'ouvrir à partir d'un cas concret et décrypté sous toutes ses facettes un chantier encore fécond sur les relations entre cinéma, histoire immédiate et univers des médias.

Kristian Feigelson

Presse écrite

Anna Nogué et Carlos Barrera : La Vanguardia, del franquismo a la democracia, Madrid, Editorial Fragua, 2006, 420 p.

Le quotidien La Vanguardia, publié à Barcelone depuis 1881, est un cas exceptionnel dans l'histoire de la presse en Espagne. Il est le plus ancien d'entre les journaux les plus importants –bien qu'il y en a d'autres très anciens dans des grandes villes comme Faro de Vigo (1853) à Vigo, El Norte de Castilla (1856) à Valladolid, Las Provincias (1866) à Valencia, Diario de Cà¡diz (1867) à Cadis et El Comercio (1878) à Gijà³n- et continue à Ãªtre publiée par la même entreprise familiale depuis quatre générations. Javier Godà³ Muntaà±ola, troisième comte de Godà³, préside aujourd'hui un groupe multimédia, au sein duquel se trouvent aussi le quotidien sportif Mundo Deportivo –paru comme hebdomadaire en 1906-, la revue Vanguardia Dossier sur des relations internationales, un journal gratuit et des stations de radio et de télévision, tandis que ses fils font partie de la structure exécutive.

Dans une histoire du journalisme si marquée par l'évolution accidentée du régime libéral comme celle de l'Espagne, La Vanguardia présente, avec sa capacité d'adaptation aux demandes du public majoritaire en Catalogne et d'influence dans la politique générale, un profil tout a fait singulier par rapport à la presse de parti présente à Barcelone jusqu'à la guerre civile 1936-39 et de la presse de Madrid de toutes les époques. Depuis l'émergence tardive de la presse industrielle en Espagne, au début du xxe siècle, jusqu'aux grands changements politiques, techniques et économiques des années 1980, La Vanguardia a été le plus important des journaux quotidiens en diffusion et en vocation d'entreprise, et a bénéficié de la forte politisation et de la fragmentation traditionnelle du marché de la presse à Madrid.

À propos des différents moments de sa signification historique, celui de la transition politique du franquisme à la démocratie est bien sûr le mieux connu, grâce à la publication récente du livre d'Anna Nogué et Carlos Barrera La Vanguardia, del franquismo a la democracia. Dans une tradition limitée d'études historiques sur les journaux espagnols, La Vanguardia a fêté en 2006 son 125e anniversaire sans avoir décidé encore de favoriser une histoire corporative comme ont fait ABC (1903) [1] à l'occasion de son centenaire ou El Pais (1976) [2] pour son trentième anniversaire. Le livre que nous présentons est dans la ligne de la recherche académique, comme celui de Manuel Llanas sur les années de la direction de Agustà­n Calvet, Gaziel, pendant les années 1920-30 et son conflit avec Carlos Godà³ Valls, deuxième comte de Godà³, à la fin de la guerre civile [3].

Les difficultés de relation des propriétaires avec les directeurs ont été importantes sous le mandat de Ramon Godà³ Lallana, devenu comte en 1916 et responsable de la croissance informative et de l'expansion industrielle de La Vanguardia pendant le premier tiers du xxe siècle. La fondation du journal au service du politicien libéral Praxedes M. Sagasta en 1881 fut l'œuvre de « don Carlos y don Bartolomé Godà³ Pie » -comme on le rappelle encore aujourd'hui à la « une »-, mais la décision de quitter cette orientation et d'adhérer à un projet strictement informatif appartient au premier des frères, qui bénéficiait de la collaboration du premier grand directeur, Modesto Sà¡nchez Ortiz et des écrivains et artistes modernistes de la fin du siècle, comme Santiago Rusià±ol et Ramon Casas. Le fils Ramon Godà³ Lallana aura jusqu'à trois et quatre directeurs à la fois, tout en divisant ses responsabilités et s'assurant le contrôle au dessus de tous.

L'ascension du catalanisme et des conflits sociaux pendant le premier tiers du xxe siècle et l'incompréhension de ces phénomènes par le comte de Godà³ produisit des fortes tensions autour du journal, dans les années mêmes de sa consolidation à la tête du marché de la presse, grâce à sa couverture de la Première Guerre Mondiale. L'effacement du propriétaire au profit de l'écrivain Miquel dels Sants Oliver, qui était à la tête d'une direction tripartite en 1919 et mourut par la suite, créée une situation très difficile, que dut affronter une nouvelle direction quadripartite où Gaziel exerçait l'orientation éditoriale.

