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17 - Communiquer le sacré

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Mélisande Leventopoulos

La reconfiguration d’une médiation iconique : expériences audiovisuelles jésuites à Lyon-Fourvière après Vatican II (1964-1974)

Le Temps des médias n°17, Automne 2011.

Au sein de la maison de formation de Lyon-Fourvière, des jeunes jésuites composent un projet audiovisuel novateur après Vatican II. Ce mouvement est ici appréhendé en interaction avec la politique du concile dans le champ médiatique. L’audiovisuel, devenu le prisme privilégié d’une nouvelle lecture du monde, conduit les étudiants en théologie à remettre en question, presque involontairement, la mission apostolique professée par Vatican II. Refusant toute propagande religieuse, ils réadaptent leurs pratiques audiovisuelles au point d’initier une nouvelle forme d’expression communautaire par la vidéo. englishflag

Par LEVENTOPOULOS Mélisande  [1]

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En 1962, la deuxième session du concile Vatican II débat d’un schéma sur les « moyens de communication sociale ». Sous ce vocable conciliaire, presse, radio, cinéma et télévision sont regroupés. Le décret Inter Mirifica, faisant suite au schéma, est promulgué le 4 décembre 1963 : à l’heure de l’aggiornamento, il témoigne d’une acceptation générale des médias voire même d’une banalisation de leur usage religieux. Contrairement à l’encyclique Vigilanti Cura sur le cinéma (Pie XI, 1936), le décret de 1963 omet, alors que la terminologie adoptée l’y prédisposait pourtant, le problème du contrôle social et de l’influence des médias sur les masses, pour décliner - sans grande conviction d’efficacité - les responsabilités de chacun dans le domaine [2]. Priorité est donnée à l’action pastorale [3]. Inter Mirifica ouvre ainsi la voie à un nouvel équilibre médiatique dans l’Eglise, dépassionné, où les instruments de communication sociale servent à annoncer le Message du salut.

Paradoxalement, de nouvelles pratiques médiatiques catholiques poussent à l’extrême la dilution du message apostolique dès la fin de Vatican II. Au théologat jésuite de Lyon-Fourvière [4], un groupe de scolastiques [5] place le film au centre de ses espoirs d’un véritable aggiornamento culturel. Cette posture séculière par laquelle les scolastiques reconsidèrent leur rapport au monde apparaît tout à fait inédite au regard de l’histoire des pratiques médiatiques catholiques. Le questionnement des étudiants en théologie sur le sens de la communication audiovisuelle prend initialement appui sur le cinéma, plus marginalement sur la télévision, avant de se reporter sur la vidéo dès 1969, si bien qu’ils comptent parmi ses premiers utilisateurs en France avec Carole Roussopoulos et Jean-Luc Godard [6]. D’abord, leurs expériences successives peuvent être envisagées comme l’expression d’une alternative audiovisuelle née du concile. Toutefois, la véritable bifurcation médiatique engagée face à la politique conciliaire apparaît aussi comme une des modalités de la contestation – vaste remise en cause du mode de vie jésuite – qui touche le théologat jusqu’à sa fermeture en 1974. Enfin ce double mouvement conjuguant action sociale et herméneutique des médias s’apparente à un processus heuristique, expérimentant les possibilités d’une communication spirituelle dans l’audiovisuel.

