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03 - Public, cher inconnu !

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Véronique Odul

Le Point et ses lecteurs : une affaire de fidélité

Le Temps des médias n°3, automne 2004, p. 74-82.

La création du Point, hebdomadaire d’information générale, au début des années 1970, répond à un projet journalistique fondé sur un principe éthique hautement revendiqué et fortement empreint de marketing. Les cadres et cadres supérieurs sont la cible clairement identifiée du journal. Et depuis sa création, Le Point met en avant le lien de responsabilité, puis au fil des années, de fidélité unissant ses lecteurs et le journal. englishflag

 [1]La France, est, on le sait, un pays où la presse magazine se porte bien [2]. La famille des hebdomadaires d'information y est d'ailleurs riche de plusieurs titres répondant tous, plus ou moins, à la définition du news magazine. Même si chaque titre possède son propre style, on relève des caractéristiques communes aux lecteurs de ces journaux : « ils touchent surtout des cadres supérieurs, des professions libérales et intellectuelles, des professions intermédiaires habitant Paris et les grandes villes » [3].

En 1978, le directeur de la rédaction du Point, Claude Imbert, estimait qu'un « news magazine se caractérise par son ambition à couvrir la totalité de l'actualité en insistant sur tel ou tel point, en fonction de l'idée qu'il se fait de l'attente et de son public » [4]. Depuis sa création en 1972, Le Point manifeste une volonté d'établir avec ses lecteurs un contrat particulier [5] : celui d'un hebdomadaire d'information générale s'adressant à des individus « responsables ». Et c'est précisément le discours que Le Point tient à ses lecteurs qui sera analysé ici.

Le Point et ses lecteurs : un lien de raison

25 septembre 1972, paraît dans les kiosques le premier numéro du Point [6]. Ce nouvel hebdomadaire d'information, fruit de la collaboration active d'une équipe de journalistes et d'administrateurs issus pour la plupart de L'Express [7], et avec l'appui financier de la Librairie Hachette, est l'aboutissement d'une réflexion préalable très approfondie [8].

« Le journal projeté devrait être le news magazine des années 1970, destiné à un public de cadres urbains d'un niveau d'éducation, de responsabilité et de revenus élevés, et répondant aux besoins nouveaux de ce public, dont les modes de vie et de préoccupations ont sensiblement changé depuis dix ans » [9]. Cette phrase liminaire au projet de création du nouvel hebdomadaire d'information, présentée à Hachette à l'automne 1971, affiche d'emblée et clairement l'ambition. Plutôt qu'une cible vaste mais floue, l'équipe fondatrice opte pour une clientèle très ciblée, restreinte mais homogène. En effet, l'équipe a remarqué que la politique de large diffusion pratiquée par L'Express depuis quelque temps se fait au détriment de l'homogénéité de son public, et notamment des « cadres supérieurs urbains » [10]. Les résultats d'une enquête auprès d'un échantillon de cadres dirigeants commandée à la société d'études Cofremca [11] confirment l'équipe dans ses choix : la formule présentée attirerait une clientèle plus homogène et plus concentrée de cadres dirigeants. C'est donc à eux que le nouvel hebdomadaire s'adressera.

Définir ainsi précisément le lectorat visé constitue une option fondamentale de la stratégie commerciale du Point. En effet, les cadres supérieurs – réputés détenteurs d'un fort pouvoir d'achat – sont très prisés par les annonceurs. Pour ces derniers, il est effectivement plus intéressant de retenir un support qui s'adresse à un type précis de population, de préférence à un journal lu indistinctement par toutes les catégories socio-professionnelles. En terme éditorial, un tel objectif vise également la qualité rédactionnelle, car cette cible moins large mais précise s'avère très exigeante quant à la qualité de l'information, du commentaire, et de l'écriture. Consciente des attentes de ces lecteurs potentiels qui viendront au nouvel hebdomadaire par « besoin d'une publication utile à leur vie sociale et professionnelle, et qui les confirme dans le sentiment d'appartenir à une élite, à un “club†», l'équipe fondatrice entend leur proposer « un journal sophistiqué » [12].