Les relations entre les propriétaires et la direction deviennent à nouveau conflictuelles après la guerre civile, parce que les directeurs des journaux ont été imposés par le gouvernement du général Franco. De plus, à partir de la nomination du phalangiste Luis Maria de Galinsoga, Carlos Godà³ Valls, troisième propriétaire et deuxième comte de Godà³, a dû accepter encore la modification du nom du journal en La Vanguardia Espaà±ola, en compensation de la confiscation pendant la guerre civile (le journal avait été utilisé comme porte-parole du gouvernement de la République).

Tous ces antécédents sont nécessaires pour mieux comprendre les apports du livre de la journaliste Anna Nogué et du professeur de l'Université de Navarra Carlos Barrera, livre dont l'origine se trouve dans la thèse de doctorat de la première. Une partie très importante du travail est basée sur la consultation et l'étude de la correspondance quotidienne entre le comte de Godà³ et le journaliste Horacio Sà¡enz Guerrero, directeur du journal depuis 1969 jusqu'en 1982 et déjà rédacteur en chef sous la direction de Galinsoga.

Comme son père, Carlos Godà³ Valls a dû affronter en 1960 un conflit relatif au catalanisme, causé par un incident provoqué par le directeur phalangiste dans une église ou le prêtre faisait le sermon en langue catalane, suivant les nouveautés du Concile Vatican II. Saenz Guerrero a joué son rôle comme sous-directeur du nouveau directeur conciliateur nommé par Franco, Manuel Aznar, un des journalistes les plus importants en Espagne pendant le xxe siècle, diplomate et grand-père du politicien José Marà­a Aznar.

Il y aura encore un nouveau directeur nommé par Franco, Xavier de Echarri Gamundi, au coté duquel Sà¡enz Guerrero a continué comme sous-directeur jusqu'à pouvoir être nommé en 1969 premier directeur ayant la confiance de l'actionnaire. Depuis ce moment, il a conduit l'évolution de La Vanguardia Espaà±ola –qui n'a perdu l'adjectif imposé qu'à l'été 1978- depuis l'ouverture franquiste de la Loi de Presse de 1966 jusqu'à l'année 1982 et la victoire socialiste aux élections générales suivant le coup d'État manqué du Colonel Tejero.

Le livre d'Anna Nogué et Carlos Barrera permet de connaître cette période essentielle dans l'histoire du journal au regard de la relation spécialement positive entre le propriétaire et le directeur, ainsi que de l'incorporation aux tâches exécutives de Javier Godà³ Muntaà±ola, qui deviendra en 1987 le quatrième propriétaire et troisième comte de Godà³. Ce sont des années qui comprennent la fin du franquisme (1969-1975), la transition démocratique (1975-78), la récupération de l'autonomie catalane avec le retour du président Josep Tarradellas de l'exil français et l'élection du nouveau président Jordi Pujol, la crise du parti réformiste d'Adolfo Suà¡rez et la première victoire électorale du parti socialiste de Felipe Gonzà¡lez (1978-82).

Sous la direction de Sà¡enz Guerrero, La Vanguardia a fait sa propre transition vers la démocratie et aussi sa conversion au catalanisme modéré. Ce sont également des années de profonde transformation de la presse de Barcelone. Des huit journaux existant à Barcelone à la mort du général Franco il en restait seulement quatre à la fin de la direction de Sà¡enz Guerrero et uniquement La Vanguardia en 1985, aux côtés de deux nouveaux quotidiens parus pendant la transition, dans l'éclosion d'un nouveau système médiatique dominé par l'audiovisuel. Mais le rôle de Sà¡enz Guerrero finit avec l'année 1982, tout suite après l'arrivé du premier gouvernement socialiste. Il restera présent dans les pages du journal avec des articles, mais la direction sera confiée à des journalistes très proches de la nouvelle situation, d'abord du nationalisme catalan et plus tard du socialisme.

Jaume Guillamet

Justino Sinova, La Prensa en la Segunda Repàºblica espaà±ola. Historia de una libertad frustrada, Barcelone, Debate, 2006, 566 p.

