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Comptes rendus

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Peppino Ortoleva, Mediasfera, Florence - Université de Turin

Styles et modèles nationaux de communication. Histoires de médias, histoire des médias.

Dans mes recherches sur l’histoire des médias, je me suis intéressé soit à quelques formes de communication prises singulièrement (la radio, la télévision, les télécommunications), soit à l’évolution du cadre général du système des médias. Il s’agit de deux perspectives à mon avis complémentaires ; mais ma thèse est que, à l’inverse de ce qu’on pourrait penser, c’est l’analyse de la dynamique de chaque média qui est mieux comprise si l’on la situe dans un cadre systémique, tandis que l’histoire des médias en tant que système n’est pas réductible à la somme des histoires des différents médias, mais elle comprend aussi leurs interrelations. Dans l’histoire de chaque média, en fait, il y a des moments de passage, souvent brusques, qui se peuvent comprendre seulement si l’on tient en compte les interdépendances (techniques, économiques, culturelles) avec des autres médias : interdépendances qui sont plus évidentes dans certaines phases historiques, moins visibles en des autres. En termes d’histoire systémique on peut voire les fondements d’une dynamique de cycle, avec des moments de transformation généralisée et d'interdépendance forte entre des médias différents, comme à la fin du siècle Dix-neuvième, ou du Vingtième ; et des moments de relative stabilité et d'interdépendance plus faible, qui sont les phases de l’adoption, voire de l’accueil social des médias tels qu’ils sont nés ou il sont changés dans les phases de bouleversement. La vision systémique est à mon avis particulièrement importante pour l’histoire comparatiste, pour plusieurs raisons.

1. Système des médias et horizon national

Dans les recherches d’histoire comparatiste de la contemporanéité, les objets qu’on compare sont, en général, les réalités nationales. Ce qui est une source d’ambiguà¯té, ou peut-être de double ambiguà¯té : parce que on tend souvent à supposer une correspondance donnée entre une réalité politique-institutionnelle (l’état dit national) et une réalité culturelle (l’ainsi-dite identité nationale) ; et parce que on a tendance à considérer la réalité nationale comme un horizon donné, non comme un fait historiquement relatif et changeant. Le problème est que la nation n’est pas seulement le cadre où les médias agissent, en nous faisant parler d’une presse anglaise ou allemande, d’une télévision italienne ou française. Comme l’ont démontré les recherches des années Soixante-Dix et Quatre-Vingt sur la "nationalisation culturelle" des pays d’Europe, elle est aussi (et peut être encore plus) le produit de ces médias, qui ont eu, pendant tout le cours de l’histoire contemporaine, une fonction de relais essentiel entre les structures institutionnelles et les identités sociales. L’analyse de la dynamique historique des médias nous aide à comprendre les différentes réalités nationales, et nous aide à les expliquer ; elle est non seulement l’un des nombreux champs de l’histoire comparée, mais l’un des moments fondateurs d’une histoire comparée moderne. En fait, je pense que dans les deux derniers siècles nous avons vu la formation, dans les pays de l’Europe occidentale, de styles nationaux de communication qui sont les produits conjoints de choix et processus politiques, de différentes structures économiques, et aussi de choix techniques. La formation de ces styles est d’un côté un objet privilégié de l’histoire comparatiste des médias, de l’autre un cadre essentiel à toutes les autres recherches dans ce domaine.

