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20 - Nouvelles du monde

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Hélène Duccini, Michael Palmer

Présentation

Le Temps des médias n°20, Printemps - été 2013, p. 5-8.

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L’étranger ? L’international ? Peu à peu, pour qualifier les nouvelles concernant « l’en-dehors »... de la France, les rubriques des journaux, du xviie au xxie siècles, modifient le regard sur le monde. Longtemps, ce qui survenait au loin – ou « le bruit qui en court » (Renaudot) - inquiétait. Aujourd’hui, par leurs techniques de présentation, hommes et femmes-tronc du journal télévisé, en France et ailleurs, banalisent presque les horreurs et autres faits, propos et gestes des événements produits au loin... Les sites d’info sur Internet renforcent ce sentiment. Les réseaux sociaux et autres avatars de ces sites ne tendent-ils pas, parfois, à surenchérir dans le trivial ? Lors de l’inauguration de la deuxième présidence de Barack Obama, un buzz se produit le jour même à propos de la chanteuse Beyoncé qui aurait mimé l’hymne national en play-back. Oh dear...

Jadis, les nouvelles du lointain étaient choses rares, survenaient de manière désordonnée, troublaient l’affect peut-être plus qu’elles ne s’adressaient à la raison, l’entendement. La circulation des savoirs et des informations, apparemment fiables et venant de loin, était l’affaire des élites. Depuis Hérodote (au moins) on s’interroge sur « le monde connu » : aujourd’hui, encore, des journalistes, grands reporters, voyagent avec Hérodote dans leurs sacoches.

La maîtrise – technique surtout – du temps et de l’espace a modifié la connaissance du monde, des mondes. L’astrolabe, le sextant, la boussole et les caravelles ont d’abord permis de voir au-delà du continent européen. Magellan et son équipage entreprennent le premier tour du monde en 1519 et un seul navire, la Victoria reviendra à Sanlúcar de Barrameda, en Andalousie en 1522. Mais pendant encore plusieurs siècles les routes explorées progressivement et exploitées par les commerçants se limiteront aux rivages de l’Afrique et de l’Inde, même si des curieux vont en Chine. La pénétration du continent américain prendra trois siècles et plus. La curiosité des Européens pour les mondes lointains ne sera satisfaite que progressivement, la naissance de l’imprimerie permettant la diffusion des connaissances par le livre et le libelle. Quand Renaudot crée le premier périodique en 1631, il rapporte d’abord les nouvelles que lui fournit Richelieu, puis Mazarin. Progressivement, il se crée un réseau d’informateurs dans les pays voisins, puis la curiosité porte plus loin les regards.

A la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle surtout, la multiplication des journaux et des lecteurs donnent à la presse une ouverture de plus en plus large sur le monde, un monde qui, au début du moins, se limite surtout à l’Europe et aux pays qui en dépendent. Mais cet élargissement de l’horizon contribue sans doute à modifier la représentation que les Européens ont d’eux-mêmes et des autres. Par ailleurs, l’emprise du pouvoir sur l’information reste très forte et contribue, elle aussi, à restreindre les horizons de la pensée. Les barrières spatio-temporelles à l’acheminent rapide de l’information et les incertitudes quant à sa fiabilité, perdureront longtemps. Il faut attendre le xixe siècle et plus encore le xxe siècle pour que l’Euro-centrisme, l’Occidentalo-centrisme cède le pas à une mondialisation (l’anglais : globalisation) où on serait censé tenir mieux compte des perceptions qu’ont d’autres, ailleurs, ce de ce qui se passe : on visionnerait et TFI et BBC World, et Al Jazeera et Russia TV English… Parfois pour constater que les normes de présentation, par des hommes et femmes-tronc, sont les mêmes à Paris qu’au Kamchatka.