Nous ne retrouvons pas dans ce livre une histoire de la presse écrite durant la Seconde République espagnole comme le titre pourrait le laisser penser. Il s'agit par contre du portrait d'une liberté frustrée comme il est précisé en sous-titre. C'est l'histoire du contrôle et de la répression de la liberté de la presse pendant une période qui, à la différence des étapes classiques de la censure pendant les dictatures de Primo de Rivera et plus tard de Franco, n'avait pas eu droit jusqu'à ce jour à une étude spécifique.

Justino Sinova, professeur d'université, journaliste actif et auteur de nombreuses publications centrées sur l'étude de la communication sociale, a signé il y a quelques années un travail important sur la censure de la presse sous le franquisme [4]. Sa vaste expérience se perçoit dans ce nouveau livre non seulement dans sa volonté didactique qui le mène à rappeler opportunément la projection personnelle et politique des protagonistes de cette histoire mais aussi dans la clarté de l'exposition et la fluidité du langage, caractéristiques du meilleur journalisme. Qu'un livre consacré à un sujet si particulier soit lu avec plaisir et facilité par n'importe quel amateur d'histoire est fortement appréciable. À l'agilité de l'auteur il faut ajouter l'effort de la maison d'édition Debate pour regrouper les notes de tous les chapitres aux pages en fin du livre. Une norme destinée sans doute à rendre plus légère la perception de la page en l'allégeant de l'appareil critique mais qui cependant punit le lecteur le plus attentif en faisant que ce qui devrait être simple – la consultation d'une note – devient une tâche gênante. Il est évident que les critères éditoriaux sont les maîtres et rendent difficile dans ce cas la consultation d'une information qui contient en plus d'ajouts des plus intéressants, les témoignages de la variété riche de publications journalistiques maniées par Justino Sinova et qui, étonnamment, ne figurent pas au chapitre des sources. Quoi qu'il en soit, une des valeurs principales du livre est d'avoir dépassé l'étude des traces laissées par la censure sur le papier imprimé, traces souvent effacées soigneusement par le pouvoir politique. Pour aller plus loin, il fallait, comme le fait l'auteur, s'en remettre aux documents des archives disponibles, ce qui permet de recomposer certains des aspects de l'appareil de censure ou, comme le fait aussi Sinova, suivre les traces des outrages commis, à travers des protestations formulées aux Cortes et recueillies dans le Diario de Sesiones.

Avec ces sources, avec beaucoup de savoir-faire au moment de rédiger et une insistance critique considérable, nous avons sur la table un livre qui parcourt l'histoire de la liberté d'expression depuis la proclamation de la Seconde République jusqu'au seuil de la Guerre Civile. Nous retrouvons dans ces pages le cadre légal controversé – Loi de Défense de la République (1931), la Loi d'Ordre Public (1933), Projet de la Loi de Presse de 1935-, mais surtout la pratique répressive mise en place par les différents gouvernements et qui se traduit par la citation de deux moments critiques (non comparables), par la suspension de plus de 100 publications après le soulèvement du général Sanjurjo en août 1932 et par des mesures analogues après la Révolution d'Octobre de 1934. La structure du livre est divisée en étapes selon la couleur politique des gouvernements, dans les mains de la gauche républicaine sauf pendant la période comprise entre la fin de 1933 et le début 1936 ; cela nous pousse à l'étude de la Seconde République comme un tout et sert à Justino Sinova pour éloigner le lecteur de ce qu'il appelle « la notion idyllique que l'on a voulu construire » de la liberté de presse pendant la période (p. 17). Sans aucun doute, c'est un temps qui commence avec l'interdiction des journaux de droite les plus lus, ABC et El Debate, et celui du Parti Communiste, Mundo Obrero ; un temps qui voit comment pendant le gouvernement de droite se maintient la censure préalable pendant 15 mois de suite alors que l'on interdit même de laisser en blanc les paragraphes vidés par le censeur ; une étape qui se conclut comme elle avait commencé, avec la fermeture de journaux, ne peut être considérée idyllique à ce niveau et de fait elle ne l'a pas été dans les travaux sur l'histoire de la presse, même si l'auteur, avec un bon œil de journaliste, insiste à faire référence, dès le début à « une page oubliée de l'histoire de la République » (sous-titre au prologue, p. 15).

