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Appel à communications, colloque "Les médias face à leurs publics : la nouvelle imputabilité", mai 2016, Université d’Ottawa, Canada

Date limite : 1 er juin 2015

Ces dernières années, l’évaluation critique des dispositifs traditionnels d’imputabilité journalistique a connu une vague de recherches qui ont à nouveau mis en lumière leur faible efficacité, voir leur manque de crédibilité (Leveson 2012, Finkelstein 2012, Watson et Hickman 2012, Bernier 2013a, Fengler 2012). De nombreuses recherches ainsi que plusieurs témoignages en arrivent à des conclusions négatives quant à l’efficacité ou la neutralité des dispositifs d’autorégulation (Corriveau et Sirois 2012, Eberwein et al 2011). On peut affirmer qu’en matière d’autorégulation des médias d’information, l’ère est au désenchantement.

Par imputabilité journalistique, on fait référence ici à l’ensemble des dispositifs et des initiatives qui incitent ou contraignent les journalistes et les médias d’information à rendre des comptes (accountability) quant à leur volonté ou leur capacité à assumer leurs responsabilités et obligations liées à l’éthique et la déontologie qui les concernent.

En même temps que la recherche empirique accumule les résultats ébranlant le mythe de l’efficacité des dispositifs traditionnels d’imputabilité liés à l’autorégulation, on observe l’émergence de dispositifs novateurs d’imputabilité journalistique (Eberwein et al 2011, Fengler et al 2014a, 2014b, Bernier 2013b). Ce sont les citoyens qui en sont les principaux acteurs.

Grâce aux blogues, aux espaces d’interactivité que l’on retrouve sur les médias en ligne et, surtout, grâce aux médias sociaux (Twitter, Facebook, YouTube, etc.) les citoyens, de façon concertée ou spontanée, réagissent aux contenus journalistiques produits et diffusés par les médias. Pour la première fois de l’histoire de la presse, ils peuvent intervenir directement et exprimer leurs doléances, agissant ainsi comme des corégulateurs spontanés en exigeant davantage de transparence et d’imputabilité de la part des médias d’information et de leurs journalistes. D’aucuns estiment que cette façon directe pourrait être plus efficace que les dispositifs traditionnels que sont les conseils de presse, ombudsman et médiateurs de presse.

De toutes parts, les observateurs, professionnels et chercheurs spécialisés en médias et en journalisme ne cessent de constater la montée en puissance des citoyens comme sources plus ou moins influentes (de Keyser, Raeymarckers et Paulussen 2011), comme générateurs de contenu ou comme journalistes amateurs. Cette participation accrue et constante ne se limite pas à la production médiatique, elle s’étend à la critique des élites politiques et économiques.

Cette fonction de surveillance des chiens de garde de la démocratie avait traditionnellement été accaparée par différents groupes (ATTAC, FAIR, etc.), institutions (tribunaux, syndicats, lieux de recherche et de formation, etc.) et dispositifs professionnels (conseils de presse, ombudsman, etc.). Ce qui les caractérisait était leur aspect organisé, voire collectif, ce qui pouvait les rendre en quelque sorte prévisibles pour les acteurs médiatiques.

Quant aux citoyens intéressés à la vie des médias et au journalisme, bien peu de place leur était accordée, soit à l’intérieur de groupes organisés pas toujours présents dans leur région, soit en agissant de façon isolée par l’intermédiaire de plaintes ou de lettres ouvertes, autant de démarches qui étaient traitées, filtrées, acceptées ou rejetées sur la base d’une grille d’analyse fortement influencée par des intérêts, des valeurs et des traditions journalistiques que contestaient parfois ces mêmes citoyens.

Dans l’ordre médiatique ancien, les publics avaient un accès limité à l’espace public tout comme à l’espace médiatique (temps d’antenne, commentaires ou lettres ouvertes dans les journaux, etc.). Leurs messages étant soit ignorés par les médias, soit filtrés par ceux-ci en fonction de critères journalistiques (Ericson, Baraneck et Chan 1987).

Avec Internet et le Web 2.0, les citoyens ont spontanément entrepris d’agir comme un 5e pouvoir (Jericho 2013), celui qui observe, critique, invective même le 4e pouvoir, celui des médias et de leurs journalistes. Il ne faut pas s’étonner de l’irruption des publics dans ce rôle de vigie des « chiens de garde de la démocratie ». Depuis quelques décennies déjà, il est bien documenté que les citoyens sont loin de partager la même conception de l’information que celle mise de l’avant par les médias et leurs journalistes. De nombreuses enquêtes ont mesuré l’écart, parfois le gouffre, qui séparait le jugement éditorial du public et celui des journalistes (Tsafi, Meyers et Peri 2006, Tai et Chang 2002, Voakes 1997), sur divers enjeux liés à la vie privée de personnalités publiques et d’élus par exemple, ou encore que le public privilégie la fonction de « bon voisin » plutôt que celle de « chien de garde » (Poindexter, Heider et McCombs 2006).

Certes, il faut se méfier des réponses nobles et socialement désirables que les publics donnent à certaines questions, réponses qui ne correspondent pas toujours à leur consommation réelle (Roshier 1981, Missika 1989). Mais peut-on les ignorer pour autant ? Surtout quand médias et journalistes prétendent travailler pour servir le droit du public à l’information.

En somme, le 4e pouvoir est plus que jamais confronté aux publics dont il s’est toujours dit le représentant pour affirmer sa légitimité sociale et politique, pour défendre sa conception de la liberté de la presse et, il faut le dire, défendre ses intérêts économiques. On peut même y voir une forme de sanction du fameux marché (Fengler 2012) qui sortirait ainsi de son état de latence imposée.