Scolastiques dans l’élan des communications sociales

Au cours de l’année universitaire charnière de 1964-1965, René-Claude Baud avec Jean-Claude Eslin et d’autres scolastiques récemment arrivés à Fourvière, consacre une journée d’étude à l’Evangile selon Saint-Matthieu (Pier Paolo Pasolini, 1964) au sein de l’équipe cinéphile [7]. Primé par l’Office catholique international du cinéma (OCIC), ce film, cristallisant les enjeux iconiques de Vatican II au point d’avoir été projeté aux pères conciliaires, est alors méticuleusement examiné : les scolastiques établissent une comparaison systématique entre le texte biblique et le scénario, poursuivant ce travail pour la bande sonore. Insatisfaits de la portée religieuse de l’Evangile selon Saint-Matthieu, ils l’opposent au Condamné à mort s’est échappé (Robert Bresson, 1956). Ces théologiens, signataires d’un article collectif dans l’organe de l’OCIC en juillet 1965 [8], veulent aller au-delà de l’approche conciliaire qui se satisferait, selon eux, d’une expression cinématographique prosaïque du Message. Indirectement, ils reprochent au concile de n’avoir pas su exprimer la médiation religieuse présente dans l’image, telle que la définit, au même moment, le philosophe sulpicien Amédée Ayfre. Dans sa dimension apostolique même, l’Evangile selon Saint-Matthieu serait sclérosé : il ne permet pas de sortir de la représentation pour ce cheminement complexe de conversion aux images décrit par Ayfre et que Baud fait sien [9].

Certes symbolique, cette première critique de l’interprétation conciliaire des moyens de communication sociale prend une tournure plus radicale au printemps 1965. La commission médiatique, née du concile et commune aux quatre provinces jésuites de France, sert de tremplin à la critique. Au sein de cette commission, Michel Farin conteste l’idée même d’ « apostolat culturel » à laquelle se cantonnerait le décret conciliaire : il remet ainsi en cause l’un des fondements de l’action culturelle de l’Eglise de France, convaincue depuis les années 1920 de l’efficacité quasi magique de sa « mission du cinéma ». Aussi réfute-t-il toute entreprise utilitariste dans ce secteur des moyens de communication sociale :
"Nous aurons beau produire du « religieux », nous ne répondrons pas à une angoisse profonde qui vient du fait que nous ne savons plus exactement ce que nous faisons et ce que nous vivons dans cette expérience nouvelle. Nous ne pouvons pas simplement nous intégrer tranquillement à une production qui justement produit des choses qui demeurent opaques à ceux qui les font ou les reçoivent. Par exemple, on est incapable de dire exactement pourquoi tel film a du succès et non tel autre, ou quel est vraiment le responsable d’une Å“uvre, ou quel type de communication s’établit par la télévision" [10].

Comme René-Claude Baud, également déçu par Inter Mirifica dès cette période, Michel Farin tire ses enseignements d’expériences de terrain. Venant de passer un an de formation à l’IDHEC et à la télévision, il est sensibilisé aux enjeux des médias de l’image et aux besoins des professionnels. Mais, à l’évidence, cette remise en question de l’apostolat révèle une prise de conscience sociologique, influencée vraisemblablement par Michel Souchon, jésuite spécialiste de la télévision (Veyrat-Masson, 2004), que Farin a côtoyé un temps aux Etudes. Télévision et cinéma, nécessitent d’être compris dans le but de définir une « Ã©thique » et non pas une « morale provisoire » catholique, mais extérieure à l’expérience et indifférente aux hommes. Pour ne pas fuir la véritable question du « mystère de la communication par l’image », le scolastique appelle à la création d’un centre de recherche jésuite [11]. L’étude comparée d’Alphaville (Jean-Luc Godard, 1965) et de l’émission d’André Voisin Les conteurs, permet à Michel Farin d’exposer un premier programme d’analyse portant sur la conciliation du réel et de l’imaginaire au sein du monde contemporain [12].

Résonnances conciliaires

Contre le mythe apostolique, l’ALFAC (association lyonnaise pour la formation d’animateurs culturels), est fondée à la rentrée 1965 au sein du théologat. Elle porte un projet éducatif de culture populaire faisant écho aux objectifs exprimés par Michel Souchon, véritable passeur, dans son article exactement contemporain sur les publics de cinéma [13]. Aussi ses fondateurs entendent-ils s’inscrire dans un vaste effort commun, pour éduquer les masses par l’image animée [14]. Mais l’ALFAC ne mobilise que 10% de scolastiques en 1967 [15]. Encadrée par certains professeurs dont le père Beauchamp, régent des études parfois dépassé par les exigences de la jeune génération, l’association permet de rendre visible un collectif d’étudiants, restreint mais uni dans son engagement jusqu’au-boutiste au sein du secteur culturel.