Ce n’est donc qu’au siècle dernier et surtout avec le développement des télécommunications (câbles transocéaniques entre autres) que le village-monde se rétrécit et que l’information devient pratiquement instantanée, multiforme et « sans frontières ». A telle enseigne, qu’on peut voir aujourd’hui des journalistes expliquer que si les groupes islamistes sont si dangereux c’est parce qu’ils exploitent au maximum les possibilités offertes par la médiatisation universelle des événements qu’ils s’emploient à créer. On recourt aux photos que peuvent prendre des témoins anonymes présents sur l’événement pour illustrer l’information. Le journaliste lui-même va-t-il être dépossédé de sa qualité d’informateur ? L’arrivée d’internet et des smart-phones représente une nouvelle étape dans cet éclatement et cette multiplication de l’information, mais c’est là un sujet à part entière qu’on n’abordera pas ici, en se limitant à la presse écrite et aux agences.

Dans ce numéro de Temps des Médias, certains auteurs traitent d’un événement, à portée internationale, d’autres des réseaux européens de la circulation des savoirs. Ce dossier s’ouvre par « l’international » dans la presse en Europe entre le xvie et le xviiie siècle. Après les occasionnels du xvie siècle traités par Martial Martin, La Gazette de Renaudot ne peut être oubliée (Hélène Duccini), en ce début de la Fronde. L’étude quantitative conduite par Stéphane Haffemayer pour les années 1680 met en valeur une méthode qui ouvre de nouveaux horizons à la recherche. Elisabel Larriba ouvre sur le xviiie siècle avec un journal espagnol et l’analyse de Jean-Pierre Vittu sur les journaux savants ajoute une partie très originale sur la réception toujours si difficile à saisir. L’époque moderne est certes plus européenne que mondiale et c’est avec le xixe siècle que l’on sort du continent pour voir d’abord l’Amérique latine élargir les curiosités (Rhoda Desbordes), puis l’Afrique (François Robinet) et l’Extrême-Orient (Peter). Les événements ont désormais un écho planétaire, qu’il s’agisse d’une guerre à Pnom-Penh (Aurélie Aubert) ou de la conquête de l’espace et du voyage sur la Lune (Jérémie Nicey).

L’accélération de la transmission de l’information caractérise plusieurs des articles de ce dossier. « L’accumulation des lenteurs » que relevait Fernand Braudel dans les pays du pourtour méditerranéen serait chose révolue. Du monde « média-connu », faut-il préciser. « Media » dont les prémices émergent en Europe du nord (et à Venise), relatant l’information au loin ayant une portée pour les proches, lors de cette entrée dans la modernité des xvie/ xviie siècles. La lente victoire sur les barrières spatio-temporelles et la circulation croissante des savoirs et des informations caractérisent l’Europe, ensuite l’Amérique du nord avec parfois des pics intenses – le télégraphe électrique du xixe siècle, par exemple. Plusieurs des articles (Michaël Palmer, Rhoda Desbordes et Aurélie Aubert ; ensuite, dans « le point sur », Florence Grimault) portent sur le rôle des agences de presse dans ce processus, à partir des recherches dans leurs archives ; on oublie parfois que l’agence française, Havas (1835), était la première agence à rayonnement international. Epiphénomène de la mondialisation, les photographes chinois et leur quête de reconnaissance internationale ouvrent plus encore au début du XXIe siècle les horizons de la mondialisation de l’information (Alain Peter). Ces photographes ne diffusent pas des images des moines tibétains qui s’immolent, à la différence de l’AFP.

Aujourd’hui, les infographies dans les journaux quotidiens, les logos incrustés dans les J.T, présentent des pays « où ça se passe ». Déjà, au XVIIe et au XVIIIe siècle, la Gazette de Renaudot (1631), The Times de Londres (1785/88) donnaient des représentations du monde, sous forme de vignettes. « Les mondes connus » et représentés se sont multipliés. Mais comment capter les représentations du monde (non-divin), de ce bas-monde…, ailleurs, jadis ? Avons-nous affaire aux sources réelles, aux fournisseurs de l’information, aux relais de celle-ci, et à ses déclinaisons diverses ? Sans parler des médiations et des interactions… Un ersatz de mondialisation n’occulte-t-il bien des choses ?

That is the question – those are the questions - (for the future).

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Presentation,4719.html

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