Sans aucun doute, l'étape qui s'étend entre le 14 avril 1931 et le 18 juillet 1936 ne se caractérise pas par un degré maximum de liberté de presse, comme nous le savions bien, quoiqu'il est vrai que les grands progrès dans d'autres domaines ont pu laisser un fond de complaisance dans ce sens, en déplaçant à un second plan un problème qu'il convient de réviser. Le meilleur atout de ce livre est sa contribution à démythifier la vision la plus généralisée – pas juste pour cela – d'une période de temps avec des lumières et quelques ombres. Le pire est qu'en toile de fond l'on perçoit la bataille des médias vécue actuellement en Espagne autour de débats comme celui de la mémoire historique. C'est le cas, par exemple, lorsque l'auteur, une fois arrivé aux conclusions, dévoile une des cibles de son travail lorsqu'il affirme que « la démocratie la plus juste qu'a eu l'Espagne dans son histoire se déroule dans l'actualité et sous la forme d'une Monarchie » (p. 416). En réalité, pour que la comparaison entre deux situations historiques si différentes puisse mener à une conclusion valable, il faudrait qu'il y ait des circonstances aujourd'hui impensables, en commençant par l'identification du principal journal espagnol actuel avec la République, avec pour Monarchie en 1931 le journal que Sinova, suivant Francisco Iglesias, note comme le plus lu de l'époque : ABC (p. 52). Mais ce n'est pas le cas, aucun espace de communication de première ligne ne défend aujourd'hui en Espagne un changement de régime et s'il y a eu quelques tentations pendant les trente dernières années, les moyens ont été nombreux pour les museler. Réellement, un des grands problèmes de la République de 1931 résidait dans l'inefficacité de sa politique de propagande, avec une confiance excessive dans l'effort énorme réalisé dans le domaine de l'instruction publique et laissant entre les mains de la droite beaucoup des ressorts les plus efficaces de la propagande de masses.

En tant que journaliste habitué à Ã©mettre des opinions personnelles dans des forums, Justino Sinova ne cache pas ses phobies et c'est ainsi que le président Azaà±a est signalé pour son « manque de courtoisie » et « son caractère âpre » (p. 180-181) ; c'est un personnage qui « ne se faisait pas aimer mais craindre » (p. 180 et de nouveau, avec des mots différents, p. 191), « méprisant et grossier » ou simplement « menteur » (p.183-184), selon les moments et surtout incohérent, arbitraire et contradictoire (la dernière appréciation, par exemple aux pages 166, 175, 176…), complétant le portrait de son caractère par les mots « faible ou nulle capacité d'autocritique », car « Azaà±a avait coutume d'accuser les autres de ses erreurs et échecs » (p. 188). Dans un livre qui veut mesurer le degré de liberté d'expression d'une époque il semblerait suffisant, pour disqualifier le personnage, de faire référence à son « manque de scrupules dans le contrôle de la Presse » (p.191). Rien de ce qui est recueilli plus haut n'est appliqué aux leaders de la droite, cette droite qui est bien mieux mise en valeur même si c'est sous les gouvernements radical-cedistas que se produisent les pires attentats contre la liberté d'expression, chose qui n'est pas relevée par Sinova.

La République espagnole n'a pas eu, en réalité, le temps de se consolider. L'auteur du livre cite souvent, approbateur, la Loi sur l'Imprimerie de 1883, laissant apparaître son caractère « particulièrement libéral » (p.41), mais semble oublier que sa promulgation se produit plus de huit ans après la restauration de la Monarchie en Espagne, après un temps très dur de persécution pendant lequel l'on établit des tribunaux spéciaux pour les « délits » de publication. Il ne semble pas avoir présent à l'esprit non plus que durant toute la Monarchie restaurée (et pendant la dictature de Primo de Rivera), se produisent les plus grandes aberrations légales et extralégales contre toute voix dissidente. Les différences de critère au moment d'agir contre un journal dans une province ou dans une autre, le caractère arbitraire des actions, les journalistes pénalisés sans savoir la cause, la manipulation de la loi pour harceler le dissident jusqu'à exténuation…, les techniques pour briser ceux qui affichaient leur liberté n'ont pas été apprises par les républicains sous la Dictature mais sous la Monarchie canoviste. Le manque de solidarité de la presse lorsque les journaux de droite étaient agressés, considérée comme « surprenante » (p.64), n'était que la réponse avec la même monnaie après des décennies d'oppression sans que les journaux de la monarchie libérale ne s'inquiètent pour la situation des organes d'opinion les plus progressistes. Tout ce que Justino Sinova rapporte figure point par point dans l'Histoire du journalisme espagnol depuis longtemps et apparaît même dans quelques expressions entre guillemets du livre (p. 360-361), sans qu'il n'y ait de volonté d'approfondir ces citations. S'il y a eu erreur, celle de la République sur ce point ne peut être autre (ce n'est pas peu) que celle d'écrire le nom de République là où auparavant figurait Monarchie, en laissant cependant le mouvement ouvrier et les carlistes continuer à jouer le rôle d'éternels poursuivis. Peut être que le problème résidait, comme l'avait dit Ortega y Gasset dans une célèbre conférence prononcée le 23 mars 1914, dans le fait que la Monarchie constitutionnelle et son principal artifice, Cà¡novas del Castillo, avaient corrompu en Espagne « jusqu'à l'incorruptible », en commençant, comme disait le philosophe, par un républicanisme qui pour encaisser les coups de l'ennemi se voyait forcé d'adopter ses positions, même s'il les dessinait en négatif.