2. Styles nationaux et géographie de la communication

L’étude, qui est très récent, de la géographie des médias peut nous aider à mieux préciser cette idée d’un style national. De l’autre côté, une analyse de la "spatialité" des médias peut être essentielle à développer la vision comparatiste en dehors de l’horizon national. Si nous regardons à l’Italie du point de vue de la presse (en particulier de la presse périodique et du livre) nous devrions parler d’une centralité de Milan pour la quasi-totalité de l’histoire nationale récente. Pour l’histoire du cinéma (à partir des années Vingt) et de la télévision (jusqu’aux années Quatre-Vingt) c’est Rome qui a eu une fonction de centre propulseur. Mais pour une bonne partie de l’histoire de l’Italie moderne, une troisième ville - Naples - a eu une importance encore majeure pour tout ce qui concerne le théâtre populaire et la chanson, les aspects essentiaux de la "culture de masse" italienne avant l’industrialisation. Si l’on considère l’importance pour l’industrie du livre de plusieurs autres centres, de Turin à Bologne, de Bari à Palerme, nous pouvons parler d’un système polycentrique, ou si l’on veut d’une division nationale du travail. La formation de ce modèle est liée au processus de formation de l’Etat, mais aussi à la particularité de la structure urbaine, où il y a une grande quantité de villes moyennes douées d’une certaine autonomie culturelle, où la capitale était jusqu’à l’unité une ville relativement petite, tandis que Naples était comparable à Londres et à Paris en termes de population. Mais ce modèle a été fondamental pour créer une identité culturelle des italiens au delà des différences énormes (économiques et culturelles) entre le nord et le sud. La fonction nationale d’un journal milanais, ou d’une chanson napolitaine (qui pourrait être considérée dans une réalité différente, une expression locale) peut être comprise seulement dans ce cadre. Cadre qui est plus semblable (en termes de structure de système, bien sûr) à la réalité américaine, elle-même polycentrique et basée sur une identité nationale par aggrégation, qu’à la réalité française où Paris a concentré progressivement tous les médias dans un centre unique, et où la fonction nationale d’un journal parisien peut être considérée "naturelle".

3. Perspectives de recherche

Les différentes géographies de la communication ne sont qu’un des aspects de ce que j’ai appelé les styles nationaux. Les chercheurs français, en particulier, nous ont aidés à comprendre la centralité, pour l’économie mais aussi pour la culture, des macro systèmes techniques chers à Alain Gras. Leurs développements, des chemins de fer à la téléphonie, ont étés différents entre les différents pays européens, en conséquence de choix militaires, politiques, technologiques, des états ; de l’autre côté, la path dependency qui leur est propre a été un facteur de continuité historique, et a construit pour chaque pays des squelettes -de l’organisation politique comme de la distribution des médias- qui ont maintenant la même stabilité des barrières naturelles ; ils ont fait des différents styles nationaux des structures physiques. Peut-on vraiment comparer l’évolution de la radio ou du téléphone, de l’Internet ou même de la presse (qui doit être distribuée, pas seulement produite) sans analyser ces aspects ? Dans un essai, je crois avoir démontré, par exemple, que l’une des raisons de la faiblesse économique - qui est aussi une faiblesse politique - de la presse italienne (si l’on la compare avec celle française ou allemande) est due à l’inefficacité de la distribution postale en Italie, qui a obligé tous les journaux à se baser sur les recettes de vente directe et non sur les abonnements, et a réduit fortement leur autonomie économique. C’est seulement un facteur, un facteur mineur peut-être (le bas niveau d’alphabétisation est certainement plus important) mais il nous invite à considérer les interdépendances entre les médias, et entre médias et réseaux de transport, comme un élément essentiel de toute comparaison. Il est intéressant de considérer, aussi, que les styles nationaux influencent probablement plus l’accueil des innovations en matière de médias, la façon dans laquelle les nouveaux médias (ou les nouvelles utilisations) sont adoptées et adaptées, que leur introduction initiale. La dimension économique et normative, en fait, conditionne plus les processus de pénétration profonde dans la société que le premier rencontre. Une histoire comparée du type que je propose, enfin, peut être considérée comme un possible résultat d’un effort conjoint de perspectives différentes de l’étude comparatiste des médias, et en même temps comme une ressource pour tous ceux qui s’occupent de ce nouveau, et très séduisant, champs de recherches.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Styles-et-modeles-nationaux-de.html