L’association ne se limite pas à dénoncer l’illusion apostolique ; elle arbore l’épithète « non confessionnel ». Selon René-Claude Baud, concepteur du projet, l’activité culturelle se doit – bien qu’elle privilégie l’éducation de groupements de jeunes en milieu populaire souvent non chrétien – d’être désintéressée : toute propagande religieuse, comme politique [16], est ainsi proscrite. Par la suite, le scolastique conçoit aussi le fonctionnement de l’ALFAC dans le sillon de Gaudium et Spes, constitution pastorale promulguée le 9 décembre 1965 qu’il salue pour sa largeur d’esprit en matière culturelle [17]. Le refus de toute « stratégie apostolique » prend alors appui sur l’un des textes majeurs de l’aggiornamento : en intégrant le monde de leur temps, les scolastiques seraient en mesure de partager une réflexion commune avec leurs contemporains, la plus universelle et égalitaire possible, dans le respect de la liberté religieuse de chacun.

Toutefois, aux débuts de l’ALFAC, l’orientation pastorale semble perdurer, quoique réduite à sa forme minimale. Certains étudiants restent attachés aux objectifs d’Inter Mirifica et justifient la réflexion partagée à l’occasion d’un film comme une « pré-évangélisation », ainsi opérée dans des milieux peu réceptifs à la parole religieuse [18]. En outre, le collectif entend contribuer au renouveau d’une politique culturelle de l’Eglise de France jugée par trop moraliste (dans l’émission des cotes morales par exemple) et contre laquelle ils se dressent. Former des animateurs se justifie donc d’abord au regard de besoins chrétiens : il faut répondre au désir d’utilisation de l’audiovisuel chez les enseignants, curés, aumôniers ou militants, et contribuer au décloisonnement des milieux religieux. C’est pourquoi les jeunes jésuites forgent leurs premières armes au sein des structures diocésaines de cinéma [19].

Le film en partage

Le processus de sécularisation débute au sein du théologat. Car l’ALFAC permet de contourner le problème de la formation aux moyens de communication sociale, appelée de tous leurs vÅ“ux par les scolastiques à partir de 1965 [20]. S’y substitue une autoformation à base de fiches filmographiques et de lectures critiques [21]. La dimension utilitaire des lectures est assumée : certaines revues, plus faciles d’accès, sont préférées à l’instar des fiches de Téléciné, bulletin de la catholique FLECC (fédération loisirs et culture cinématographiques), dont la posture séculière se rapproche de celle des scolastiques de Fourvière. Parallèlement, une lutte de terrain est menée contre la consommation irréfléchie d’images animées à Fourvière. Pour cela, un groupe de réflexion sur les émissions les plus marquantes de la télévision française est constitué [22]. De plus, l’ALFAC, en organisant de nouvelles sessions cinématographiques, transforme les pratiques cinéphiles d’une majorité de scolastiques, qui s’approprie plus aisément le matériau filmique : lors de la session de novembre 1966, les étudiants sont, par exemple, incités à déconstruire les films d’Alexandre Astruc, en présence de ce dernier, dans le cadre de réunions à plusieurs niveaux [23].

Au sortir du théologat, les scolastiques prennent principalement appui sur les structures culturelles de l’Etat (donc a fortiori non confessionnelles) pour militer contre le « désarroi culturel » [24] qu’ils constatent. L’ensemble des activités s’adresse à des jeunes mais trois secteurs se dessinent [25] : les ciné-clubs et quelques télé-clubs [26] de quartiers (MJC), ceux des MAJO (maison des jeunes ouvriers) et l’animation en prison [27]. Majoritaires en nombre, les clubs MAJO révèlent la prééminence d’un apostolat social par la projection cinématographique. Pourtant, l’association rompt définitivement sur le terrain avec tout intermédiaire religieux. Les ciné-clubs permettent surtout d’explorer « la dynamique de groupe propre aux mass media » qui préoccupe le collectif étudiant depuis la naissance de l’association. René-Claude Baud par exemple, analyse l’évolution de la prise de parole dans le ciné-club carcéral où peu à peu, le regard des prisonniers se transforme : « le film amenait spontanément le jeune détenu à se juger lui-même ». L’animateur s’enthousiasme alors quant à « la profondeur de l’expérience offerte dans un ciné-club » et explore les mécanismes psychologiques mis en jeu par la projection et par l’échange.

