Comptes rendus
Jean Garrigues
Un combat de la guerre froide : L’Humanité face aux "affaires" de la IVè République
On connaît bien les grandes " affaires " de la IIIème République, l’affaire des décorations, Panama, Rochette, Oustric, Stavisky. On connaît moins les scandales qui ont secoué la IVè République, et qui ont pourtant connu à l’époque un retentissement politique et médiatique très important. Depuis le scandale des vins jusqu’à l’affaire des fuites, les partis au pouvoir sont ébranlés par une série de secousses, qui contribuent à discréditer le régime et ses dirigeants. C’est l’occasion pour le parti communiste de pourfendre les dérives des " partis bourgeois " de la Troisième Force, dans le cadre du combat de guerre froide engagé en 1947. En première ligne dans ce combat, L’Humanité apparaît à cette époque comme un journal engagé, polémique, mais aussi comme un organe d’investigation journalistique. Ce rôle n’est pas tout à fait nouveau, le journal communiste ayant contribué dans l’entre-deux-guerres à dévoiler et à dénoncer les dérives de la " république radicale. " Mais l’exploitation des " affaires " prend désormais un relief beaucoup plus considérable, compte tenu du poids du parti communiste et de l’audience nouvelle de L’Humanité. Dès lors, la révélation, l’exploitation, voire la manipulation du scandale apparaît comme une arme redoutable pour combattre la coalition les partis de la Troisième Force ainsi que le RPF gaulliste. C’est pourquoi le quotidien communiste apparaît en pointe dans l’enquête et dans la polémique sur le trafic des vins, dénoncé par le " progressiste " Yves Farge, puis dans l’exploitation de l’affaire des bons d’Arras, mettant en cause un député gaulliste, dans le scandale suscité par la promotion ministérielle d’André Boutemy, ancien préfet de Vichy et bailleur de fonds du CNPF, en 1953, ou dans le scandale des piastres, révélé en 1954 par Jacques Despuech. En position défensive dans les affaires liées à la politique indochinoise, c’est-à -dire l’affaire des généraux en 1950 et celle des fuites en 1954, L’Humanité joue là encore un rôle de premier plan dans la contre-enquête et dans la polémique. Il y a là , nous semble-t-il, une dimension nouvelle dans l’histoire du journal communiste, ainsi qu’un aspect encore peu étudié de son engagement dans la guerre froide. L’arme médiatique du scandale, confisquée par l’extrême-droite dans l’entre-deux-guerres, devient un instrument de l’engagement communiste dans les années cinquante. Ce sera beaucoup moins marquant sous la Vème République.