À « l'éloge partout de la folie » [13], Le Point choisit la raison. Telle est l'apostrophe de l'éditorial du premier numéro, intitulé « Aux lecteurs ». Et c'est effectivement un « lien de raison » que le nouvel hebdomadaire d'information désire proposer.

Prenant acte de l'évolution d'une société submergée par l'information et dont les centres d'intérêts ont changé, la vocation du Point est d'être un news magazine, héritier du modèle anglo-saxon initié par l'américain Time, dont le but est d'aider le lecteur en lui délivrant une information sélectionnée, classée, expliquée et approfondie ainsi que des analyses rigoureuses, pour lui donner les moyens de comprendre son environnement et de forger son propre jugement. Le nouvel hebdomadaire est, classiquement, divisé en rubriques (Guide, Nation, Ville, Monde, Économie, Société, Civilisation) mais veut se distinguer par son contenu. L'éditorial-manifeste de son premier numéro définit ses quatre vertus cardinales : le service du lecteur, la vérité, l'irrespect et le non-conformisme. L'indépendance du Point, à l'égard du monde politique et culturel, comme de son propriétaire, y est érigée en valeur fondatrice. « Nous nous soucierons peu de savoir si ce que nous écrivons plaît ou déplaît aux gouvernements en place ou aux oppositions installées. Pour Le Point, il existe un ordre de l'information qui n'est pas celui des pouvoirs ». Dans cet esprit, l'un des slogans de la vaste campagne publicitaire, qui précède le lancement du nouvel hebdomadaire, affirme : « Le Point aura des lecteurs et non des militants ». La campagne pour les élections législatives de 1973 est l'occasion de réaffirmer cette vocation d'indépendance et d'objectivité. Dans un éditorial intitulé « Le Point et les élections », l'hebdomadaire explique que, conformément à la définition de son rôle, le lecteur ne trouvera « pas de recommandation de vote » [14] dans les colonnes du journal. Et c'est toujours dans le même souci que, quelques mois plus tard, le 17 décembre 1973, le journal titre à la « une », « Messmer doit partir ». Ce coup rédactionnel, sans précédent en France, délivre dès lors une image de l'indépendance revendiquée du journal, présentée comme sa « raison d'être » [15].

S'inscrivant sur le même terrain que L'Express, et dans une moindre mesure du Nouvel Observateur [16], Le Point doit conquérir sa place sur un marché où L'Express est commercialement bien établi. Arguant qu'une partie du lectorat de ce dernier titre est insatisfait car il connaît un infléchissement politique depuis le retour à la tête de l'hebdomadaire de son propriétaire, le radical Jean-Jacques Servan-Schreiber, et qu'ainsi il abandonne progressivement la formule du news magazine dans sa stricte acception, l'équipe fondatrice pense qu'il existe bel et bien une place pour Le Point en tant qu'hebdomadaire d'information. Du reste, dans l'esprit des fondateurs, il s'agit aussi d'offrir une alternative au lecteur et de mettre fin au monopole de L'Express : « Jusqu'ici, on lisait un hebdomadaire, maintenant on le choisira » ! [17]

En matière de diffusion, Le Point opte pour une politique spécifique : l'équipe fondatrice choisit délibérément de privilégier la vente au numéro et refuse de brader le tarif des abonnements. Dès ses débuts, l'hebdomadaire annonce qu'il ne sera fait aucune remise sur le prix normal de l'abonnement. À un lecteur très satisfait par le premier numéro et qui souhaite s'abonner au Point à condition toutefois qu'un prix exceptionnel pour cet abonnement lui soit consenti, à l'instar des autres hebdomadaires, Le Point répond : « plutôt que de gonfler artificiellement notre diffusion avec des acheteurs forcés, nous préférons conquérir et garder des lecteurs vraiment intéressés. Votre lettre nous permet de croire que vous choisirez Le Point. Mais votre liberté reste entière » [18]. Pour les responsables du Point, l'un des intérêts majeurs d'une politique de diffusion axée sur la vente dans les kiosques est de tester en permanence l'intérêt des lecteurs pour le nouvel hebdomadaire et de créer chez eux une démarche volontaire d'achat. Selon les responsables, l'abonnement promotionnel présente un vice dans la mesure où cette méthode vend plus le rabais que le journal.