L’impasse des projections

Dans un premier temps, la programmation traduit l’utopie d’une formation culturelle, complète et immédiate : outre les incontournables films hollywoodiens, plusieurs classiques soviétiques sont au programme MAJO de 1966-1967 tandis que la programmation commune aux maisons de quartier destinée à un public mixte d’ouvriers et d’étudiants, est d’autant plus diversifiée. Après la projection du Troisième homme (Carol Reed, 1949) qui donne lieu à une discussion fournie et de Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, 1961) jugé difficile, Jean-Louis Masson, animateur du ciné-club de la rue Cavenne, doute de l’accessibilité de la programmation [28]. A sa suite, Baud remet en cause les priorités cinéphiles de l’ALFAC et propose d’ouvrir la programmation aux films commerciaux contemporains (notamment les James Bond). La démystification de l’image animée est alors définie comme l’objectif primordial des ciné-clubs car, elle seule, permettrait la formation critique du jeune ouvrier.

Afin de laisser libre court à la vie de chaque groupe, le collectif s’oriente finalement vers une politique de l’effacement, affirmant par là même son refus de l’autoritarisme. La formation de nouveaux animateurs, encadrés par l’ALFAC selon le modèle mis en place pour les ciné-clubs scolaires, permet une progressive prise d’autonomie de chaque structure. Après avoir assuré la relève au ciné-club de Montplaisir, René-Claude Baud est considéré comme un simple participant. Ici, le refus de l’apostolat culturel aboutit à l’immersion totale du jeune jésuite au sein du groupe dont il partage les destinées filmiques. Mais le groupe affronte les « limites du culturel » [29] dès 1967. Les animateurs se décrivent maintenant comme des apprentis sorciers, incapables d’exploiter les dynamiques des groupes de jeunes ouvriers. Aussi les scolastiques pensent-ils le culturel en termes politiques : changer les structures politico-économiques apparaît, dès lors, comme la condition sine qua non de l’ouverture de l’accès à la culture. Dans un élan nihiliste né de ces observations, le collectif dénonce « l’illusion » des ciné-clubs dont la répétition infinie, jugée absurde, aboutit à une démultiplication de la consommation passive [30].

Expérimenter de nouvelles médiations religieuses

Crise de la pratique cinématographique, départ de scolastiques du premier collectif de l’ALFAC [31] et diversification de l’activité (vers la photographie par exemple [32]) alimentent un questionnement autoréflexif sur le sens de la mission culturelle du théologien. Comment « intégrer » ces pratiques culturelles au parcours théorique de l’étudiant en théologie ? Alors que l’animation de ciné-clubs ne constitue plus un intermédiaire culturel de prédilection durant l’hiver 1968, l’expérience personnelle de spectateur devient la condition de cette intégration. Nul besoin de se distinguer en allant au cinéma pour compter les plans. Les jésuites veulent partager le regard de « tout le monde » pour rechercher « une véritable vie imaginative » [33]. Cette communauté de destin est pensée comme condition d’une interprétation plus profonde de la communication née de l’image, en syntonie avec l’objectif même de la discipline théologique.

