SPHM Infos

envoyer l'article par mail title= envoyer par mail Version imprimable de cet article Version imprimable Augmenter taille police Diminuer taille police

Appel à contributions, Mondes contemporains Revue d’anthropologie culturelle et sociale. n° 2 "L’événement dans le domaine de la santé et de la maladie"

Comme le souligne à raison Joseph Levy (2006) dans un article récent dans lequel il fait le point sur la prise en considération de l’événement par différentes disciplines sociales, la notion n’a pas fait son entrée récemment dans les débats des sciences humaines. En particulier la philosophie a fait depuis toujours de l’événement un sujet central de réflexion, s’interrogeant sur son statut et sur son interprétation dans le champ de la logique (Aristote), sur son rapport au déterminisme et à la liberté, à la nécessité et au hasard (Leibniz), sur sa signification historique et son interprétation par la raison (Kant, Hegel), sur ses déterminants historiques auxquels toutefois l’événement ne se réduit pas (Engels et Marx), sur la façon dont l’événement est structuré par laquelle sa mise en récit le façonne (Ricœur), sur sa porté éthique (Badiou), et sur son rapport avec le temps et le sens (Romano 1999).

Dans le champ de l’histoire la question de l’événement a posé des problèmes d’ordre épistémologique majeurs. Critiqué par l’école des Annales pour son association avec le temps court au dépit de l’analyse du temps long, l’événement est réintroduit par les historiens contemporains comme une notion clé pour comprendre la société moderne en tant qu’époque des medias de masse (Nora 1974) ou comme un outil essentiel pour la compréhension du cours de l’histoire (Fecteau 2000).

Les disciplines sociologiques et anthropologiques ont, quant à elles, eu tendance à privilégier davantage la structure et les régularités et à réserver moins d’intérêt à la prise en considération explicite de l’événement. Si « une anthropologie de l’événement reste encore à construire » (Levy 2006 : 19), la question a été néanmoins abordée à maintes reprises dans différents travaux. Bastide (1970), suivi de Marc Augé (1983) insistent sur la coupure dans la continuité du temps et du sens que représente l’événement, mais aussi sur l’existence de plusieurs type d’événement, selon une échelle qui conduit de l’élémentaire (nomment l’événement individuel que s’inscrit dans le biologique et dont l’interprétation est immédiatement sociale) au complexe (notamment les événements qui affectent le group social dans son ensemble). D’autres travaux anthropologiques ont réservé à l’événement un intérêt important et fait apparaitre la façon dont la compréhension des structures sociales nécessite de prendre en compte les événements dont les cultures sont le lieu (Affergan 1997), et comment à travers cette prise en compte, l’événement peut devenir un révélateur des rapports structurels profonds ainsi que de la complexité des instances sociales (Firth 1959 ; Sahlins 1998). Ces perspectives se prolongent dans les travaux récents qui, en le replaçant au centre des débats actuels et en s’interrogeant sur le statut épistémologique de l’événement, tentent d’explorer comment ce concept peut être mobilisé pour la compréhension du social (Fassin & Bensa, 2002 ; Olazabal et Lévy 2006 ; Bessin & al., 2010 ).

Les événements de santé, aussi bien individuels que collectifs, du plus simple au plus complexe, semblent donc se prêter particulièrement à cet examen de la notion même d’événement et de son statut épistémologique au sein des sciences sociales. La maladie représente selon Augé l’une des formes élémentaires de l’événement. Famines, épidémies et autres formes de souffrance sociale constituent autant d’événements qui coupent la continuité du temps et du sens, qui mobilisent des stratégies d’action et d’interprétation individuelles et collectives, et qui mettent en relief des structures voilées. Dans cette perspective, ce numéro de Mondes Contemporains se propose de cerner certains des enjeux théoriques et empiriques associés à l’événement à travers la prise en considération d’un domaine spécifique : celui des phénomènes liés à la santé et la maladie.

Les contributions, basées sur la discussion de matériaux empiriques, pourront s’inscrire dans les différentes disciplines des sciences humaines et sociales.

Nous nous proposons, par le biais d’une approche critique, réflexive et multidisciplinaire, de questionner la place et le statut épistémologique de l’événement dans les sciences sociales de la santé. Les paragraphes suivants proposent certaines pistes d’enquête non limitatives.

1. Comment se combinent, dans l’événement de santé, structure collective et agentivité individuelle ?

L’idée d’événement peut être explorée en relation avec la notion d’agency, agentivité. Celle-ci a été introduite entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 par plusieurs auteurs (notamment Bourdieu, Giddens et Sahlins), pour définir une relative « liberté » d’action qui s’exerce toujours sans outrepasser les limites structurelles et dans le cadre des possibilités culturelles dont les acteurs disposent. Dans quelle mesure la notion d’événement permet-elle de réfléchir sur l’agentivité des acteurs dans la gestion des phénomènes de santé et de maladie ? Il s’agit ici de confronter l’événement de santé aux logiques de continuité et de rupture, de reconstituer le contexte de l’action et le champ des possibles de ce contexte, d’analyser les possibilités d’action des acteurs sociaux et leur relation à l’ordre structurel, notamment les relations de pouvoir au sein desquelles s’inscrivent ces possibilités.
2. Quelles sont les procédures de l’inscription d’un événement de santé dans la mémoire collective ?

