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Appel à communications, journée d’études "Des diasporas à la « littérature mondiale » : écritures de l’exil, XXe-XXIe siècles", Paris, 31 mai 2014
Date limite : 15 janvier 2014
L’expérience de l’exil, par ce qu’elle comporte de surprises, de traumatismes, d’exclusions, peut donner lieu à l’émergence d’une parole littéraire. L’individu, pris dans la tourmente de l’Histoire et confronté à la différence (de culture, de langue, de société), est amené à mettre en scène et en fiction son parcours, par exemple sous la forme du témoignage, et à réinventer des formes littéraires et poétiques, parfois syncrétisant, parfois excluant à son tour la culture et la langue d’accueil.
Expérience collective de l’exil, étrangeté vécue, la Diaspora représente ce moment de déracinement, qu’Edouard Glissant définit en termes de « retour » et de « détour » dans Le Discours antillais. En quête d’une vérité (Wajdi Mouawad) ou d’un remède contre la mélancolie (Sebald), cet à rebours de l’exil a-t-il pour conséquence d’ébranler ou au contraire de mieux asseoir les fondements de la communauté ? Face à cette obsession du retour, et confrontées à l’expérience de la domination par un Autre, dans ce décalage constant de soi à soi-même, les populations diasporiques vont tenter de se (re)créer une identité collective. La langue alors devient un facteur fondamental de cette identité.
Banni de son pays, rejeté dans sa culture d’adoption, l’exilé se trouve dans une situation de double isolement. Il devient une autre figure de ces « subalternes », dont parle Gayatri Spivak, questionnant leur capacité à prendre la parole dans Can the Subaltern Speak ? Que peuvent dire en effet ces individus maintenus en situation d’infériorité politique et économique, exilés au sein de leurs propres pays ? C’est ce sur quoi s’interrogent des penseurs comme Spivak ou Edward G. Said, et des auteurs comme Mahmoud Darwich, ce « poète des vaincus ».
A l’écart de la langue, à distance de la culture des pays qu’il traverse, l’exilé finit par incarner une posture artistique, par la relation d’étrangeté – voire d’estrangement (Carlo Ginzburg) – qu’il maintient vis-à-vis des formes esthétiques et linguistiques. Il serait intéressant à ce titre de questionner le rôle que les artistes des communautés diasporiques (Tristan Tzara, Isidor Isou, Ghérasim Luca) ont joué dans le développement des pratiques d’avant-garde. Subversive, hybride, syncrétique ou volontairement marginale, la langue littéraire de l’exil devient un enjeu essentiel et fondamentalement dynamique de la création.
Cet écart de l’exil peut aussi ressortir à un retranchement volontaire face à une communauté nationale oppressante, au refus d’une langue maternelle desséchante. Le « fou » littéraire Louis Wolfson, décide par exemple de bannir l’anglais de sa prose, afin de réinventer un langage hybride. De manière plus politique, Carlos Fuentes, procédant à la démystification des racines et des mythes dans son œuvre majeure, Terra Nostra (1975), n’hésite pas à affirmer que « nous sommes tous des exilés dans un monde sans centre ». Revendiquant une identité excentrée et excentrique, Fuentes considère une unité culturelle hispanique transcendant largement les frontières nationales. L’exil effacerait-il alors la distinction traditionnelle entre centre et périphérie ? Paradigme de la position paratopique qui s’ancre dans une « difficile négociation entre le lieu et le non-lieu » (Maingueneau), l’exil littéraire met ainsi en œuvre une dialectique de l’appartenance et de l’exclusion.
Pourtant, le renouvellement récent des théories sur la littérature « mondiale » n’entraîne-t-il pas une reconfiguration de la notion d’exil en littérature ? L’accent porté sur les échanges culturels, que ce soit à travers les nouveaux moyens de communications, dans le privilège donné à la relation « inter-nationale », ou même avec l’émergence de zones « transnationales », favorise une reconfiguration de l’espace littéraire et de ses appartenances, notamment linguistiques. Comme écart, et comme différence, la notion d’exil ne pourrait-elle alors pas correspondre à une mélancolie du local face au global de la relation et des échanges ? Par exemple, dans ce qu’Emily Apter appelle l’« intraduisible », la langue résiste de manière créative à toute transparence naïve, à l’assimilation directe du multiple dans le commun. Il faut ainsi se demander si la notion d’exil, tout en étant transformée dans le contexte politique et culturel du monde global, ne permet pas de creuser et d’explorer les paradoxes de la « littérature mondiale ».
Axes de réflexion :
Dire, écrire l’exil : témoignages et récits d’exilés.
Communautés d’exil : dimensions linguistiques et culturelles.
Exil et exclusion : l’exil au sein de son propre pays, les « subalternes », l’étrangeté.
Réinventer la langue : les écritures hybrides.
L’exil et la littérature mondiale.
Bibliographie indicative
Said Edward G., Réflexions sur l’exil et autres essais, [Reflections on Exile and Other Essays, 2000], traduction de Charlotte Woillez, Actes Sud, 2008
Spivak Gayatri, Can the Subaltern Speak ? in Cary Nelson and Larry Grossberg, eds. Marxism and the interpretation of Culture, 1988.
Christophe Pradeau et Tiphaine Samoyault, Où est la littérature mondiale ?, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 2005.
Emilie Apter, Against World Literature : on the politics of untranslatability, London ; New York : Verso, 2013.
Carrie Noland et Barrett Watten, Diasporic avant-gardes, Experimental poetics and cultural displacement.
Modalités de soumission
Les communications de + / - 300 mots, accompagnés d’une courte bibliographie, devront parvenir
avant le 15 janvier 2014
aux adresses suivantes : laetitia.tordjman@gmail.com / cyril.verlingue@gmail.com
Responsables scientifiques
Laëtitia Tordjman, Cyril Verlingue