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20 - Nouvelles du monde

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Positions de thèses

Le Temps des médias n°20, Printemps - été 2013, p. 183-197.

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Anne Renoult, Andrée Viollis (1870-1950). Journalisme et engagement, Doctorat d’histoire, IEP de Paris, (dir. Jean-François Sirinelli), 25 juin 2012.

La vie et la carrière journalistique d’Andrée Viollis invitent à une plongée dans l’histoire politique et culturelle du premier vingtième siècle en interrogeant la place des femmes dans le milieu journalistique et le rôle du grand reportage dans l’histoire des intellectuels et de leurs engagements, notamment sur la question coloniale.
Dès ses débuts dans le journalisme à La Fronde de Marguerite Durand, pendant l’affaire Dreyfus, elle ressentit un désir profond d’utilité sociale et de lutte contre l’injustice. La Première Guerre mondiale marqua un tournant dans sa vie personnelle et professionnelle en élargissant le cadre de sa vie. Elle lança sa carrière de reporter au Petit Parisien, où elle cultiva sa polyvalence, faisant tous types de reportage, à Paris, en province et à l’étranger. Elle s’engagea syndicalement pour défendre la profession et, en tant que femmes de lettres et journaliste reconnue, sensible au sort des femmes, elle fut un modèle pour ses consÅ“urs, de plus en plus nombreuses. Son premier grand départ à l’étranger en URSS, en 1926, lui permit d’entrer dans le cercle étroit des grands reporters. Sa notoriété grandit à mesure qu’elle multipliait les exploits journalistiques, notamment lors de son aventureux reportage en Afghanistan en 1929. Puis elle fut confrontée en Asie (Inde, Indochine, Chine et Japon) au début des années trente à la force des aspirations nationalistes, aux abus et crimes coloniaux, à la violence armée contre les civils. À partir du printemps 1933, elle s’engagea publiquement contre le fascisme et le colonialisme, contre la guerre et l’injustice (publication d’Indochine SOS en septembre 1935, codirection de l’hebdomadaire politique et littéraire Vendredi, démission du Petit Parisien et entrée au quotidien communiste Ce Soir, etc.). Elle continua à « patrouiller » en Europe, à s’indigner de l’abandon de l’Espagne républicaine, à dénoncer les menaces hitlérienne et japonaise, et ce, jusqu’à la défaite. Pendant la guerre, elle aida la Résistance en zone sud. Dès la Libération, elle renoua avec le reportage et collabora à la presse communiste qui lui permit de continuer à travailler malgré l’âge, la maladie et la relève générationnelle. La réédition d’Indochine SOS pendant la guerre d’Indochine contribua à la prise de conscience des exactions qui avaient lieu là-bas. Il fut cité lors du débat sur l’usage de la torture en Indochine, comme il le fut ensuite au sujet de la torture pendant la guerre d’Algérie.
La vie d’Andrée Viollis s’est confondue avec son métier de journaliste et ses engagements. Son principal moteur fut sans doute sa prise de conscience précoce de l’inégalité de traitement et de considération des hommes et des femmes non en raison de leur mérite mais simplement de leur sexe. Le journalisme, et plus encore le reportage, lui offrit la possibilité de mener une vie indépendante et d’assouvir son goût des voyages et de l’aventure, ainsi que son désir d’utilité sociale et son souci de justice. Elle participa, comme journaliste, à tous les temps forts de l’engagement des intellectuels au cours du premier demi-siècle : l’affaire Dreyfus, la Première Guerre mondiale, les années trente qui virent la montée du fascisme, la guerre contre le nazisme et l’occupant, les débuts de la Guerre Froide. Andrée Viollis a contribué, par la force de son témoignage, à l’alerte de la communauté intellectuelle et à la médiation entre les intellectuels de renom mobilisateurs et l’opinion publique.

Anne Renoult

Marion Dalibert, Accès à l’espace public des minorités ethnoraciales et « blanchité ». La construction du Sujet de la Nation française dans la médiatisation de Ni putes ni soumises et du Mouvement des Indigènes de la République dans la presse quotidienne nationale dite « de référence » (Le Figaro, Le Monde, Libération) et dans les journaux télévisés de TF1, France 2 et France 3, Université Lille 3 (dir. Jacques Noyer), 12 novembre 2012.