Le lecteur du volume, ou de tout autre, n'est pas obligé de faire sienne la position dont part l'auteur, d'assumer ses données préalables ni d'atteindre ses mêmes conclusions. Une bonne partie de l'information recueillie dans différents documents voit le jour maintenant et en annexe, le texte apporte un choix de grande valeur de documents et de pages de journaux. Ce travail intéressant, solide, polémique même biaisé mérite d'être accueilli avec satisfaction. Son flux de données en fait déjà une référence incontournable pour comprendre ce que voulait être et ce qu'a été – différence cruciale – la Seconde République espagnole. Pour une vision plus mesurée en ce qui concerne la liberté de la presse il faudra attendre une synthèse qui répondra à une troisième question. Qu'avait-on permis d'être à ce régime qui était né chargé d'espoirs ?

Victor Rodrà­guez Infiesta

Jacques Thouroude, Ouest-Matin : un quotidien breton dans la Guerre froide (1948-1956), Rennes, Éd. Apogée, 2006, 255 p., 20 euros

La Libération a marqué une évolution dans la stratégie du parti communiste pour étendre son influence dans les quatre départements bretons à travers la presse. L'hebdomadaire régional qu'il publiait avant la guerre sous le titre La Bretagne ouvrière, paysanne et maritime, fut remplacé par quatre hebdomadaires départementaux. À ces quatre titres, il voulut ajouter un quotidien au début de 1945. Pierre-Henri Teitgen l'empêcha de mener à bien ce projet, en préférant accorder une autorisation de paraître à une coalition radicalo-socialiste pour compléter l'arc-en-ciel des tendances politiques dans la presse quotidienne bretonne. Les deux partis créèrent La République sociale, dirigée par Yves Lavoquer. Le journal a vu le jour en avril 1945, mais il ne réussit pas à s'implanter véritablement et disparut à la mi-novembre 1947, laissant ainsi un vide que les communistes s'attachèrent à combler assez rapidement. À la fin octobre 1948, ils lancèrent un autre titre, Ouest-Matin, dont Jacques Thouroude, ancien professeur d'histoire-géographie dans un lycée professionnel en Ille-et-Vilaine, vient d'écrire l'histoire.

Contrairement à la plupart des journaux communistes dont l'identité est généralement définie dans le sous-titre ou par la personnalité de son directeur politique, Ouest-Matin essaya d'abord de donner le change, notamment avec son directeur, Henri Denis, professeur à la Faculté de Droit à l'Université de Rennes. Avec beaucoup de perspicacité, Jacques Thouroude présente celui-ci par l'analyse de ses engagements et de son parcours. Proche du gouvernement de Vichy durant l'Occupation, notamment par ses travaux sur le corporatisme, il fut pressenti à la Libération, selon certaines sources, pour représenter le MRP aux élections cantonales de septembre 1945. Finalement, il se laissa attirer par le parti communiste dont il défendit les positions aux deux référendums sur la Constitution en 1946. Sa participation à la création de l'Union des Chrétiens Progressistes (UCP) qui prônait une collaboration étroite des chrétiens et des communistes dans les luttes politiques et sociales, fut un autre signe qui ne trompa pas les observateurs attentifs.

La stratégie d'avancer masqué dans un premier temps, de manière à séduire un lectorat aussi large que possible, fut rapidement découverte, et les colonnes du quotidien furent bientôt remplies par les mots d'ordre et les combats du parti communiste. À la suite d'une lecture attentive de la collection du journal, l'auteur les a regroupés autour de quatre thèmes : la lutte pour la paix, la défense du modèle communiste, la dénonciation des guerres coloniales en Indochine et en Algérie, la promotion de la culture et des valeurs socialistes.

