Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Sébastien Denis, Le cinéma d’animation (Armand Colin, 2007). Recension par Caroline Moine.

Cet ouvrage paru dans la collection « Armand Colin Cinéma », dirigée par Michel Marie et déjà riche de nombreux titres de référence, comble un manque sur le cinéma d’animation. Le lecteur y trouvera de nombreuses pistes de réflexion et de recherche, faisant de cet ouvrage foisonnant, muni d’une bibliographie et d’index précieux, un outil indispensable. L’enjeu de l’ouvrage est posé d’entrée par son auteur, historien du cinéma et agrégé d’arts plastiques : non pas chercher à donner une définition de l’animation, mais en proposer une lecture historique et thématique.
Sébastien Denis ouvre son étude en rappelant que le cinéma d’animation n’est pas un genre mais une technique – tout à la fois un procédé et un processus de création. Le premier chapitre est ainsi consacré aux multiples techniques permettant de brouiller les frontières entre réel et imaginaire. Les conditions de production sont naturellement ici essentielles, de l’autoproduction sous forme artisanale aux grands studios, donnant naissance à des styles spécifiques. Le cas de l’univers de Disney, celui d’un créateur et de son entreprise, mais aussi d’une « iconographie agressive, conquérante, globalisante mais fondamentalement moderne » est analysé dans un chapitre à part (ch. 7). Il est rappelé le rôle important joué, dans le passé comme de nos jours, par des structures nationales contraignantes mais à l’engagement financier indispensable, comme le Service de la Recherche de l’ORTF en France (Les Shadoks), le Soyuzmultfilm en URSS ou l’Office du film en Iran.
Sébastien Denis retrace ensuite l’histoire du cinéma d’animation, de ses origines à nos jours, à travers le passage « du fixe à l’animé », sous l’angle notamment des liens étroits entre bandes dessinées et animation. Les cartoons, qui émergent dès les années 1910, formant un genre en soi, font l’objet d’un chapitre entier (ch. 6). Emile Cohl en France et Winsor McCay aux Etats-Unis sont les grands pionniers de cette histoire. Les arts classiques, dont la peinture, ont inspiré également de nombreux auteurs d’animation, à l’exemple des films de Norman McLaren. Ce jeu fascinant de transferts de formes et d’images entre différents supports et formes artistiques, d’un pays à l’autre, d’une période à l’autre, traverse l’ensemble de l’ouvrage. Un autre chapitre est ainsi consacré à la place de l’animation dans les arts plastiques et appliqués d’avant-garde, des futuristes aux créations postmodernes et à la nouvelle génération numérique actuelle (ch. 3). Le rôle de la musique et des sons dans l’animation est aussi largement étudié, des Silly Symphonies de Walt Disney dans les années 1920, aux séquences animées de Pink Floyd The Wall (Allan Parker, 1982), sans oublier les clip vidéos (ch. 4).
Au sein des « mondes parallèles de l’animation », Sébastien Denis distingue quatre types différents : l’animation « utile » (publicité, films de propagande, clips vidéo…), l’animation commerciale depuis les années 1910, l’animation d’auteur proche du cinéma expérimental et enfin l’animation liée au vaste champ des effets spéciaux (étudiés en conclusion de l’ouvrage). Le chapitre 5 montre comment le cinéma d’animation a aidé à « vendre, éduquer et convaincre », de ses origines à nos jours : si les techniques changent au fil du temps, le principe de la propagande et de la mobilisation par l’animation est très ancien.
Les deux derniers chapitres de l’ouvrage sont consacrés aux profondes mutations que le cinéma d’animation a connues depuis 1945, sur le plan institutionnel (création de festivals par exemple), technique et esthétique, devenant un outil de « reconnaissance, de contestations et d’engagement », sur le terrain social et politique. La diversité et la complexité des productions d’Europe de l’Est sont évoquées à travers les Å“uvres des grands maîtres du genre (Norstein, Svankmajer, Lenica, Trnka…), mais aussi la production nord-américaine, liée à la culture psychédélique des années 1960 aux années 1970, et qui propose un cinéma d’animation alternatif présentant l’envers du rêve américain (South Park depuis 1997).
Cet ouvrage devrait, espérons-le, contribuer à la reconnaissance du cinéma d’animation comme un champ d’investigation à part entière, offrant de passionnants sujets de recherche où se croisent histoire des médias, arts plastiques et sciences de l’information.
Caroline Moine
Recension publiée dans Le Temps des médias n° 13, Hiver 2009-2010, p. 237-238.