La création artistique – ici se confondant avec la manipulation technique – constitue l’autre forme d’expérience consacrée par le collectif, pour le dépassement de l’illusion du tout culturel [34]. Elle répond aussi aux besoins d’une recherche herméneutique renouvelée. Les sessions d’étude de 1968 et 1969 inaugurent cette double polarisation technique et scientifique. La première, consacrée à la publicité, confirme la recherche d’un nouvel intermédiaire technique pour penser l’image qui supplante l’analyse filmique. Les scolastiques confrontent alors leurs réalisations publicitaires préparatoires au matériau diversifié fourni par plusieurs entreprises [35]. La session d’étude sur la télévision de novembre 1969 se focalise sur le service de recherche de l’ORTF [36], auquel collaborent plusieurs jésuites : faisant le lien entre production nationale et recherche fondamentale, ce dernier cristallise alors véritablement les attentes du collectif de Fourvière.

L’acquisition de matériel vidéo en décembre 1969 [37] accélère le processus d’internalisation des pratiques culturelles au sein du théologat [38]. Dix-huit unités de production-réalisation sont constituées début 1970 ; elles réalisent chacune une émission. Poursuivant le projet de créer une chaîne de télévision propre à la maison, une partie de ces réalisations relèvent du reportage. D’autres expriment les intérêts temporels des scolastiques à l’instar de celle sur le maoïsme. En outre, le père Beauchamp réalise une série d’émissions sur les enjeux pédagogiques de la Genèse [39]. Nouveau type d’expérience, la vidéo intègre donc – au sens recherché par les scolastiques – la communauté jésuite. Si bien qu’un véritable regard introspectif est porté sur la Compagnie.

Parce qu’elle véhicule une tension propice à la rupture au sein du groupe, la vidéo devient, pour le collectif qui s’y engage, un prisme d’analyse des jeux de rôle à l’œuvre dans le théologat. Jean-Claude Dietsch comme Michel Farin [40] investissent celle-ci d’un fort potentiel émancipateur : la vidéo serait initiatrice de nouveaux types de relations correspondant à autant de lieux de rencontre « au tournage, sur l’écran et devant l’écran ». « De nous à nous » [41], la vidéo se fait donc élément moteur d’une autonomisation de la nouvelle génération jésuite, permettant ainsi de repenser la communauté religieuse. Au demeurant, l’engouement collectif laisse place à un émiettement total des initiatives alors que l’ALFAC tombe en désuétude dès 1972-1973 [42]. A la fermeture de la maison de Fourvière en juin 1974, le matériel magnétoscopique, en mauvais état, est déménagé au centre Sèvres, nouveau centre de formation parisien. Jean-Claude Dietsch, maintenant enseignant, y anime un séminaire sur les médias qui est finalement abandonné en 1975, faute d’étudiants inscrits [43].

La fermeture du théologat de Lyon-Fourvière marque, selon nous, la fin d’un rapport collectif aux images animées. La nouvelle génération jésuite quitte d’ailleurs le champ médiatique à l’exception notable de Michel Farin, resté réalisateur au Jour du Seigneur. Les valeurs conciliaires ont-elles en aval bloqué les expériences audiovisuelles dans la Compagnie ? En 1965, les scolastiques ont pris au pied de la lettre la formule « moyens de communication sociale ». Leurs pratiques successives témoignent, en ce sens, d’un réagencement continuel pour approcher cette notion. Elles explorent ainsi les multiples combinaisons d’une médiation iconique perfectible. Tiraillé entre recherche du mystère de l’image et refus de toute propagande religieuse, le collectif de Fourvière découvre alors les difficultés d’une communication audiovisuelle qui semble loin d’être automatique, à l’intérieur comme à l’extérieur du théologat.

Paradoxalement, au moment même où les jésuites sont prêts à abandonner la résolution collective de ce problème communicationnel, la Commission pontificale des moyens de communication sociale, mandatée par Vatican II, promulgue l’instruction pastorale Communion et progrès. Celle-ci émane d’une vaste consultation internationale et renouvelle ainsi l’univers théorique quelque peu sclérosé par le décret conciliaire. Par simple effet de résonnance peut-être, l’instruction pastorale, manifeste d’une « nouvelle communication dans l’Eglise » [44], se rapproche des questionnements scolastiques. Pourtant, la reformulation officielle du rapport à l’image ne stimule aucunement le collectif jésuite en dissolution. Entre l’émission d’Inter Mirifica et le renouvellement de la politique conciliaire, l’aggiornamento culturel de Fourvière s’est ainsi exprimé à contretemps.

