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Comptes rendus

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Ursula E. Koch

Presse allemande et presse française. Coups de projecteurs sur quatre siècles d’histoire

Ayant enseigné, en tant que germaniste, l'histoire de la presse allemande à l'Université de Paris-X-Nanterre et ensuite, dans ma fonction d'enseignant-chercheur à l'Université de Munich, l'histoire des médias en France, c'est l'approche comparatiste qui m'a de plus en plus passionnée.

J'ai orienté mes recherches comparatistes dans deux directions :

  • Des études portant sur une période courte et un sujet bien circonscrit, par ex. la presse parisienne et la presse berlinoise (tous types de médias réunis) à l'époque de la révolution de 1848/49.
  • Des études prolongées dans le temps, mais se limitant à un seul type de média, en l‘occurence la presse illustrée satirique ou : le dessin politico-satirique de presse. La dernière étude en date a donné lieu à une exposition „Interréseaux“ (Institut Goethe/Instituts français), exposition qui, depuis cinq ans, fait le tour de nos deux pays. Son titre : Marianne et Germania dans la caricature (1550-1999).

Passons de ces quelques considérations particulières aux observations et réflexions générales :
Depuis quelques années, en Allemagne comme en France, les études qui comparent les médias contemporains sur un plan franco-allemand, européen ou international (colloques, enquêtes collectives, travaux individuels) se multiplient. En revanche, l‘ histoire comparatiste des médias (disons jusqu'en 1944/45) fait toujours figure de parent pauvre, même dans certains Centres de recherches sur l'histoire comparée européenne (par exemple à l'Universite libre de Berlin). Ceci est d'autant plus regrettable, qu'on ne saurait comprendre „la culture médiatique“ d'un pays donné sans se référer à son passé.

Et voici, quelques minutes, quelques „coups de projecteurs“ sur l'histoire de la presse allemande et française. En tout premier lieu, j'insisterai sur deux données de base qui, à mon sens, expliquent le fait que – jusqu'à nos jours – les différences prévalent sur les similitudes. Rappelons que le Saint-Empire, au début du XVIIe siècle le berceau de la presse périodique, est caractérisé par un inimaginable morcellement politique et d'un clivage confessionnel. La France – elle – était depuis Louis XIV un royaume uni et, depuis 1789, une nation indivisible. Sa capitale, Paris, definie jadis par Goethe „capitale du monde“, est en ce début du XXIe siècle toujours le centre politique, économique et culturel du pays. Par rapport à Paris, Berlin est une capitale jeune (à partir de 1871) dont la fonction a été mise entre parenthèse entre 1949 et 1990).

Dans l'espace germanophone du XVIIe siècle, on voit se faire concurrence plusieurs types de média : les nouvelles écrites à la main, des milliers de feuilles volantes rapportant les dernières nouvelles („Neue Zeitung“), les tracts polémiques (souvent illustrés) et les premiers périodiques imprimés : annuels, bi-annuel ou mensuels. En 1605 apparaît, à Strasbourg, le premier hebdomadaire, en 1650 (à Leipzig), le premier quotidien du monde.. Dès 1700, entre 50 et 60 journaux allemands, tous pourvu d'un privilège émanant de l'autorité de l'Empereur, d'un souverain régional ou d'un bourgmestre, tous soumis à une censure plus ou moins clémente, avaient aquis plusieurs centaines de milliers de lecteurs. On voit même apparaître quelques rares revues.

C'est au XVIIe siècle que remontent bon nombre des centres de presse qui dominent encore de nos jours le marché allemand (Hambourg, Francfort, Berlin, Leipzig etc.). Et la France ? D'une part, c'est le règne de la fameuse Gazette (de France) (l'objet d'une thèse toute récente) qui, de 1631-1789, bénéficie du monopole de fournir des informations d'actualité pour tout le royaume. D'autre part, on assiste au succès éclatant des périodiques littéraires.

Parler simplement de „journaux allemands“ au XVIIIe siècle, me paraît poser problème. En effet, on assiste, à cette époque, à un essor formidable de revues de tous genres. A côté des quelque 200 journaux d'information générale, plus ou moins censurés selon le lieu de leur parution, on voit apparaître quelque 200 feuilles d'annonces (Intelligenzblätter). Aux environ de 1750, c'est ce type de presse qui, sous le nom d‘Affiches, donna naissance à la presse française de province (vr. Gilles Feyel).

Alors que la France révolutionnaire bénéficie pour une courte durée, de 1789 à 1792, de la „libre communication des pensées et des opinions“, suivi d'une véritable explosion de journaux politiques, la censure se fait de plus en plus stricte sur le sol germanophone. Au „temps des tourmentes“ (les guerres napoléoniennes), la presse allemande est bel et bien divisée en quatre espaces de communication : les départements de la rive gauche du Rhin, les Etats placés sous protectorat français, puis la Prusse et l'Autriche. Tout ceci rend la comparaison extrêmement difficile.

Les XIXe et XXe siècles s'avèrent, sous un angle comparatiste franco-allemand, particulièrement intéressants. Je pense à :

  • la difficile conquête de la liberté de la presse dont l'histoire se confond pendant de longues périodes à l'histoire de la censure préalable ou postérieure, politique ou économique (Napoléon, Louis-Philippe, Napoléon III, Metternich, Bismarck , la grande guerre, l'époque du totalitarisme).
  • l'âge d'or de la presse française avant 1914 et à l'essor de la presse allemande après 1871 (journaux et revues réunis) et, dans ce contexte, aux différences notables quant à la diffusion (abonnement, vente au numéro), tirages (à Paris : 4 „millionaires“ d'un rayonnement national) , formats, pages rédactionnelles et publicitaires, prix etc.
  • au rôle et à l'image du journaliste dans les deux pays.
  • la coopération anglo-franco-allemande de certaines entreprises de presse dès les années 30 du XIXe siècle (dans le domaine du marché des clichés d'illustration).

Enumérons, à présent, les difficultés majeures qui attendent le chercheur en histoire de la presse, en prenant pour exemple l'Allemagne :

  • archives des entreprises de presse disparues pendant la IIère guerre mondiale : dans ce cas impossibilité de voir ce qu'il y a „derrière“ (rédaction) et „devant“ (lectorat) du journal (approches de Pierre Albert ou de Gilles Feyel)
  • archives et bibliothèques publiques et privées dispersées sur tout le territoire
  • consultation sur place obligatoire pour les journaux et revues
  • centres de recherches sur la presse décentralisés (Dortmund, Brême)
  • collections souvent incomplètes
  • collections originales parfois inaccessibles, c'est-à -dire remplacées par des microfilms (rendant mal les illustrations)
  • statistiques toujours incomplètes, notamment en ce qui concerne les XVIIIe au XXe siècles (avant 1945 ; un grand projet, récemment lancé et financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft, veut y porter remède)
  • presse imprimée en lettres gotiques, écriture finalement interdite par Hitler

Pour en finir, appelons de nos voeux, dans cette salle vénérable de la Sorbonne, une équipe de recherche franco-allemande, voir internationale et interdisciplinaire (combinaison de méthodes !), car aucun chercheur isolé ne sera, à mon humble avis, en mesure d'écrire à lui tout seul, l‘histoire comparée du média le plus vieux du monde.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Presse-allemande-et-presse.html