Très rapidement, le nouvel hebdomadaire manifeste son souci de connaître le profil de ses lecteurs de même que leur degré de satisfaction. Ainsi, après trois mois d'existence, Le Point livre les premiers résultats des enquêtes. Le magazine est lu par plus d'un million de lecteurs. Les précisions sur leur composition [19] sont jugées satisfaisantes pour l'équipe du journal ; le lectorat du Point est masculin (pour 55%), fortement parisien (42% des lecteurs habitent la région parisienne et 58% la province) et « cadres supérieurs » ou dans les affaires pour 21%. Le Point s'avère, s'enorgueillit-on, « un journal exceptionnellement jeune » : 44% des lecteurs ont, en effet, moins de 35 ans.

« L'ambition des fondateurs du Point était et reste de faire un journal non partisan à l'usage de citoyens actifs » [20]. Toujours dans le souci de préciser l'image de ses lecteurs, l'hebdomadaire a fait réaliser par la société BVA une enquête. Il en livre les résultats dans un éditorial qui dresse un véritable portrait-robot, très détaillé, des lecteurs du Point : « ils sont plus ouverts, libéraux, novateurs que la moyenne » peut-on lire, et ce « aussi bien dans leur vie privée, dans leurs comportements culturels que dans leurs attitudes politiques ». On y apprend que le lecteur du Point est bien un « citoyen actif » car « il appartient fréquemment à un mouvement culturel, confessionnel, municipal, sportif et y exerce volontiers un rôle dirigeant. Dans son entreprise, sa responsabilité se situe souvent à un niveau exceptionnellement élevé ». S'il a « la curiosité d'un homme cultivé », il n'en demeure pas moins un consommateur averti. Et pour conclure, il semblerait – y apprend-on – que le contrat passé entre Le Point et le lecteur soit rempli : « quel que soit leur engagement personnel, ils nous sont reconnaissants d'être indépendant de tout parti politique ».

Dans les mois qui suivent, Le Point revient régulièrement sur ce contrat, et, à chaque fois, les intentions de celui-ci sont réaffirmées. Il en est ainsi, par exemple, à l'occasion du premier anniversaire de l'hebdomadaire : « La diversité des opinions, des tempéraments qui s'expriment dans Le Point en font un carrefour d'information et de réflexion que nous avons voulu. (…) Nous respectons votre indépendance, comme il paraît, en nous lisant, que vous appréciez la nôtre » [21].

Les ventes continuent de progresser, de même que l'audience : 1 333 000 lecteurs pour Le Point, selon l'enquête du CESP de 1974 qui confirme les tendances précédentes. Le lectorat masculin est relativement important (63% d'hommes), la concentration de cadres supérieurs est forte (30,8%) et l'audience jeune (57,5% des lecteurs ont moins de 35 ans). Et lorsque Claude Imbert, le directeur de la rédaction, présente ces résultats dans l'éditorial publié dans le centième numéro du Point, il ne manque pas d'associer les lecteurs à la réussite du Point et de les remercier. [22] Le lien de proximité et de responsabilité entre Le Point et ses lecteurs continue progressivement de se souder.

« Le Point, je sais pourquoi je le lis »

Au cours des années 1970, Le Point enregistre une forte croissance de ses ventes. De 160 000 exemplaires écoulés en moyenne la première année, il atteint 300 000 exemplaires au début des années 1980. Le titre met trois années pour s'installer et atteindre l'équilibre financier, malgré les difficultés que connaît alors le monde de la presse touchée notamment par la crise du papier. Et lorsque le 4 octobre 1976, Le Point publie ses comptes d'exploitation et que ceux-ci se révèlent supérieurs à ceux escomptés, ce sont les lecteurs et les annonceurs que le journal remercie pour cette réussite. Le slogan de sa campagne publicitaire peut dès lors proclamer « Le Point, l'hebdomadaire qui progresse » [23] ; la diffusion tout comme l'audience du jeune hebdomadaire sont en hausse constante. L'audience [24] atteint 1 493 000 personnes en 1976, 1 910 000 l'année suivante et franchit la barre des 2 millions de lecteurs en 1978. La part des cadres et cadres supérieurs se confirme puisqu'un lecteur sur deux appartient à ces catégories entre 1976 et 1978. Ce qui permet alors à Claude Imbert de déclarer que Le Point n'est pas « un journal populaire » [25].