Dans ces combats, Ouest-Matin affronta des confrères solidement implantés, en particulier Ouest-France et le Télégramme de Brest, avec qui il polémiqua régulièrement dans l'espoir de ternir leur image auprès de leur lectorat. Il se heurta aussi à une hiérarchie catholique, soucieuse de préserver ses fidèles de l'influence pernicieuse du parti communiste et de leur montrer les limites d'une politique de la main tendue. Enfin, les nombreux procès qui lui furent intentés, en particulier par le gouvernement, finirent de le déstabiliser. Son compte d'exploitation ne fut jamais positif et, finalement, malgré les nombreux appels réitérés aux militants pour sauver leur journal, le parti communiste dut se résoudre à arrêter sa parution en juin 1956.

Le lecteur appréciera de trouver tout au long de ce livre, au bas de chaque page, de nombreuses notes qui viennent éclairer ou compléter une argumentation conduite avec rigueur et sérieux. En revanche, il regrettera l'absence, à la fin du volume, des sources utilisées et de la bibliographie consultée, ainsi que d'un index des noms cités qui auraient contribué grandement à accroître encore l'utilisation de cette étude.

Yves Guillauma

Alfred Le Petit, Je suis Malade. Curieux carnets d'un séjour à l'Hôtel-Dieu en 1903-1905. Présenté par Guillaume Doizy et Jean François Le Petit, Paris, éd. Alternatives, 2007, 140 p.

La force de ce livre tient à celle de son héros lui-même. Après une introduction qui place le dessinateur dans son contexte, l'Hôtel-Dieu de Paris, il donne la parole à l'artiste entre septembre 1903 et mars 1905. Celui-ci s'exprime aussi bien, c'est-à -dire excellemment, par la plume que par le crayon.

Journaliste et caricaturiste de talent, Alfred Le Petit (1841-1909) est une des figures-phares de la presse satirique de la fin du Second Empire et des premières décennies de la IIIe République, au même titre qu'André Gill, son contemporain. Engagé dans les polémiques de son temps, il place des dessins dans La Lune (1866) et dans Le Journal Amusant (1867-1883), fondé par Charles Philipon en 1856. Le Petit fonde lui-même son premier journal, le Tam-Tam, en 1867. En 1869, on le retrouve dans L'Eclipse fondée le 9 août 1868 par André Gill, pour remplacer La Lune interdite par la censure, le 17 janvier précédent. En 1870, Alfred Le Petit crée La Charge (1870-1871), puis, Le Pétard (1877-1879) et Le Sans Culotte (1878-1879). En 1871, après la chute de l'Empire, il dessine pour La Montagne, un journal communard, mais il ne prend pas part à l'insurrection et quitte Paris. On le retrouve ensuite dans Le Grelot (1872-1880), Le Charivari (1872-1886 et 1900-1901), Le Rire (1895-1898), c'est-à -dire les meilleurs journaux satiriques de la période. Entre 1896 et 1897, il est présent dans les feuilles anti-dreyfusardes et donne quelques dessins à L'Assiette au beurre en 1901. Il vit donc de sa plume et de ses dessins. Il s'adonne aussi à la photographie et se produit à l'Athénée dans des spectacles de chansonniers. En 1895, il expose à Paris et commence à tenir son journal en illustrant largement son texte de silhouettes, de scènes et de personnages de son quotidien.

Quand, le 5 septembre 1903, il entre à l'Hôtel-Dieu pour se faire soigner d'une furonculose aiguà« , il a soixante-deux ans. Il n'est pas étonnant qu'il occupe ses journées à rédiger un journal, dont le livre suit le parcours chronologique. En fait, 93 pages sur 103 appartiennent aux carnets des quatre derniers mois de l'année 1903, sept se situent sur cinq dates de 1904, entre février et décembre et trois sont datées de janvier 1905.