Bibliographie

Avon, Dominique et Rocher, Philippe, 2001, Les jésuites et la société française : XIXe-XXe siècle, Toulouse, Privat, 288 p.

Pelletier, Denis, 2002, La crise catholique, Payot, 321 p.

Veyrat-Masson, Isabelle, 2004, « Michel Souchon, du CECMAS à France Télévision, un itinéraire », Le Temps des médias, n° 3, p. 195-205.

[1] Doctorante en histoire, allocataire-monitrice au département d’histoire de l’Université Paris 8, EA 1571, Ecole doctorale pratiques et théories du sens. Contact : leventopoulos_melisande@yahoo.fr.
Cette recherche s’appuie sur le dépouillement du carton Q LY 524 concernant l’action culturelle à Fourvière, conservé aux archives françaises de la Compagnie de Jésus à Vanves (ici AFSJ). Nous remercions le père Robert Bonfils pour son accueil et son aide. Merci également au père Michel Farin, pour l’entretien qu’il nous a accordé en décembre 2010.

[2] Voir le chapitre premier d’Inter Mirifica « La doctrine de l’Eglise » dans Martin, Paul-Aimé, (directeur de publication), 1979, Vatican II, les seize documents conciliaires, Montréal-Paris, Fides, p. 521-525.

[3] Ibid. pour le deuxième chapitre « L’action pastorale de l’Eglise », p. 526-529.

[4] Depuis le début des années 1950, le théologat de Lyon-Fourvière, maison mythique pour le renouveau théologique français, accueille des ciné-clubs et sessions cinématographiques et fait figure de matrice pour la cinéphilie catholique éclairée comme d’ailleurs la maison de Chantilly, qualifiée par Antoine de Baecque d’ « Ã©picentre de la cinéphilie catholique » dans : de Baecque, Antoine, 2003, La cinéphilie. Invention d’un regard, histoire d’une culture 1944-1968, Arthème Fayard, p. 39.

[5] C’est-à-dire les étudiants jésuites. Ils sont formés dans les scolasticats. On distingue le philosophat du théologat (maison de formation en théologie), où les scolastiques restent quatre ans (Avon et Rocher, 2001).

[6] Se référer à ce propos aux travaux d’Hélène Fleckinger.

[7] AFSJ, Q LY 524, Rapport adressé au père Claude, 4 janvier 1966.

[8] Voir le dossier collectif publié par la Revue internationale du cinéma, juillet 1965, p. 5-15.

[9] Voir les deux mémoires de René-Claude Baud : Une année de coordination des activités culturelles de l’ALFAC en matière de cinéma, mémoire présenté au jury de la deuxième partie du diplôme d’état de conseiller d’éducation populaire à la suite d’une expérience menée au cours de l’année scolaire 1966-1967 et Etude sur un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson (1956), Université de Grenoble, 1963.

[10] AFSJ, Flipo 1, Michel Farin, Rapport à la réunion de la commission audiovisuelle, 22 avril 1965.

[11] Ibid.

[12] Michel Farin, « Des « conteurs » à « Alphaville », A la recherche de l’homme improbable », Etudes, juillet-août 1965, p. 84-95.

[13] Michel Souchon, « Les publics de cinéma », Etudes, juillet-août 1965, p. 96-105.

[14] Nous excluons de notre propos les activités théâtrale et musicale, toutes deux marginales dans l’ALFAC.

[15] Ils seraient 15 sur 120 selon René-Claude Baud, Une année de coordination …, op. cit.

[16] AFSJ, Q LY 524, Statuts de l’ALFAC.

[17] René-Claude Baud, Une année de coordination …, op. cit., f. 2-8.

[18] Le document est malheureusement anonyme. AFSJ, Q LY 524, Notes sur les activités culturelles à Fourvière, 15 mars 1966.

[19] C’est-à-dire au Bureau international du film, dirigé par le chanoine Chassagne.

