Accueil du site > Actualités > Recensions d’ouvrages > Médias - Communication > Ouvrage : N. Finzcsh, U. Lemkull, Atlantic communications. The media in American and German History from the Seventeenth to the Twentieth century (Berg, 2004). Recension par Michael Palmer.

Recensions d’ouvrages

envoyer l'article par mail title= envoyer par mail Version imprimable de cet article Version imprimable Augmenter taille police Diminuer taille police

Ouvrage : N. Finzcsh, U. Lemkull, Atlantic communications. The media in American and German History from the Seventeenth to the Twentieth century (Berg, 2004). Recension par Michael Palmer.

Espace-temps USA au cours duquel la « techno-globalization » est déjà à l’œuvre : tel serait l’angle d’un ouvrage qui reprend les communications présentées lors d’un colloque dans la ville allemande de Krefeld et où la plupart des auteurs centrent sur ce long siècle et demi, fin xviiie- mi xxe, qualifié de « siècle américain » par un journaliste anglo-américain en vue, Harold Evans. Les titres de chacune des cinq parties de l’ouvrage captent les thèmes ou sujets ici analysés : les « bonnes nouvelles » diffusées au xviie et au xviiie siècle (victoires d’armées royales, la prégnance du discours chrétien) ; le rétrécissement de la barrière spatio-temporelle que constitue l’Atlantique, cet océan qui deviendra, aux yeux de ses voyageurs fréquents, simple « Ã©tang » (‘a pond’), avec le développement des échanges entre l’Europe et l’Amérique du nord facilité par le télégraphe électrique ; « le journalisme », la modernité, la masse et « les fouilles-merde » ; la radio, entre le dispositif et son impact ; la télévision, la mémoire et la commémoration, avec en filigrane les thématiques du devoir de mémoire et des lieux de mémoire.

Du Te Deum Laudeamus à la mini-série ‘Holocaust’- - la vingtaine de communications ici réunies enjambent l’espace - l’Allemagne, parfois l’Europe centrale, et la British North America devenu États-Unis sans donner le tournis.

Enseignants-chercheurs en poste pour la plupart, dans des universités états-uniennes ou allemandes, la vingtaine d’historiens-« communicants » partent du « discours » (speech) et de l’oralité et arrivent à l’Internet qu’ils excluent pourtant de leurs analyses : leurs propos portent sur l’analyse d’un médium, les modalités du message qu’il véhicule, à l’aune de la circulation des échanges transatlantiques, et ce, que ceux-ci portent l’empreinte de l’urgence, de la propagande ou des symboles ; à titre d’exemple, comment véhiculer et médiatiser le passé immédiat (Hitler et l’Holocauste, par exemple) dans les produits cinématographiques et télévisuels diffusés en Allemagne et aux États-Unis ? Modalités, techniques et technologies de la communication jouxtent dans les divers chapitres de l’ouvrage ; par ailleurs les commentaires des « discutants » et les échanges suscités lors du colloque, sont une partie intégrante, fort bien maîtrisée, de l’ensemble d’un ouvrage que complète du reste une bibliographie pointue. Les recherches ici présentées sont parfois reprises par les « discutants » et directeurs de l’ouvrage avec une orientation plus ambitieuse encore : comment le développement des échanges, des messages, produits et thématiques véhiculés par les médias grâce aux technologies de la communication modifia-t-il l’histoire même des rapports transatlantiques ?

Le résultat peut paraître éclectique : le premier chapitre traite de la manière grâce à laquelle les émigrés européens, récemment débarqués, interprètent la parole Divine comme synonyme d’une forme d’une célébration d’une Amérique mythifiée (Frank Lambert) ; le dernier chapitre, lui, examine le rôle de l’audiovisuel dans la médiatisation des discours sur la « Solution Finale » (terme allemand) devenue l’« Holocaust » (terme américain). On se permettra d’ajouter que l’historien de l’Europe de l’après-guerre, Tony Judt, voit l’importance même de l’audience des téléspectateurs (plus de la moitié de la population adulte de l’Allemagne) de l’Holocauste, minisérie américaine, comme une étape décisive dans l’appropriation d’un devoir de mémoire outre-Rhin.

Il n’en demeure pas moins que la diversité même des interactions, des allers et retours, des brassages… entre l’Allemagne et les États-Unis, avec l’Angleterre, la France et la Russie en invités à la noce ou visiteurs du soir - c’est selon - éclaire plus qu’elle n’obscurcit la vision d’ensemble. Pour D. Paul Nickles, écrivant depuis Washington DC, il est établi que la place centrale comme support et vecteur qu’occupe tour à tour le tract à l’époque des Lumières, la dépêche télégraphique au xixe siècle, et les images des actualités télévisées au xxe, reflète un déplacement des logiques qui impulsent le pouvoir culturel et informationnel de l’Europe occidentale aux États-Unis. Pour Jürgen Wilke (Mayence), une « nouvelle » technologie, tel ce même télégraphe électrique, est à appréhender autant pour sa valeur symbolique (synonyme de « progrès » moral, plus encore qu’économique) que pour son efficacité instrumentale.

De même, les études comparatistes portant par exemple, sur la situation de la presse allemande et états-unienne vers 1800, d’abord, en ou 1900 ensuite soulignent les discours d’accompagnement et la valeur symbolique associés aux médias, tout autant que le contenu et le réseau de diffusion des messages. Ces comparaisons ne s’arrêtent pas là : pour Hermann Wellenreuther (p.91), le thème même du « trop-plein » de l’information, et la nécessité de mettre au point des critères discriminants pour faire sens, à travers le fatras ainsi ressenti, aurait caractérisé l’univers de Philippe II d’Espagne - que pointèrent tour à tour, chacun à sa manière, Fernand Braudel et Pierre Chaunu, rappelons-le aussi bien que celui de bien des historiens aujourd’hui.

Tout autant que les « médias classiques », les romans, les sermons, les guides touristiques et la musique populaire (Glenn Miller et le big band swing…) constituent le matériau des représentations ici disséquées. On s’interrogera peut-être sur les discours sur les médias et la modernité, où le « progrès » cède souvent au débat sur la « mauvaise presse », qui amènent à une prise en compte des médias comme une série d’artefacts culturels qui concourent à la médiatisation de l’Histoire.

La réunion dans un seul ouvrage des communications apparemment aux antipodes est elle-même stimulante ; si la radio, en Allemagne, émergea dans les années 1920 comme un agent d’intégration sociale plutôt conservateur et hostile à l’invasion mass-médiatique anglo-américaine (Inge Marszolek), le journalisme d’investigation agressive, dite muck-raking, que pratiquait la génération d’avant-1914 aux États-Unis, se développa en Allemagne et en Autriche avec une focale sur une préoccupation de réforme sociale, qui parfois rappelle, parfois ignore, « le modèle » états-unien (Markus Behmer) ; vus d’Allemagne, les États-Unis, d’une part, les pratiques et modus operandi des journalistes états-uniens, d’autre part, servent tantôt de modèle, tantôt de repoussoir. À quand, donc un colloque et un ouvrage analogue, France-États-Unis, France-Grande-Bretagne-Allemagne ?

Michael Palmer

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 6, printemps 2006, p. 249-251.

Citer cet article : https://www.histoiredesmedias.com/Ouvrage-N-Finzcsh-U-Lemkull.html

Dans la même rubrique