Tel que l’a montré par exemple Dejan Dimitrijevic (2009), si l’événement se caractérise par une rupture, son avenir est caractérisé par l’incertitude. La conservation de l’événement dans les mémoires dépend des enjeux sociaux complexe et changeants selon le type de regard que le présent porte vers le passé. Quel type d’éclairage est il possible d’apporter sur ce rapport entre événement et mémoire par les événements de santé ?

3. L’interprétation et la gestion de l’événement : une ressource convoitée ?

Plusieurs travaux (par exemple Nuckolls 1991, Claverie 2002) ont montré comment l’événement - et son interprétation - est une « ressource » précieuse, d’ailleurs souvent convoitée, faisant l’objet de négociations conflictuelles, pour les individus et les communautés concernées par sa gestion. La fracture de l’intelligibilité et le vide de sens que l’événement comporte ouvrent en effet un potentiel, un espace dans lequel il est possible d’imposer des intérêts, de renforcer des valeurs, de faire entendre des voix. Une des façons d’appréhender l’évènement dans le domaine de la santé est de réfléchir sur comment la façon dont il est géré engendre des compétitions entre les acteurs impliqués et intéressés dans sa gestion.

4. Quel est le rapport de l’événement à sa médiatisation ?

Philippe Nora (1974) définit l’évènement essentiellement en relation aux medias. Si, comme le souligne Balandier (1971), les medias confèrent à l’événement une sorte d’ubiquité, il n’y a selon Nora d’événement que par la construction médiatique qui transforme un fait en une donnée événementielle. Dans quelle mesure les événements de santé individuels ou, au-delà, les événements de santé collectifs sont ils des produis des constructions médiatiques ? Plus largement, quelle est la relation entre l’évènement et la construction de son récit ? Existe-il en dehors de sa construction ? Quels sont les acteurs et les procédures mises en jeu par cette construction ?

5. L’émotion et l’événement.

Comme le soutiennent par exemple Bastide (2002) et Farge (2002), les événements d’ordre personnel et collectif ne font pas uniquement appel à la sphère intellectuelle, en produisant une fracture d’intelligibilité, mais mobilisent une dimension émotive touchant de près la sensibilité de la personne. L’événement de santé se prête particulièrement à une réflexion autour de cette relation problématique entre fabrication de sens, émotion et gestion sociale des événements.

6. Expérience et gestion de l’événement.

L’anthropologie de la maladie a depuis plusieurs décennies exploré les processus de socialisation de l’expérience de la maladie, la dialectique entre expérience subjective et significations culturelles, et la façon dont les dynamiques historiques et les rapports de force qui activent certaines stratégies de narration et de gestion de la souffrance modèlent les formes et les expériences du malaise. Comment la notion d’évènement peut-elle contribuer à cette vaste exploration des modalités par lesquelles l’expérience individuelle et subjective de la souffrance est modelée par les formes de sa prise en charge ?

7. Spécificité de l’événement de santé ?

On peut aussi s’interroger sur l’existence ou non des caractéristiques propres à l’événement de santé. Dans quelle mesure l’événement de santé – qui se situe à l’articulation entre nature et culture, entre biologique et social - répond-il a des logiques propres ? Une longue tradition d’études anthropologique de la maladie a montré comment bien des maladies sont enchâssées dans un ensemble d’événements malheureux dont elles ne se distinguent ni par leurs causes ni par leurs modes de prise en charge. Les médecins, formés à une biomédecine issue des sciences biologiques ou psychologiques centrées sur l’individu, n’acceptent pas aisément ce champ dans lequel leur pratique les immerge sans qu’ils en prennent clairement conscience. Néanmoins les conceptions étiologiques renvoient, au moins en partie, à ce fait, impliquant l’effacement presque total du médical devant le social. Dans cette perspective, est-il toujours possible de considérer l’événement de santé un objet pertinent ?

8. Un dernier questionnement est méthodologique.

Entre structurel et accidentel, entre l’éphémère et le durable, l’événement est difficile à appréhender. Etant donné cette complexité intrinsèque à l’événement, quelle sorte de sujet peut-il représenter pour les différentes sciences sociales ? Pour ce qui concerne l’anthropologie, Francis Affergan (1997) souligne par exemple la complexité à la fois épistémologique et méthodologique liée à l’évènement. Non seulement l’ethnologue est continuellement confronté dans le travail de terrain à des événement et à des discours portant sur ces événement, mais la rencontre même de l’anthropologue avec chaque culture représente un événement. Quelles relations ethnographiques peuvent ou doivent être nouées, d’un point de vue non seulement pratique ou méthodologique, mais aussi éthique ?

Conditions de soumission

La date limite de rendu des propositions d’articles (5 000 signes) est fixée au 10 Juillet 2012.

Un retour sera fait début août pour un attendu des textes au 15 octobre 2012.

Sortie prévue : 1er novembre 2012.

Les propositions de contribution sont à adresser à la coordinatrice du numéro, Serena Bindi (bindiserena@hotmail.com) et en copie à la Revue Mondes Contemporains (mondes.contemporains@wanadoo.fr)

Citer cet article : https://www.histoiredesmedias.com/Appel-a-contributions-Mondes.html

Dans la même rubrique