[20] AFSJ, Q LY 524, Jean-Claude Eslin, René-Claude Baud, Michel Farin, Rapport aux RR PP Provinciaux sur la formation des scolastiques de Fourvière à la réalisation cinématographique (présenté à la commission audiovisuelle), 30 septembre 1965. Par ailleurs, la congrégation générale de la Compagnie de Jésus se prononce en faveur d’une formation aux moyens de communication sociale lorsqu’elle approuve Inter Mirifica en juillet 1965.

[21] Avec la création de l’ALFAC, les scolastiques ont aussi accès à des formations extérieures au théologat que l’association finance. Huit d’entre eux sont, par exemple, formés au Centre d’études cinématographiques de Lyon. AFSJ, Q LY 524, Centre d’études cinématographiques, cours du soir 1965-66.

[22] AFSJ, Q LY 524, Rapport au père Claude, 4 janvier 1966.

[23] AFSJ, Q LY 524, Session cinéma 1966.

[24] AFSJ, Q LY 524, Réunion du 8 juin

[25] Outre les quelques ciné-clubs scolaires qui regroupent 200 élèves de collèges de l’Enseignement libre. Sauf mention contraire, cette partie comme la suivante s’appuient principalement sur le mémoire de René-Claude Baud, Une année de coordination …, op. cit.

[26] Au demeurant, nous manquons de sources sur ces télé-clubs qui sont mentionnés dans : AFSJ, Q LY 524, Paul Beauchamp, Procès verbal de l’AG ordinaire de l’ALFAC, 7 novembre 1967.

[27] Tous secteurs confondus, cela représente une dizaine de ciné-clubs.

[28] AFSJ, Q LY 524, Ciné-club Cavenne, note manuscrite non datée.

[29] AFSJ, Q LY 524, Réunion du 8 juin.

[30] Ibid.

[31] René-Claude Baud par exemple, quitte le théologat en 1968.

[32] AFSJ, Q LY 524, Labo photo Fourvière, rapport d’activité, février 1968.

[33] AFSJ, Q LY 524, Réunion du 8 juin.

[34] Durant ses premières années d’existence, l’ALFAC avait difficilement investi ce secteur. René-Claude Baud, Une année de coordination …, op. cit.

[35] Dont plusieurs films comme le dessin animé Michelin à l’assaut du progrès. AFSJ, Q LY 524, Films annoncés pour la session, 16 novembre 1968.

[36] AFSJ, Q LY 524, Fourvière, session TV, Déroulement de la session, novembre 1969.

[37] AFSJ, Q LY 524, Wolfgang Suttner, Jean-Claude Dietsch, faites votre télévision vous-mêmes, 16 décembre 1969.

[38] Notons que la fusion administrative de l’ALFAC au sein de la « fonction culturelle » de la maison de Fourvière participe de ce processus.

[39] AFSJ, Q LY 524, Rapport de Jean-Claude Dietsch à Jean-Yves Calvez, compte-rendu d’activités magnétoscope, Fourvière, 5 22 janvier 1970.

[40] Michel Farin a quitté Fourvière pour Paris en 1969. Il y est chargé de la coordination de la formation audiovisuelle entre les scolasticats jésuites de 1970 à 1974.

[41] AFSJ, Q LY 524, Wolfgang Suttner, Jean-Claude Dietsch, faites votre télévision vous-mêmes, 16 décembre 1969.

[42] AFSJ, Q LY 524, Christian Jouvenot, Lettre adressée aux étudiants de Fourvière, 16 novembre 1972.

[43] AFSJ, A FR 592, L’audiovisuel dans la formation jésuite, bilan des activités de ces dernières années.

[44] Voir l’introduction de Jules Gritti dans Commission pontificale des moyens de communication sociale, Instruction pastorale Communion et progrès sur les moyens de communication sociale, Editions du Centurion, 1971, p. 10.

Citer cet article : https://www.histoiredesmedias.com/La-reconfiguration-d-une-mediation.html

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