Alfred Le Petit y raconte ses rapports avec le corps médical, les visites qu'il reçoit, l'évolution de son mal, mais, surtout, il peint ce monde clos dans lequel il est maintenant immergé, l'hôpital. Le dessin est pour lui une respiration et tenir ce carnet illustré maintient son moral en occupant son temps. Il porte un jugement distancié et bienveillant sur son entourage. Il raconte, au jour le jour, la vie du patient et les menus faits de son quotidien. On suit ainsi les visites du grand professeur entouré de ses internes, chefs de clinique et de laboratoire, de stagiaires, infirmières et religieuses, l'arrivée et le départ des voisins de lit, les soins trop souvent douloureux en particulier les piqûres ou les ponctions, opérées sur le malade atteint de pleurésie à l'aide d'une pompe aspirante et refoulante inventée par le grand professeur Dieulafoy, qui le soigne. Le Petit affiche ses portraits à la tête de son lit. Il attire l'attention des médecins, des soignants et des malades qu'il s'offre ensuite à portraiturer, inaugurant ainsi un petit commerce.

À travers son carnet, on découvre tout de la vie des malades. D'abord, les rituels de l'admission, interrogatoire et fiche de renseignement à remplir, déshabillage pour que les vêtements soient désinfectés dans des étuves, bain du patient. Puis, l'environnement immédiat : la grande salle Saint-Christophe qui compte quarante lits, qu'il juge bons, la tablette, fixée au-dessus du chevet, où se trouve l'urinoir et le bocal destiné aux urines, les meubles, en particulier la table de chevet avec un verre, une carafe et un pichet de vin. Sont aussi décrits les repas, pris au lit et les occupations de la journée, lecture très souvent, visites des parents et amis, jeux de société avec les voisins, cartes, dames et dominos. Le Petit décrit aussi les passages à la cantine où sont vendus « toutes sortes de bibelots, mais absolument rien pour manger ». C'est là , dans ces grandes salles communes, que les malades souffrent, quelquefois gémissent, meurent aussi, car on meurt beaucoup à l'hôpital.

Alfred Le Petit s'intéresse aussi aux maladies. En 1866, il a fait un séjour à l'Hôtel-Dieu de Rouen et poussé loin l'étude de l'anatomie. Entre 1903 et 1905, à l'Hôtel-Dieu de Paris cette fois et dans le lit du malade, sa curiosité ne s'est pas démentie. Elle l'amène à dessiner les malformations ou les difformités qu'entraînent certaines pathologies et les corps de la salle de dissection. Enfin, il fréquente le laboratoire et dessine les lieux, les animaux écorchés, les laborantins penchés sur leur microscope, les rayons où sont posés des flacons et des tubes en tous genres.

Tant par la plume que par le crayon, l'artiste nous livre un vrai reportage sur l'Hôtel-Dieu. Cet univers prend vie et s'anime des petits ennuis et des grandes douleurs de ceux qui viennent y chercher le soulagement de leurs maux. Alfred Le Petit laisse ainsi à l'histoire un témoignage exceptionnel que cette édition d'une partie de ses carnets révèle. Les reproductions des dessins, crayons noirs, sépias ou aquarelles sont excellentes et la mise en page très variée. On aurait aimé connaître leurs provenance, carnets ou feuilles volantes empruntées à des sources différentes, ce que la variété des formats des images reproduites ne permet pas de préciser. On regrettera aussi l'absence de tables, des matières et des illustrations, et certaines ambiguà¯tés : pour le premier regard d'un lecteur qui ne connaît pas l'artiste, le portrait de la couverture est celui d'Alfred Le Petit, ce que dément cependant l'absence de ressemblance avec l'autoportrait de la page 29. De même, en l'absence d'une légende précise, la présence, en quatrième de couverture, d'un amputé de la jambe appareillé provoque la même interrogation. Mais, on ne boudera pas son plaisir pour la lecture d'un ouvrage, à la fois aimable et grave, qui nous livre un extraordinaire témoignage sur l'hôpital au tout début du xxe siècle.

Hélène Duccini

[1] Và­ctor Olmos : Historia del ABC, Plaza y Janés, Madrid, 2002.

[2] Marà­a Cruz Seoane et Susana Sueiro : Una historia de El Paà­s y del Grupo Prisa. De una aventura incierta a una gran industria cultural Plaza y Janés, Barcelone, 2004.

[3] Manuel Llanas : Gaziel. Vida, periodisme i literatura. Publicacions de l'Abadia de Montserrat, Barcelone, 1994.

[4] Justino Sinova, La censura de prensa durante el franquismo, Madrid, Espasa-Calpe, 1989.

Citer cet article : https://www.histoiredesmedias.com/Parutions,491.html

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