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04 - Dire et montrer la guerre, autrement

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Anne-Claude Ambroise-Rendu

La guerre au cinéma

Le Temps des médias n°4, printemps 2005, p.301-306

« Le film de guerre ne porte pas l'uniforme. Il emprunte les tenues les plus variées » nous rappelle Vincent Pinel [1]. Autant dire qu'il propose mille voix pour chanter, dénoncer ou simplement dire la guerre, au passé comme au présent.

Les Camisards, René Allio

Courte (de 1702 à 1705) et circonscrite au Languedoc,la Guerre des Camisards est pourtant la plus célèbre des guerres de religion, encore considéré, aujourd'hui par les protestants allant en pèlerinage annuel au musée du Désert comme « l'épopée huguenote » par excellence. Populaire, le soulèvement des Camisards n'est ni une jacquerie, ni une insurrection annonçant la révolution mais un mouvement marqué par un prophétisme ardent qui permit à 1 500 hommes de tenir tête à 25 000 soldats. Le film de René Allio, sorti au début de l'année 1972, met l'accent sur l'intrépidité et l'audace des insurgés et l'impréparation des troupes régulières.

« LE CHEMIN ROYAL : au moment où les soldats à pied et le lieutenant à cheval arrivent à découvert (…), un coup de feu part et un soldat tombe. Aussitôt les soldats s'abritent et le lieutenant passe très vite vers nous à cheval, s'arrête, attache son cheval à un arbre et revient vers ses hommes abrités. Il regarde dans la direction du coup de feu et aperçoit au bas du pré trois insurgés armés, mal camouflés. Aussitôt son choix est fait. Il brûle de se distinguer et l'occasion est trop favorable pour la laisser échapper. Il tire son sabre et fait signe à ses hommes de se déployer en ordre d'attaque.

Lieutenant. Déployez-vous !…

Les soldats obéissent. Le lieutenant les encourage et passe devant eux.

Lieutenant. Chargez !

(…) Flash sur les trois insurgés qui courent pour mieux se camoufler au plus bas du pré. Retour sur le lieutenant et ses hommes qui s'avancent en charge.

Soldats. Vive le roi ! Tue !… Tue !

Plan rapproché du lieutenant, rayonnant.

Lieutenant. Feu !

Les hommes mettent un genou en terre et font feu.

Lieutenant. Chargez !

Les soldats reprennent leur course. Les fuyards disparaissent dans le lit du torrent. Soudain des taillis surgissent La Fleur et ses hommes (moins de trois). Ils tirent. des soldats tombent, le lieutenant sent ses hommes mollir et hurle plus fort encore.

Lieutenant. Chargez !… Chargez !

Mais les insurgés tirent toujours. (…) Le lieutenant sent lui-même la peur le saisir, mais il s'en défend. Près de lui, deux soldats font demi-tour et remontent le pré en courant. Le lieutenant piétine de rage.

Lieutenant. Lâches !

Mais les autres soldats les imitent et il faut bien qu'il fasse demi-tour lui-même en courant après ses hommes, tous poursuivis pas La Fleur et ses hommes.

Lieutenant (à ses hommes). Salauds !… Lâches !… Salauds !…

La pente du pré est raide ; un soldat a lâché son fusil pour mieux courir. Des balles sifflent.

Lieutenant (hurlant de rage). Salauds !… Lâches !…

Il court vers nous (…) Un soldat tombe près de lui, touché par une balle. Un autre tombe. Le lieutenant accélère sa course (…) et par-dessus ses épaules on distingue en arrière plan les insurgés tirer et les poursuivre. Flash sur Jacques, au bas du pré, qui ramasse sur un soldat mort un fusil. Retour que le lieutenant qui arrête sa course, touché à la jambe ; il s'écroule à terre. Les poursuivants le dépassent, continuant à courir après les autres soldats. Flash sur le lieutenant (…) à terre et grimaçant de douleur. Flash sur les poursuivants. Puis plongée vers le pré ; en arrière-plan montent vers nous Marie et Jacques qui récupèrent sur les soldats morts les habits et les armes. Flash sur le lieutenant qui tourne la tête et les voit. Retour sur Marie qui détrousse un soldat. Flash sur le lieutenant qui essaie de lever la tête, ne peut pas et grimace.

Lieutenant (soupirant). Ce n'est rien…

Retour sur Marie qui s'avance vers lui. Elle frappe un blessé pour l'achever, s'assoit sur lui et commence à le détrousser, mais le blessé se débat. Aussitôt elle lève son coutelas et l'enfonce dan la poitrine de l'homme qui retombe, inerte. Au-dessus, on entend des cris et la fusillade qui continue. (…) Puis Marie se relève aperçoit le lieutenant et s'approche de lui armé de son coutelas. Elle est belle. Elle se retourne, rencontre son regard. UN temps. Elle hésite, serre la poignée de son arme. Mais on entend dans le haut du vallon de nouveaux coups de feu et des cris des soldats.

