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Appel à contribution "Contre-discours dans l’espace public (contemporain)", pour la revue Semen
La notion de « contre-discours » est mobilisée en sciences du langage dans les travaux relatifs à l’argumentation. Cette dernière se fonde sur la confrontation entre un discours et un contre-discours : le « Proposant » conteste le discours de « l’Opposant » devant un « Tiers » que l’on souhaite convaincre (Plantin 1996). L’étude de la polémique comme contre-discours (Kerbrat-Orecchioni 1980), notamment, a ainsi permis d’éclaircir quelque peu la notion de « contre-discours » dans le cadre des sciences du langage et de l’analyse de discours (Amossy, Burger 2012).
Nous souhaiterions dans ce numéro de Semen prolonger la réflexion en adoptant un point de vue à la fois discursif et, résolument, communicationnel sur le/les contre-discours défini(s) très provisoirement comme tentative de définition d’un espace discursif spécifique.
La question du/des contre-discours s’inscrirait alors dans une réflexion plus large relative au « fonctionnement discursif de l’espace public » (Delforce 2010, 70). L’espace public qui nous concerne est à considérer « comme lieu d’exercice de la parole publique, comme lieu de production et de circulation sociale du sens et comme lieu de débats relatifs à la mise en discours du social » (idem, 58-59). Dans cette perspective, nous souhaitons interroger la capacité de la notion de « contre-discours » à contribuer à « une topographie discursive » de l’espace public et du discours social (Angenot 1989, 2006) ; nous souhaitons interroger la capacité de la notion à rendre compte des conflits, controverses, ruptures et convergences qui, à la fois, alimentent et soutiennent l’espace public.
Appréhender l’espace public comme réalité discursive, c’est reprendre la leçon de Foucault pour qui le discours est ce par quoi et pour quoi les acteurs sociaux luttent (Foucault, 1971). La notion de contre-discours, dès lors qu’elle s’inscrit dans une réflexion sur l’espace public, pose donc directement la question du pouvoir (que celle-ci soit posée en termes de domination, d’idéologie ou encore d’hégémonie). Traiter des contre-discours (progressistes comme réactionnaires), c’est traiter de l’acceptabilité sociale des contre-discours, de leur « charme » (Angenot 2006), de leur « impertinence sémantique » (Ricoeur 1975). C’est aussi s’attacher aux processus de coercition discursive qui participent de la distinction, dans l’espace public, entre dicible et indicible, légitime et illégitime.
Dans cette perspective, un contre-discours ne prend sens que si son analyse prend en compte le cadre communicationnel dans lequel il s’inscrit (déterminations sociales, rapports de pouvoir…). Tout discours est intervention : la lutte des discours peut donc être considérée « comme une forme socialement construite de la lutte des acteurs » (Delforce, Noyer 1999). Ainsi, les contributions pourront s’inscrire dans la problématique des problèmes publics (Cefaï 1996), de la visibilité (Voirol 2005) ou encore de la lutte pour la reconnaissance (Honneth 2000). La liste n’est pas exhaustive et illustre que le point de vue à la fois discursif et communicationnel privilégié peut se déployer dans l’interdisciplinarité.
Si l’on accepte l’idée selon laquelle la logique technocratique dominante conduit à la disparition d’un univers discursif contradictoire (Gobin 2011), penser la possibilité du contre-discours dans l’espace public revêt une importance capitale : c’est interroger le dynamisme et la vitalité de l’espace public contemporain, sa capacité à concilier entente et conflit (Ramoneda 2011).
À partir de ce cadrage, nous encourageons les propositions d’articles consacrés aux questions suivantes :
1) La définition de la notion de « contre-discours » et ses diverses acceptions disciplinaires
Si les sciences du langage, dans le cadre des analyses argumentatives, ont contribué à définir le contre-discours, l’analyse de discours et les autres sciences sociales se limitent souvent à un usage non-réflexif de la notion. Or, celle-ci « ne va pas de soi » et exige, sans nul doute, un effort définitoire. Notamment : où se loge la consistance contre-discursive ? dans la langue, le discours, le contexte… ?
2) Le potentiel heuristique de la notion dans la compréhension de l’espace public
Le potentiel heuristique de la notion et ses applications possibles dans la compréhension de l’espace public contemporain sont à discuter ; et c’est bel et bien l’objectif de ce numéro : interroger sans a priori sa pertinence et son applicabilité. La notion relève-t-elle de la coquille vide ou offre-t-elle une vraie ressource dans l’analyse de l’espace public et du discours social ?
3) La dialectique discours/contre-discours
L’« intimité conflictuelle » (Terdinam 1985) qui lie discours et contre-discours est naturellement à analyser. Le contre-discours s’oppose-t-il toujours à un discours clairement identifiable ? Le contre-discours peut-il échapper à la domination discursive qu’il conteste ? est-il condamné à confirmer les dominantes de l’interdiscours desquelles il cherche à se dissocier ? Une attention particulière pourrait, par exemple, être portée aux contre-discours suscités par les discours institutionnels.
4) La configuration et la circulation des contre-discours
Appréhender l’espace public dans une perspective diachronique (prise en compte de la temporalité) et historique (pris en compte du contexte socio-historique) doit permettre l’identification des processus de figement, de convergence, d’opposition, bref de circulation sociale des contre-discours. Cette perspective peut permettre, par exemple, l’identification de phénomènes de « neutralisation » (Krieg-Planque, 2010), de « lissage » (Oger, Ollivier-Yaniv, 2006) ou encore de « dilution » de la conflictualité (Auboussier, 2011).
5) L’articulation du contre-discours au pouvoir et à l’idéologie
A quel ordre du discours viennent s’opposer les contre-discours ? Le contre-discours semble, par nature, s’inscrire dans une axiologie politique, morale ou éthique. Bien souvent, le contre-discours tente de s’imposer, depuis l’utopie (Ricoeur 1984), comme dévoilement et dénonciation de l’idéologie. A ce titre, les contributions se réclamant de la Critical discourse analysis seront aussi les bienvenus.
Calendrier
Propositions d’article, avec résumé (environ 2500 signes, espaces compris) : 10 avril 2014.
Signification aux auteurs : 15 juin 2014.
Remise des textes à l’éditeur et à la revue pour évaluation interne et navette : 15 octobre 2014.
Publication prévue : avril 2015.
Coordination : Julien Auboussier, maître de conférences (71e), Université de Franche-Comté
Contact : auboussier_julien@hotmail.com