Au début des années 1980, l'hebdomadaire poursuit son développement. En 1981, année des élections présidentielles, il atteint une diffusion totale de 336 201 exemplaires [26], avec des ventes records pour la vente au numéro (177 415 exemplaires) et une audience de 2 292 000 lecteurs. Alors qu'il célèbre son dixième anniversaire, le titre apparaît résolument tourné vers une clientèle « haut de gamme ». En 1982, Le Point enregistre une audience de 2 035 000 lecteurs [27]. En effet, un peu plus d'un lecteur sur deux (51,9%) est cadre, avec un pourcentage important pour les cadres supérieurs (26,5%). Le public du titre est à dominante masculine (55,9%), plutôt jeune (44,8% des lecteurs ont moins de 35 ans), citadine (62,7% habitent Paris ou une agglomération de plus de 100 000 habitants), un lecteur sur trois ayant un niveau d'études supérieures (33,6%). Après une décennie d'existence, Le Point semble avoir trouvé son public. D'ailleurs, la stabilisation des ventes autour des 330 000 exemplaires dans la première moitié des années 1980 le laisse penser.

« Lecteurs, mes frères, amis de la presse et du genre humain, cadres moyens et supérieurs, fureteurs bénis de nos hebdomadaires » [28]. N'oubliant pas que Le Point s'adresse essentiellement à des cadres, la carrière de ceux-ci fait l'objet de la plus grande attention. En témoignent les numéros consacrés chaque année au « salaire des cadres ». Devenus de véritables « marronniers » pour les hebdomadaires de ce type, ces numéros enregistrent souvent de très bons résultats de vente [29]. Conçu comme un service rendu aux lecteurs, le thème est décliné à foison : Le Point les renseigne sur leur argent, leurs placements, leur retraite, les voies de la réussite, les stratégies pour se faire augmenter. Quant aux annonces d'offre d'emploi, elles participent du même souci de répondre aux préoccupations professionnelles des cadres. En 1983, Le Point se réjouit que, depuis 1979, la rubrique « Le Point des situations » a enregistré « la plus forte progression des rubriques d'offres d'emploi destinées aux cadres » et qu'elle est « un support apprécié par les entreprises et unanimement recherché par les cadres de haut niveau de formation » [30]. Le Point recherche, on le voit, une adéquation entre ces offres d'emploi et son positionnement. La rubrique « Le Point confidentiel », riche en révélations politiques et économiques, est elle aussi présentée comme un service indispensable aux lecteurs « parce qu'ils occupent des fonctions où il est souvent nécessaire de savoir avant les autres et mieux que les autres afin de prévoir, décider, trancher » [31]. Le Point est conscient que pour ce public de décideurs et de responsables, être informé correspond à une nécessité professionnelle.