Soldats. (off). Vive le Roi !…

Marie a un bref regard vers le lieutenant et se détourne vivement, s'emparant des armes et des habits qu'elle a détroussés. Elle fuit avec Jacques et les autres vers le torrent. Flash sur le lieutenant qui se relève légèrement pour les suivre du regard, soulagé. Le pré en plongée : tous les insurgés filent et disparaissent chargés de leur butin.

Soldats. (off). Vive le Roi !… Tue !… Tue !…

Contreplongée sur le capitaine (…) sur son cheval blanc qui se cabre.

Capitaine (hurlant). Il n'y a rien à tirer de ces abrutis !… Abrutis !… Abrutis !… »

L'Avant-Scène Cinéma , n° 122, fév. 1972

Les Désastres de la guerre, Jean Grémillon et Pierre Kast

Film sur l'art ou film sur la guerre, ce court métrage réalisé en 1951 offre une médiation à deux niveaux du soulèvement provoqué en Espagne par la conquête napoléonienne et de l'indignation qu'elle suscita. L'œuvre hallucinée et sarcastique de Goya revisitée par Grémillon est, via le recours à l'histoire et à l'art, un réquisitoire poétique contre la puissance militaire et contre toutes les manifestations de l'impérialisme et les atrocités qu'il entraîne.

Voix d'Homme. Charme des Asturies, tendresse de la Galice, grandeur de la Castille, Aragon et Navarre, Andalousie, Estrémadure et Catalogne, admirable terre d'Espagne… Tu connaissais aussi la douceur de vivre… et cette fidélité que te gardent ceux qui t'aiment et que chaque matin tu appelais enfants de ma vérité.

(…) C'était encore la paix… et cependant les pasteurs du troupeau égorgeaient ceux-là mêmes qu'ils avaient en garde…

(…) Que ce soit en mai, en plein cœur de l'été, à l'entrée de l'hiver, le terme de la paix est plus proche qu'on ne croit. L'envahisseur est là , la tragédie commence : il n'y a plus de spectateurs, il n'y a que des personnages…

(…) des personnes. C'est la crainte de vivants, c'est la guerre.

(…) Le malade et le vieillard, l'enfant et le perclus…

(…) La sœur, la mère, l'épouse…

(…) Tout logis est exil…

(…) Et chaque lieu un endroit de misère…

(…) Il faut mendier son pain…

(…) Ou bien se contenter des racines… (…) amères…

(…) Voici le hideux, le sinistre… (…) portrait, le sinistre visage… (…) de la guerre, ces moissons monstrueuses qui se font dans le sang, l'outrage et les étranglements. Les rues et les campagnes bien tapissées de morts… et la terre n'est plus qu'un vaste cimetière sans sépultures.

L'Avant-Scène Cinéma , n° 247

Sierra de Teruel-Espoir, André Malraux

L'Espoir n'est pas seulement le titre du très célèbre roman de Malraux mais aussi celui d'un film inspiré du livre, tourné par son auteur mais que très peu ont vu. Mutilé puis complètement interdit par la censure dès septembre 1939, le film n'est diffusé qu'en 1945 dans une version un peu différente de l'original. Tournant en Espagne en 1938 et 1939, parfois sous les bombardements ou à quelques kilomètres des troupes franquistes, Malraux voulait faire une œuvre de fiction à caractère documentaire. Mais, alors que le roman, publié dès l'automne 1937, était porté par la perspective de la victoire républicaine, le film, lui, témoigne de la désespérance qui hante désormais tous ceux qui, en 39, vont prendre le chemin de l'exil.

Le camp d'aviation : au fond, un hangar et un bâtiment où longent les aviateurs.

Schreiner. Capitaine Schreiner.

Peà±a. Vous avez servi dans l'escadrille de Richthofen ? N'est-il pas vrai ?

Schreiner. Oui.

Peà±a. Vingt-deux avions alliés.

Schreiner. Officiellement.

Peà±a. Nous avons besoin de vrais spécialistes. Depuis quand n'avez-vous pas volé ? ( Bruit de moteur)

Schreiner. Depuis 1918.

Peà±a. Diable ! Combien de temps croyez-vous qu'il vous faut pour être en forme ? 5…)

Schreiner. Une paire d'heures, je pense.

(…) Arrive un mécanicien qui passe derrière Peà±a et donne à Schreiner une combinaison d'aviateur que ce dernier enfile. (…)

Peà±a. Vous travaillez dans l'aviation ?

Schreiner. Non. Avant j'étais dans les mines…

Schreiner a fini de s'habiller ; au fond l'avion. Schreiner ne regarde pas Peà±a, mais l'avion. Sa main tremble et se crispe sur la combinaison. Un mécanicien vient vers Peà±a.

Peà±a (au mécanicien). Tout est paré ?

Mécanicien. Prêt.

Peà±a. À vous de jouer.

(…) Peà±a, seul suit Schreiner des yeux. Au fond, le logement des aviateurs. Une trentaine apparaissent ; un tiers sont blessés. Ils sortent et s'avancent sur le terrain pour assister à l'essai de Schreiner. (…)

L'avion de Schreiner plane et refait un tour au-dessus du terrain.

Peà±a regarde, inquiet, déçu.

L'avion atterrit, rebondit, se brise.

