Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Jean-Pierre Bédéi, L’info - pouvoir, manipulation de l’opinion sous la Ve République (Actes Sud, 2008). Recension par Marie-Christine Lipani Vaissade.

La télévision peut-elle faire un bon candidat à l’élection présidentielle ? Pour Jean-Pierre Bédéi, la réponse est oui. Son ouvrage le démontre, mais il serait réducteur de penser que ce livre se concentre uniquement sur le rôle joué par la télévision, sorte de vaisseau amiral de la communication politique des candidats, pendant la course à l’Élysée. L’auteur se livre à une analyse profonde des relations sulfureuses entretenues par le pouvoir politique et l’information à la télévision depuis 1958. Il ne s’agit ni d’un récit linéaire, ni d’une étude historique exhaustive, l’auteur a choisi de mettre en exergue les tendances fortes, les comportements clés caractérisant les époques et les gouvernements successifs. Avec finesse, il démontre comment les élus et les puissants ont transformé l’information à la télévision en un système fermé, dont les journalistes eux-mêmes ne sont pas sortis indemnes. Ce système, c’est celui de l’info-pouvoir. Le lecteur est captivé. Cet ouvrage se lit comme un polar, tant le suspens est prenant, tant les rebondissements et les changements d’attitudes des personnages interpellent, tant le mensonge s’insinue dans les situations les plus extrêmes. Il y a pourtant un problème, ce n’est pas une fiction. L’histoire de la France est en train de s’écrire et ce livre explique la façon dont les chefs d’État ont gouverné, et surtout dévoile la façon dont le pouvoir en place a rendu compte de ses activités aux citoyens.
Trois temps constituent l’architecture de l’ouvrage.
Le premier montre l’info-pouvoir dans toute sa splendeur, quand le contrôle politique s’exerce dans « sa forme la plus brutale et la plus primaire ». La télévision est l’instrument majeur du gouvernement gaulliste. Il est vrai, comme le souligne l’auteur que « l’information est trop sérieuse pour la laisser aux mains des journalistes ». Dès 1958, la main-mise du pouvoir gaulliste sur l’info est quasi permanente, cela passe par le contrôle de ce qui est diffusé et par la mise en place de personnel (bien pensant) à la tête des médias.
La seconde partie s’intéresse à la dissimulation, l’omerta à la française, mais au nom de la raison d’État bien sûr. L’auteur revient, entre autres, sur la maladie du président Pompidou tenue secrète et surtout sur la façon dont les journalistes étaient sans cesse écartés. Situation qui s’est ensuite reproduite avec François Mitterrand puisque son cancer a été caché pendant près de onze ans aux Français. Dans les deux cas, il y avait comme une sorte « d’ union nationale » pour dissimuler la situation. Et l’auteur d’expliquer : « A côtoyer les puissants, la presse aliène elle-même son indépendance dans une connivence avec les cimes du pouvoir politique qui lui fait fermer les yeux sur certaines pratiques de désinformation qu’elle a pourtant pour vocation de dénoncer… » (page 136).
Bédéi pointe ainsi la fabrication des secrets d’état et les chapitres consacrés à Tchernobyl et la tragédie d’Ouvéa démontrent avec quelle assurance les responsables politiques d’alors ont diffusé des informations qu’ils savaient parfaitement fausses, toujours au nom de la raison d’État.
L’information manipulée est le thème de la troisième période. L’auteur plonge dans un univers impitoyable, celui de la communication politique où l’image est la plus forte, et où les sondages dictent leurs règles. Personne n’y échappe, tous les candidats se jettent dans les bras de la communication pour s’humaniser un peu, peut-être ? Résultat : le faire savoir l’emporte sur le savoir faire et l’opération se révèle parfois un vrai jeu de farces et attrapes. Imaginez Raffarin affirmant chez Drucker que sa chanteuse préférée est Lorie. Qui croira Fabius soutenant qu’il se passionne pour la Star Ac ? La communication frise parfois le ridicule. Mais les stars de la politique ont réussi à imposer un principe où tout le monde trouve son compte. Les chaînes de télévision sont ravies d’accueillir sur leurs plateaux les ténors politiques, mêmes s’ils n’ont rien à dire ; elles sont très heureuses de faire de l’audience. Les affaires sont les affaires…
Aujourd’hui, les pressions politiques sont moindres mais les médias sont confrontés à une nouvelle forme de pression, celle imposée par les contraintes économiques. Contrôles, mises en scène de l’information, effacement des journalistes…. Ces derniers ont du mal à résister aux stratégies de communication, si bien que les jeunes journalistes trouvent cela… normal. L’auteur, au-delà des machinations qu’il révèle pose une question cruciale : comment rester aujourd’hui un journaliste professionnel ? Finalement, le lecteur est alerté : le journalisme politique existe-t-il encore à la télévision ?
Marie Christine Lipani Vaissade
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 11, hiver 2008-2009, p. 263-264.