Séminaires
Séminaire réunion-échange, « Figures de femmes  »,27 janvier 2016
Alexandre Moussa (Doctorant sous la direction de Raphaëlle Moine, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, ED 267, IRCAV).
« Je ne suis pas une apparition, je suis une femme » : Delphine Seyrig, de l’icône du cinéma moderne à la militante féministe
Peu de publications ont été consacrées à Delphine Seyrig. Pourtant, au-delà de l’icône célébrée pour ses rôles dans des films d’auteurs reconnus (de L’Année dernière à Marienbad à Baisers volés en passant par Peau d’âne et Le Charme discret de la bourgeoisie), elle fut aussi l’interprète privilégiée de nombreux films de femmes dans les années 1970-80, la réalisatrice à l’initiative d’un documentaire sur l’aliénation des actrices (Sois belle et tais-toi, 1976) et la co-fondatrice, en 1982, du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir. Son jeu réflexif et dissonant a souvent souligné en creux que les héroïnes excessivement sophistiquées qu’elle incarnait étaient de pures constructions. Ses collaborations avec des réalisatrices comme Chantal Akerman ou Marguerite Duras ont montré une conciliation possible entre avant-garde esthétique et éthique féministe. Enfin, son engagement médiatique sans ambiguïté en faveur du mouvement des femmes s’est prolongé dans une pratique décomplexée de la vidéo légère, achevant d’en faire une figure particulièrement représentative de l’essor des idées féministes en France après mai 68. Cette présentation reviendra sur des considérations méthodologiques (comment étudier une actrice ? qui plus est quand elle fut également réalisatrice et militante), sur les résultats de ma recherche de master et sur les perspectives offertes par la poursuite de cette recherche en thèse.
Julien Centres (Doctorant sous la direction de Myriam Tsikounas, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, ED 113, CRH-ISOR).
Patrice Chéreau et le mythe : De la Reine Margot au projet "Napoléon"
A sa première sortie en 1994, La Reine Margot est un film vivement critiqué par les historiens qui renouvellent les travaux sur les guerres de Religion (Denis Crouzet, Eliane Viennot, Thierry Wanegffelen... ). Chéreau est accusé d’avoir repris les éléments légendaires attachés aux derniers Valois et notamment aux femmes de pouvoir : Catherine de Médicis et sa fille, Marguerite. Les archives de la Bibliothèque du Film montrent en effet que le metteur en scène s’est désintéressé de la question, le laissant à la fois conscient et extrêmement tributaire du pamphlet Le Divorce satyrique (1607), la matrice du mythe de la reine Margot (E. Viennot). Si l’accusation est si vive, c’est que le mythe a un « effet » politique : il construit des normes – posées comme naturelles – concernant, ici, la participation des femmes dans la vie politique française. En plein mouvement paritaire, Danièle Thompson dira que « [si] Catherine est avide de pouvoir politique, [c’est] sans doute parce qu’elle n’a jamais eu cet autre pouvoir féminin sur les hommes » (Entretien avec Serge Toubiana, Cahiers du Cinéma, janvier 1994). Quelques années plus tard, alors que l’extrême-droite gagne élections sur élections en Europe, qu’elle participe même à des gouvernements (Autriche), Chéreau réfléchit à la question du mythe, à la mise en récit de l’Histoire. Quel est son processus ? Et à quoi sert-elle ? Ce questionnement ne le quittera plus entre 1999 et 2009 à travers deux projets de films : Sigmaringen et Le Maître de Longwood. Comment mettre en scène le discours des dictateurs ? Seraient-ils arrivés à leur fin en manipulant les mots, la mémoire, voir même les valeurs de nos sociétés, de nos régimes démocratiques ? Ces idées que nous croyons disparues sont-elles toujours à l’œuvre ? encore aujourd’hui ? Pour répondre à ces questions, Patrice Chéreau entreprend une écriture collective de l’Histoire. L’historiographie « chéraulienne » déconstruit pédagogiquement le processus de mythification à l’aide d’allégories. En s’appuyant sur Lovecraft, sur le Dracula (1992) de Coppola ou encore sur L’Echine du Diable (2001) de Guillermo del Toro, les référents historiques deviennent tour à tour vampires ou démons. Mais cette méthode d’écriture de l’Histoire, purement cinématographique, n’est-elle pas limitée ? affaiblie par ces mêmes images ? Peut-on déconstruire les mythes avec des allégories sans produire à son tour du légendaire ? Sans reproduire d’une manière ou d’une autre La Reine Margot ? Sans ajouter ses propres fantasmes ? Qui sera le relais de la légende dorée de Napoléon depuis Ste-Hélène ? Selon Patrice Chéreau, ce ne sera pas le dictateur et Las Cases écrivant Le Mémorial (publié en 1823) mais plutôt les mémoires d’Elisabeth « Betsy » Balcombe (pourtant publiés en 1844), l’adolescente anglaise à qui le "monstre" « se confie ». A travers la réflexion sur le mythe, c’est l’image et la place des femmes savantes et politiques qu’il faudra questionner au sein de l’historiographie « chéraulienne ». La boucle est bouclée et Patrice Chéreau le sait : Avec Sigmaringen et Le Maître de Longwood, écrit-il en 2003, il poursuit une réflexion sur le film historique commencée avec La Reine Margot. Il s’agira, pour lui, de réaliser des films qui abolissent la fracture entre le présent et le passé. Ainsi, le film historique peut se faire citoyen. Par ce procédé, l’artiste interdit au spectateur un dédouanement spontané qui consisterait à penser que les horreurs du passé sont finies mais (corrélativement) qu’elles peuvent revenir dans nos sociétés policées. Chéreau nous dit et nous inquiète : Ne croyez pas que les horreurs du passé sont terminées. Elles existent toujours, encore aujourd’hui.
De 17h30 à 20h – Galerie Colbert Salle 133 – 1er étage 2 rue Vivienne 75002 Paris Métro Palais Royal, Bourse ou Pyramides