Peà±a va vers l'avion. Schreiner sort de l'appareil et arrive près de Peà±a. L'avion, derrière, planté dans le sol.

La rencontre des deux hommes. Au fond l'avion en piteux état. Schreiner enlève ses lunettes et le parachute.

Schreiner. Excusez-moi… (pause) Je vous l'avais dit : j'ai besoin de deux heures… J'ai travaillé trop longtemps dans les mines. J'ai perdu le coup d'œil.

Peà±a. Nous parlerons plus tard.

Schreiner. Inutile. Je ne veux plus voir un avion. Faites-moi prendre dans les milices. Je vous le demande.

Schreiner s'en va. La caméra le suit.

L'Avant-Scène Cinéma , n° 385, octobre 1989

La Ballade du soldat, Grigory Tchoukhraà¯

Réalisé en 1959, ce deuxième film d'un jeune réalisateur soviétique est primé à Cannes l'année suivante, en même temps qu'il reçoit le prix Lénine. Salué par une partie de la critique soviétique et française (qui le juge même supérieur au très fameux Quand passent les cigognes de Kalatazov sorti l'année précédente), ce film conte le voyage d'un jeune soldat vers sa maison natale, dans laquelle il n'aura finalement pas le temps de rester plus de quelques minutes et qu'il ne reverra jamais.

Plan général : Aliocha descend du camion et se met à courir vers sa mère. Plan sur elle courant vers lui. Ils s'enlacent enfin et restent silencieux un moment, essoufflés par la course, la joie, l'émotion…, incapables de prononcer un mot.

(…) Et aussitôt, sortis on ne sait d'où, apparaissent tous les villageois. Ils forment un cercle qui, sans cesse, se rétrécit. Quelques femmes s'essuient les yeux. D'autres saluent Aliocha. Et c'est une avalanche de questions.

Voix diverses. Bonne arrivée ! – Et Ivan ? Tu ne l'as pas vu au front ? – Bonjour à vous Aliocha ! – Et, à propos de la fin de la guerre, tu n'as rien entendu dire ?

La mère s'inquiète. Elle cherche à préserver son fils de la foule.

La mère. Tu es venu mon petit ! Tu as donné cette joie à ta mère ! (Elle essuie ses larmes.) Et moi qui t'attendais, qui t'attendais ! J'y pensais tout le temps, sans cesse, sans relâche.

Aliocha. Comment vivez-vous, maman ?

La mère. Comment je vis ? Comme tout le monde… Je vis la guerre. Le travail est rude et des hommes il n'y en a point. Rien que des femmes, rien que de femmes… Tu n'as qu'à regarder, elles sont toutes là (Aux femmes.) Mais qu'est-ce que vous avez après l'homme, vous autres ? Il vient tout juste d'arriver ! Viens dans la maison, Aliocha. Tu vas manger, te reposer. Viens ! (Elle part en avant, en l'attirant vers la maison.)

Aliocha, la retenant. Attendez maman. Il ne faut pas… (Hésitant.) Je suis pressé.

Elle mettait son châle sur la tête. Elle s'arrête et se retourne, interloquée.

La Mère. Comment, pressé ? Pressé d'aller où ?

(…)

Aliocha. De repartir. Je viens juste en passant. Juste pour une minute. La mère. Mais comment ça mon petit ? Je ne comprends pas…

Aliocha. Je dois partir. Tout de suite. Parlons, plutôt un peu. (…)

Au loin l'avertisseur du camion se fait entendre pour marquer l'impatience du chauffeur.

Aliocha. C'est l'heure de partir, maman !

Il l'embrasse. Elle s'accroche à lui.

La mère. Aliochenka !… Mon enfant !… Aliocha !…

Elle lui caresse à nouveau la joue, alors que l'avertisseur insiste, impatient et inquiet. Avec douceur, Aliocha dénoue les bras de sa mère. Elle se débat et se serre contre lui. (…)

Aliocha. Pardon maman !

La mère. Mais de quoi, Aliocha ?

Aliocha. Pardon maman !…

La mère. Voyons Aliocha, mon petit ! Ne crois pas que… Je supporterai tout, j'endurerai tout, je t'attendrai jusqu'à ce que tu reviennes. Ton père n'est pas revenu, mais, toi, je te verrai revenir !

Aliocha embrasse une dernière fois sa mère, serre distraitement quelques mains tendues sur son passage et, au pas de course, rejoint le camion. Il se retourne avant de monter. Plan d'ensemble, elle de dos, face au camion. Lui, atteignant le véhicule en reculant, fait des signes de la main et crie.

Aliocha, criant. Je reviendrai maman… Je reviendrai.

(…) Commentaire. « Voila tout ce que nous voulions raconter de notre camarade Aliocha Skvortzov… Il aurait pu devenir un bon père et un magnifique citoyen. Il aurait pu devenir ouvrier, ingénieur, savant. Il aurait pu faire pousser le blé et orner la terre des jardins. Mais il a eu seulement le temps de devenir soldat et, tel, il restera à jamais dans notre mémoire. »

L'Avant-Scène Cinéma , n° 42

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