Radio - Son
Ouvrage : Edgar Lersch, Helmut Schanze (eds.), Die Idee des Radios. Von den Anfängen in Europa und den USA bis 1933 (UVK Verlagsgesellschaft, 2004). Recension par Daniel Siemens.

« Écouter la voix de Madrid, Paris ou Berlin pendant un voyage en voiture sur les plateaux d’Espagne, c’est un miracle » – s’exclamait un journaliste inconnu en 1935 dans l’émission radiophonique espagnole Ondas (citation p. 130). La fascination pour la nouvelle technique radio, sa dimension internationale, mais aussi sa diffusion dans la culture populaire moderne ou culture de masse, inventée d’abord aux États-Unis et ensuite en Europe – tous ces aspects du nouveau média Radio sont au centre de l’intérêt du recueil L’idée de la radio. Résultat de la conférence annuelle du groupe de recherche allemand « Radio et histoire » en 2003, ce livre propose pour la première fois un regard comparatif sur l’époque d’origine de la radio, l’entre-deux-guerres. Les contributions des intervenants (historiens et spécialistes de la communication) peuvent se classer en deux parties. La thèse de la « voie particulière » (Sonderweg), qui a eu une influence considérable dans l’historiographie allemande de l’après-guerre, est le point de départ de l’introduction plutôt théorique et méthodologique de Helmut Schanze, Edgar Lersch et Kaspar Maase. Ce « Sonderweg » est à l’œuvre dans l’invention même de la radio. Selon des nombreux historiens, un manque de traditions et de valeurs démocratiques dans la société allemande sont à l’origine de la stricte régulation de la radio par les autorités. D’abord organisée comme un moyen de divertissement « apolitique », elle aurait été ensuite transformée en outil de propagande par les nazis. Selon Schanze et Lersch, une telle hypothèse ne tient pas si on compare l’histoire de la radio en Allemagne avec celle d’autres pays européens et d’outre-mer.
Des études monographiques concernant la France, l’Angleterre, les États-Unis, la Tchécoslovaquie, l’Espagne, la Suisse et l’Autriche constituent la deuxième partie du livre. En général, les auteurs de ces contributions racontent l’histoire nationale de la radio. Ils sont avant tout intéressés par le développement technique et les questions concernant l’organisation du média et l’influence de l’État. En revanche, l’analyse du contenu des émissions est négligée. Les résultats indiquent clairement une évolution comparable dans tous les pays. Pour l’administration, les groupes de média comme les amateurs de radio se posaient la question de la régulation nécessaire de la radio. Presque partout on peut constater une influence croissante de l’État dans les domaines de la programmation et de la structuration des stations à partir de la fin des années vingt, même si les pays choisissent un modèle différent.
Selon Helmut Schanze, cette « étatisation » de la radio en Allemagne peut s’expliquer en partie par la crainte répandue d’une possible mobilisation des « masses », c’est-à-dire un « besoin de communication civile », qui est interprété par Schanze comme une conséquence de la Grande Guerre. Cette thèse défendue également par Kaspar Maase renvoie aux paradigmes de l’histoire culturelle. Il explore les bénéfices de la radio pour les contemporains en soulignant l’information, la vitesse et l’actualité du nouveau média. D’après lui, ces aspects étaient plus importants que, par exemple, le plaisir d’écouter de la musique. Maase avance ces observations sur une base plutôt théorique, mais elles se vérifient également à l’aide de cas précis. Lenka Abelová montre, par exemple, dans sa contribution sur l’histoire de la radio en Tchécoslovaquie qu’il existait des « programmes spécialisés » [Fachrundfunk] dès 1926-1927 qui s’adressaient explicitement aux agriculteurs, aux ouvriers ou aux commerçants.
Malheureusement, le lecteur est obligé d’établir lui-même un tel rapport entre la théorie et la pratique. Le manque de synthèse est incontestablement le point faible de ce recueil. L’empirisme et la théorie se trouvent dissociés. D’abord, il faut constater que le paradigme allemand de la « voie particulière » n’est d’aucune utilité pour analyser l’évolution de la radio en Espagne ou en Angleterre. En outre, certaines contributions se montrent plutôt hostiles aux approches comparatives et théoriques. C’est particulièrement le cas des contributions sur la France et l’Autriche, qui n’offrent malheureusement qu’une juxtaposition des historiographies nationales. Les recherches récentes de la nouvelle histoire culturelle et de la science de la communication sont rarement mentionnées et mobilisées. Le « regard comparatif », annoncé par les éditeurs, tourne ainsi souvent à vide.
Cette impasse est d’autant plus regrettable que quelques autres contributions apportent des idées et des résultats remarquables, comme les communications de Edzard Schade et Ursula Ganz-Blättler concernant la politique suisse de la direction de la radio, celle de Michele Hilmes sur l’invention de la radio aux États-Unis ou encore celle de Paddy Scannell sur la culture de la radio et la prévalence de la BBC en Angleterre. Leurs travaux permettent d’esquisser quelques pistes de réflexions pour une histoire comparée de la radio.
Schade et Ganz-Blättler analysent dans leurs contributions le rapport compliqué entre la centralisation de la radio par l’État et la rhétorique d’unité nationale dans la Suisse polyglotte. En soulignant la particularité suisse [Sonderfall Schweiz] dans le domaine de la radio, les autorités parvenaient à présenter la centralisation de la radio comme un acte de solidarité volontaire des citoyens suisses. En élargissant à d’autres pays, on peut se demander quelle place l’historien doit attribuer à la rhétorique d’unité nationale et de concorde nationale en ce qui concerne les processus de centralisation de la radio, notamment en Espagne, en Tchécoslovaquie et en Allemagne.
Michele Hilmes explique l’origine et le fond du succès de la radio commerciale aux États-Unis. La primauté des stations privées ne fut pas seulement le résultat de l’idéologie du marché libre, mais dépendit également de la coopération des institutions fédérales avec des grandes entreprises de média et d’un accord de tous sur la définition du terme « service public » [general public service]. Si on établit une comparaison avec la France de l’entre-deux-guerres, il semble pertinent d’analyser la dimension souvent indirecte du contrôle de la presse. Prenant comme exemple les grandes entreprises de média comme le Tribune-Company à Chicago ou le groupe autour de Petit Parisien de Paul Dupuy à Paris, il faut également poser la question de la relation entre la presse (écrite) et la radio.
Enfin, l’analyse de Paddy Scannell sur l’invention de la BBC en Angleterre souligne le caractère de la communication événementielle de la radio, qui était dans les années vingt souvent établie comme « hobby scientifique ». Selon Scannell, la fondation du réseau public de la BBC ne peut pas être considérée comme étant uniquement la conséquence d’un processus de contrôle. Elle fut plutôt le résultat du souhait de beaucoup d’auditeurs d’être en contact, via les ondes radio, avec leur centre régional ou la capitale. En conséquence, la radio n’a pas su garder son caractère local et informel. Ces résultats suscitent de nouvelles interrogations : que signifiait pour l’identité des auditeurs le fait qu’ils pouvaient suivre même dans un petit village les programmes étrangers ? Est-ce que cette consommation de la radio internationale a automatiquement mené à la progression du champ visuel des individus, à une redéfinition de la notion de « frontières » ? Est-ce que les stations nationales ont, en revanche, essayé de tenir compte des identités locales et régionales de leurs auditeurs ?
Le mérite de ce recueil est d’avoir pour la première fois transcendé les cadres nationaux et d’avoir inscrit l’étude de la radio dans une perspective internationale. Ce volume ne propose pas véritablement une analyse comparée au sens strict, mais il doit servir de point de départ à d’autres recherches conduisant à une histoire européenne des médias.
Daniel Siemens
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 5, automne 2005, p. 244-246.
Ouvrage : Christophe Deleu, Les Anonymes à la radio, usages, fonctions et portée de leur parole (INA/ de Boeck, 2006). Recension par Aurélie Aubert.