Si le contenu rédactionnel d'un hebdomadaire comme Le Point demeure incontestablement axé sur l'actualité nationale et internationale, il n'empêche que le service du lecteur est, comme on l'a vu, l'une de ses priorités originelles. Il y pourvoit en offrant chaque semaine un « guide » de la vie quotidienne et culturelle dans lequel le lecteur trouve des articles de renseignements pratiques sur le cinéma, le théâtre, les disques, la gastronomie, les achats, etc. Par ailleurs, la formule journalistique du news magazine est telle qu'elle permet d'accorder une large place à des dossiers portant sur des questions de société, les loisirs et la culture. Ainsi, à l'actualité politique immédiate se substituent régulièrement, en couverture, des dossiers qui s'adressent directement aux lecteurs en répondant à leurs goûts et à l'évolution de leur mode de vie [32]. Une tendance à l'individualisme se manifeste. Le Point radioscopie régulièrement la société française et, par le biais de grandes enquêtes, tente de mesurer « le bonheur » : il analyse « la génération du petit bonheur », se demande « où vit-on le mieux en France ? » et publie « le palmarès du bien-être ». L'hebdomadaire propose aussi à ses lecteurs des dossiers concernant leur logement, indique les meilleures voies pour réussir et classe universités et grandes écoles. Périodiquement, il prend le pouls des Français et répond aux interrogations des lecteurs concernant leur santé. Cholestérol, migraines, régimes, rhumatismes, allergies, chirurgie esthétique, dépression nerveuse…, autant de maux que Le Point examine. Ces dossiers montrent bien la volonté de l'hebdomadaire d'être au plus près des préoccupations de ses lecteurs.

Le Point évolue doucement vers une forme plus institutionnelle, davantage axée sur les abonnements. La vente par abonnement tend à prendre le pas sur la vente au numéro. Et la fidélité devient un terme souvent utilisé par Le Point pour qualifier le lien qui unit ses lecteurs au magazine. Déjà , en 1981, l'équipe directrice du journal y fait référence quand elle s'adresse à ses lecteurs pour expliquer ses craintes sur les effets que pourrait avoir la nationalisation de Matra sur le journal par l'entremise d'Hachette, et pour réaffirmer son indépendance comme valeur fondamentale de sa démarche [33]. Cet éditorial salue, en effet, « une fidélité exceptionnelle de lecteurs qui le lisent parce qu'il est ce qu'il a promis d'être » [34]. En septembre 1986, pour renforcer encore les liens avec eux, Le Point crée un « Cercle des lecteurs » qui offre des privilèges exclusifs. Conçu autour de rencontres avec ceux qui font l'actualité politique, économique et culturelle, de voyages culturels, d'invitations aux avant-premières de spectacles, le club revêt une forte connotation culturelle. Son ambition est d'offrir, en plus, à ses lecteurs : « information, culture, qualité » [35].

« Le Point, je sais pourquoi je le lis », affirme une série de personnalités du monde littéraire ou audiovisuel, mises en scène en 1988, pour la campagne publicitaire du titre, désormais sûr de son positionnement. Il s'agit alors de montrer que Le Point est un « journal lu par des gens importants » [36], explique Jacques Duquesne.

À la fin des années 1980 toutefois, le titre commence à donner des signes d'essoufflement. La diffusion et l'audience connaissent une lente érosion : de 329 658 exemplaires en diffusion totale en 1984, le titre se tasse à 316 268 exemplaires en 1989. De même, les bénéfices diminuent. Par ailleurs, le journal connaît depuis quelques années le départ de certains de ses fondateurs (Philippe Ramond, Olivier Chevrillon et Georges Suffert). Il est vrai, en outre, que le marché des hebdomadaires d'information générale peut sembler encombré depuis la création de L'Événement du Jeudi par Jean-François Kahn en 1984. Le 16 janvier 1989, une nouvelle formule du Point est proposée, la plus importante depuis la création de l'hebdomadaire. En préalable à cette transformation, des études qualitatives (cinq tables rondes menées par Ipsos) et quantitatives (3 000 personnes interrogées) ont été menées auprès de lecteurs de news, de non-lecteurs, d'anciens et d'actuels lecteurs du Point. À l'appui des résultats, l'hebdomadaire entend prendre en compte l'évolution des attentes du lectorat dans un paysage où les médias audiovisuels sont devenus prédominants, tout en réaffirmant la force de l'écrit. Il s'agit de redonner de la vivacité et une meilleure lisibilité au titre souvent considéré comme austère. Parmi les changements notables, l'on note le passage à la quadrichromie, une augmentation de la pagination ainsi que l'apparition de commentaires personnalisés, avec notamment l'éditorial de Claude Imbert. Et c'est dans un éditorial intitulé « Fidèlement vôtre » que Claude Imbert présente aux lecteurs la nouvelle formule du Point. Si la fidélité des lecteurs est réaffirmée, la fidélité du Point à sa vocation initiale – celle d'un hebdomadaire d'information générale – l'est également. « Il s'agit toujours chaque semaine, de vous aider à faire, avec nous, le “Point†» [37], rappelle Claude Imbert.