Selon Jarvis (2007), tous les usagers et les journalistes devraient être considérés comme des ombudsmans. De cette façon, le contact avec le public n’est plus réservé à une seule personne (ombudsman, médiateur, etc.), le journaliste est informé des commentaires, des corrections, des informations et précisions que lui acheminent les publics. Cela contribuerait à améliorer la qualité de l’information. La recherche en journalisme a par ailleurs souligné de façon importante le rôle des journalistes citoyens comme curateurs des médias d’information, particulièrement quand la qualité du travail journalistique fait défaut (Bruns 2011).

Il est révélateur d’observer qu’en France, dans le cadre des États généraux de la presse de 2009, on a en quelque sorte pris acte de l’irruption des publics en préconisant une nouvelle règle : « Le journaliste est attentif aux critiques et suggestions du public. Il les prend en compte dans sa réflexion et sa pratique journalistique » (Ruellan 2011, 38-39).

Fengler (2008) a observé que la plupart des bloggeurs qui s’intéressent aux médias, aux États-Unis, se considèrent comme des chiens de garde des médias, avec une forte motivation à les critiquer, au point où plusieurs adhèrent assez facilement aux théories du complot pour expliquer des comportements de journalistes qui leur semblent biaisés politiquement. Olav Anders Øvrebø (2008) a aussi constaté que ces nouveaux critiques externes sont souvent portés à exagérer leurs attaques, sans trop prendre la peine de se documenter convenablement, ce que d’aucuns, chez les journalistes, leur reprocheront pour mieux discréditer toute critique.

En Allemagne, une enquête menée auprès de 20 000 usagers d’un blogue consacré à la critique des médias révèle néanmoins que 84 % de ceux-ci identifient le divertissement comme première motivation (Fengler 2012). Il ne faut donc pas avoir une conception uniquement « citoyenne » de ces usagers, sans toutefois nier la présence de cette motivation « noble ».

Certains estiment finalement que l’interactivité qui caractérise Internet et les médias émergeants constitue une nouvelle forme d’imputabilité qui se distingue des dispositifs traditionnels. Elle serait plus directe et efficace que les institutions traditionnelles (Domingo et Heikkila 2011) et à faible coût (Fengler 2012). Ils ajoutent que les critiques en ligne (blogues, pages Facebook, site Internet) peuvent parfois forcer les médias à corriger des erreurs, sanctionner des journalistes et, dans certains cas, encourager des gens à se plaindre à des conseils de presse, hybridant ainsi formes d’imputabilité nouvelles et traditionnelles.

Questions de recherche Compte tenu de la présence croissante des citoyens comme acteurs d’une corégulation spontanée, il y a lieu de mieux documenter ce phénomène, de se livrer à l’observation méthodique de ses manifestations. Sans prétention à l’exhaustivité, voici certaines des questions de recherche qui seront explorées lors du colloque :

• De quelles façons se manifestent les dispositifs novateurs visant à assurer l’imputabilité journalistique et des médias d’information ? • Ces dispositifs sont-ils efficaces, dans quelles circonstances ? • Leur efficacité repose-t-elle sur la notoriété de ceux et celles qui émettent publiquement des critiques ? • Comment les médias et les journalistes s’adaptent-ils à ces formes novatrices de corégulation ? • Cela menace-t-il à terme la pertinence des dispositifs traditionnels comme le médiateur de presse, l’ombudsman ou le conseil de presse ? • Quelles sont les motivations, les compétences et les attentes des citoyens qui interviennent dans l’espace public ?

Le colloque et la publication Le colloque se tiendra sur le campus de l’Université d’Ottawa en mai 2016.

Les meilleures contributions du colloque seront regroupées dans un ouvrage dont la publication est prévue pour décembre 2016. Ce livre sera destiné aux centres de formation francophones en journalisme (programmes universitaires, centres de formation, écoles de journalisme, etc.).

Afin d’assurer la publication de l’ouvrage, les participants dont la proposition de communication aura été acceptée devront faire parvenir une version écrite et exhaustive de leur communication au plus tard 4 semaines avant la date du colloque. Une version finale sera ensuite acheminée dans les 6 semaines après le colloque.

Ces versions écrites auront un entre 3600 et 3800 mots, excluant les références.

Les participants dont la communication aura été acceptée et acheminée à l’avance seront pris en charge (déplacement et hébergement) par les organisateurs du colloque.

Les propositions Les propositions attendues seront diverses, mais les enquêtes empiriques seront favorisées. Elles peuvent être basées sur des études de cas, des recherches quantitatives ou qualitatives, des recherches comparatives, des enquêtes auprès de journalistes ou de citoyens engagés dans la veille et la critique des pratiques journalistiques, etc.

Les chercheurs intéressés à participer à ce colloque international francophone doivent faire parvenir un résumé de 300 à 500 mots exposant leur problématique, leur méthodologie et, le cas échéant, les résultats anticipés.

Il faut faire parvenir le titre et le résumé de leur communication, avec La nouvelle imputabilité comme sujet du message, à l’attention de Marc- François Bernier (mbernier@uottawa.ca), avant le 1er juin 2015.

Une réponse sera donnée au plus tard le 1er septembre 2015 par le comité scientifique, après un processus d’évaluation en double aveugle.

Veuillez indiquer votre nom et vos références (affiliation, université ou institution, adresse électronique, numéro de téléphone et titre de communication) dans le corps de votre message.

Citer cet article : https://www.histoiredesmedias.com/Appel-a-communications-colloque,5841.html

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