L’ouvrage de Christophe Deleu sur la parole des anonymes à la radio a le grand mérite de consacrer une étude approfondie à un média encore trop peu analysé en France. Par ailleurs, il centre son sujet sur l’un des apports fondamentaux de ce média : celui de la parole des auditeurs-anonymes qui appellent pour se raconter ou participer par leur opinion ou leur expérience aux programmes radiophoniques. Pour son analyse, l’auteur s’est fondé sur l’écoute de huit émissions phares de ces dernières années et sur des entretiens avec des journalistes pionniers dans leur réalisation. Si l’ouvrage prend comme corpus d’étude des émissions de radio récentes (l’analyse a été effectuée essentiellement à la fin des années 1990), il débute néanmoins (...) Lire la suite
Ouvrage : Thomas Baumgartner, L’Oreille en coin. Une radio dans la radio. 22 ans de week-end sur France Inter (Nouveau Monde, 2007 avec un CD). Recension par Cécile Méadel.

L’Oreille en coin, émission de la radio publique connue d’abord sous le titre de TSF 68, puis 69, 70, 71, a accompagné les matinées de nombre de Français pendant plus de vingt années. France Inter vient alors de vivre la réforme Dhordain qui vise à la rendre plus attractive par rapport aux postes privés ; Guy Bégué qui a succédé à Roland Dhordain comme adjoint du directeur de la radio, en charge de France Inter, propose à deux responsables d’émissions, Jean Garretto et Pierre Codou, de construire un projet d’animation pour tout le week-end. L’émission commence le samedi 30 mars 1968 ; elle durera jusqu’au 2 septembre 1990, quand Pierre Bouteiller la supprime, pour « querelle d’ego et inimitiés anciennes » ; la (...) Lire la suite
Ouvrage : Ludovic Tournès, Du phonographe au MP3. Une histoire de la musique enregistrée XIXe-XXe siècle (Autrement, 2008). Recension par Cécile Méadel.

Depuis Paul Valéry, Walter Benjamin, Adorno, et d’autres encore, on sait que le passage à l’ère de la reproduction mécanique transforme, voire, pour certains, menace, les beaux-arts. C’est dire tout l’intérêt d’un retour sur les techniques successives ayant permis l’enregistrement de la musique, et c’est ce que propose l’historien Ludovic Tournès, connu en particulier pour ses importants travaux sur le jazz. Partant des premières technologies d’enregistrement, il rappelle que celui-ci n’a pas d’abord eu pour vocation la musique mais plutôt la conservation de la parole et l’on sait que Charles Cros, inventeur pionnier et malchanceux de la machine parlante, tout comme Edison ou Graham Bell, s’intéressaient bien plus au télégraphe, aux sourds (...) Lire la suite