Trente ans après sa création, et même si depuis les années 1990 la formule du Pointa beaucoup évolué [38], le magazine revendique toujours ses premières ambitions : être, chaque semaine, le plus complet possible, tout en préservant une farouche volonté d'indépendance. S'il n'est pas le seul hebdomadaire d'information générale sur le marché français, Le Point se considère comme « le plus news des news ». Réputé pour sa couverture politique, il se distingue aussi par des partis pris souvent marqués. Ayant fait le choix d'un lectorat élitaire, il reste « le journal de référence lu par les décideurs » [39]. Apparemment, le degré d'attachement des lecteurs du Point à leur hebdomadaire demeure élevé : le taux de réabonnement parmi les abonnés de plus de deux ans atteint 90%. Et Le Point, d'aimer – il est vrai – à répéter qu'il ne cherche qu'à « satisfaire ses lecteurs, qui, comme le disait Raymond Aron, sont les vrais patrons des journaux » [40]. Toutefois, l'on est en droit de s'interroger sur les réalités et les limites d'un tel discours qui, depuis trente ans, prône une forte volonté d'indépendance mais qui, paradoxalement, est soumise à de fortes contraintes, notamment commerciales, devant un public aussi ciblé.

[1] Merci à Anita Dexmier (directeur adjoint des études et du marketing) et Jean-François Hattier (directeur de la diffusion) du Point ainsi qu'à Jacques Duquesne dont les témoignages et les documents communiqués ont été très précieux pour cette étude.

[2] Jean-Marie Charon, La presse magazine, Paris, La Découverte, 1999, 120 p. ; « La presse magazine », Réseaux, n°105, 2001.

[3] Jean-Pierre Marhuenda, « La lecture de la presse écrite », p. 182, in Claude-Jean Bertrand (dir.), Médias. Introduction à la presse, la radio et la télévision, Paris, Ellipses, 1999, 2e édition.

[4] « Les news magazines », EPP, 20 février 1978.

[5] Jean-Marie Charon, op. cit., p. 5.

[6] Sur la création de cet hebdomadaire, voir Véronique Odul, Le Point, un hebdomadaire d'information. Du projet à l'affirmation d'une identité, mémoire de DEA d'histoire contemporaine, Lille III, 1995.

[7] Cette équipe est composée d'Olivier Chevrillon, Claude Imbert, Georges Suffert, Jacques Duquesne, Pierre Billard, Henri Trinchet, Robert Franc, Philippe Ramond et Michel Bracciali.

[8] Au cours d'un entretien qu'il accorde à Presse Actualité en janvier 1975, Philippe Ramond, directeur du Point, explique que les méthodes du marketing ont été utilisées. Ainsi, avant le lancement, six études ont été menées : une pour vérifier que l'hebdomadaire défini par l'équipe fondatrice correspond à un créneau du marché ; une étude de simulation de marché concurrentiel pour mesurer le marché potentiel de ce créneau ; une étude auprès des lecteurs potentiels pour définir l'efficacité respective des différents modes de commercialisation possibles ; une étude sur la réceptivité de vente ; une étude sur la réaction des lecteurs à l'égard du numéro 0 et de maquettes diverses ; une dernière pour la recherche du titre.

[9] Archives privées d'Olivier Chevrillon, « Projet “NM†. Notes de synthèse », p. 2.

[10] Ibid., Annexe III : Le marché du nouveau NM », p. 6-7.

[11] Archives privées d'Olivier Chevrillon, « Une équipe de professionnels pour un journal objectif : Le Point », avril 1972.

[12] Archives privées d'Olivier Chevrillon, « Projet “NM†. Annexe I : Raison d'être et caractéristiques spécifiques d'un nouveau magazine », p.4.

[13] « Aux lecteurs », Le Point, n°1, 25 septembre 1972, p.5.

[14] « Le Point et les élections », Le Point, n°16, 18 janvier 1973, p. 5.

[15] Archives privées d'O. Chevrillon, « Note confidentielle : à propos de la ligne politique du Point », 1er avril 1974.

[16] Les fondateurs du Point ne considèrent pas Le Nouvel Observateur comme un concurrent direct. Selon eux, Le Nouvel Observateur est un hebdomadaire d'opinion alors que Le Point se définit comme un hebdomadaire d'information stricto sensu. Cf. les propos tenus par Philippe Ramond in EPP, 28 avril 1975.

[17] Propos tenu par P. Ramond, le directeur de la gestion (venu de L'Expansion), dans le dépliant conçu spécialement à l'usage des dépositaires en septembre 1972.

[18] « Courrier des lecteurs », Le Point, n°3, 9 octobre 1972, p. 117.

[19] « Qui sont les lecteurs du Point ? », Le Point, n°17, 15 janvier 1973, p. 5.

[20] « Qui lit Le Point ? », Le Point, n°33, 7 mai 1973, p. 5.

[21] « Un numéro comme les autres », Le Point, n°53, 24 septembre 1973, p. 5.

[22] Claude Imbert, « Point 100 », Le Point, n°100, 19 août 1974, p. 5.

[23] Publicité publiée dans EPP, 6 décembre 1976.

[24] Enquêtes CESP de 1976, 1977 et 1978.

[25] « En bavardant avec Claude Imbert, rédacteur en chef du Point », EPP, 16 mai 1976, n°1042.

[26] Les chiffres de diffusion donnés sont ceux de la diffusion totale, source Diffusion contrôle-OJD.

[27] Enquêtes CESP de 1982.

[28] Claude Imbert, Ce que je crois, Paris, Librairie générale de France, 1985.

[29] Par exemple, « Le salaire des cadres » en couverture du Point du 9 janvier 1978 a enregistré une vente sur Paris-Surface de 45 682 (sixième position des 50 meilleures ventes des news sur Paris-Surface), in « Les ventes des news depuis cinq ans », Le Journal de la presse, 12 mars 1979, p. 20-21.

[30] Le Point, 17 janvier 1983, n°539, p. 70.

[31] « Le Point confidentiel », Le Point, 15 avril 1984, n°604.

[32] Pour suivre la part grandissante des cadres dans la société française, cf. Henri Mendras, La Seconde révolution française, 1965-1984, Paris, Gallimard, 1984.

[33] Depuis la prise de contrôle de la Librairie Hachette par le groupe Matra, la direction du Point entreprend de rechercher une solution assurant et garantissant son indépendance. Ainsi, en janvier 1982, un accord de cession concernant l'hebdomadaire est conclu entre Hachette et la Gaumont, avec l'accord des fondateurs du Point.

[34] « Aux lecteurs », Le Point, 19 octobre 1981, n°471, p. 73.

[35] Jacques Duquesne, « Aux lecteurs », Le Point, 8 septembre 1986, n°729, p. 55.

[36] Entretien de l'auteur avec Jacques Duquesne, 3 juin 2004.

[37] « Fidèlement vôtre », par Claude Imbert, Le Point, 16 janvier 1989, n°852, p. 57.

[38] Dans une stratégie de conquête et de séduction des lecteurs, Le Point modifie profondément et à plusieurs reprises sa formule (en 1994, puis en 2001). Par ailleurs, il met en place une politique de numéros spéciaux ainsi qu'une politique d'éditions ciblées destinées uniquement aux abonnés (l'édition « Affaires » et l'édition « Universités et Grandes Écoles »).

[39] Cf. Julien Carpentier, Le Point, monographie d'un news magazine : 1993-2001, mémoire de maîtrise d'information et de communication, Institut français de presse, 2002, p. 71 ; propos tenu par Franz-Olivier Giesbert lors d'un entretien accordé à Julien Carpentier.

[40] Le Point, 31 janvier 2003, n°1585, p. 5.

Citer cet article : https://www.histoiredesmedias.com/Le-Point-et-ses-lecteurs-une.html