Au nom de l’universel républicain, la Nation française est colorblind (aveugle à la couleur). Elle refuse de reconnaître les groupes sociaux minoritaires en son sein. Or, des individus de nationalité française sont régulièrement marqués par l’attribut ethnoracial à l’intérieur du discours médiatique, comme, par exemple, par les syntagmes utilisés pour les désigner (« personnes issues de l’immigration », « un homme d’origine marocaine »â€¦). Ces individus sont dès lors différenciés des citoyens socialement identifiés comme « blancs », c’est-à-dire des membres de la Nation qui ont un attribut ethnoracial considéré comme neutre et générique. Le débat public sur l’identité nationale, qui a fait suite à l’élection présidentielle de 2007, a été particulièrement significatif d’une opposition socio-discursive entre Français « blancs » et « non-blancs », attendu qu’il s’est axé sur la question immigrée.
Partant de ce paradoxe, cette thèse vise à analyser la construction médiatique du « citoyen modèle » de la communauté française (ou du « Sujet de la Nation »), représenté implicitement dans les médias d’information généraliste, et interroge particulièrement son attribut ethnoracial. Ce travail de recherche porte en effet sur l’étude du système de représentations de la norme ethnoraciale de la Nation française — la « blanchité » (whiteness) — et sur son imbrication avec celui de la francité. Sa problématique a été la suivante : les individus ou les groupes peuvent-ils accéder à l’espace public médiatique, être crédités d’estime sociale et porter un discours face à toute la communauté nationale quel que soit leur attribut ethnoracial ? Ou, en d’autres termes, est-ce que les « non-blancs » peuvent accéder à la visibilité médiatique et sociale ? Est-ce qu’ils ont la possibilité d’y porter un discours et de participer à des débats publics ? Et, si oui, dans quelle mesure l’attribut ethnoracial peut-il représenter une contrainte dans l’accès à la parole publique ?
Pour y répondre, une étude de la médiatisation de deux mouvements sociaux a été effectuée, dans une perspective constructiviste d’analyse de discours, au sein de la presse quotidienne nationale dite « de référence » (Le Figaro, Le Monde et Libération) et à l’intérieur des journaux télévisés (JT) de TF1, France 2 et France 3 (de leur naissance à décembre 2010). Ces deux groupes protestataires sont Ni putes ni soumises (NPNS), collectif créé en janvier 2002 pour lutter contre les violences de genre dans les banlieues françaises, et le Mouvement des Indigènes de la République (MIR), groupe né en janvier 2005 pour dénoncer les discriminations systémiques dont souffrent les personnes issues de l’immigration postcoloniale. En totalité, le corpus comprend 597 articles de presse et 151 sujets de JT sur NPNS, et, pour le MIR, 122 articles et 2 sujets.
Les méthodes quantitatives et qualitatives ont montré que l’accès à l’espace public des mouvements sociaux marqués par l’attribut ethnoracial est régulé par l’identité collective de la Nation française. Celle-ci forme un cadre des discours dicibles et indicibles à travers lequel les groupes protestataires peuvent porter des revendications dans l’arène des médias d’information généraliste. NPNS a fait l’objet d’une reconnaissance sociale et médiatique, car il s’est auto-construit une identité qui fait écho à celle de la communauté nationale. Il a demandé à l’État des solutions pour que les jeunes filles à l’attribut ethnoracial marqué puissent vivre selon les normes blanches de féminité. Le MIR, parce qu’il a formulé un discours critique à l’égard de la République en dénonçant les formes structurelles de racisme, n’a quant à lui jamais « fait événement » dans les médias. Ses membres ont été mis en scène négativement et ils n’ont pas pu participer au débat public.
Les mouvements de « non-blancs » peuvent accéder à l’espace public et porter une parole considérée comme légitime, à condition que leur identité collective réponde à celle, ethnoracialisée, du Sujet de la Nation et qu’ils fassent la promotion des normes et des valeurs des membres « blancs » de la communauté française.

Marion Dalibert

Aurélie Delcros, Pour une sociologie du journal télévisé. Enquête sur ses publics et ses représentations, Université Paris Descartes (dir. Birgitta Orfali), 24 novembre 2012.

Le journal télévisé de 20 heures – cette « grand messe » quotidienne – connaît une telle audience qu’il a fini par devenir le symbole de la communication dite de masse, suscitant par là même des représentations sociales suspicieuses sur lesquelles il s’est historiquement constitué. Ainsi, tout à la fois parangon de l’information moderne et emblème de la « malinformation », il cristallise bon nombre de critiques adressées aux médias plus largement. Le point de départ de cette recherche doctorale a donc consisté à analyser les formes de ce paradoxe faisant du JT le média le plus consommé mais également le plus critiqué ; d’autre part, elle s’est attachée à observer l’effet de troisième personne qu’il produit, invitant alors à s’intéresser aux représentations sociales de ses téléspectateurs pour saisir l’échange indirect qui se joue lors de la réception. Alliant méthodologie qualitative et quantitative, l’enquête sociologique menée auprès de 988 téléspectateurs donne à voir une photographie des publics des différents journaux télévisés. En s’intéressant à la fois aux représentations et aux pratiques des récepteurs, l’analyse permet de déconstruire la notion de « critique » à travers quatre types de rapport à la critique recouvrant les trois idéaux-types de public.
Le public du 20 h de TF1 rassemble les téléspectateurs les plus satisfaits en raison de l’usage social que cette pratique leur apporte. En plus de répondre à une norme sociale selon laquelle il faut être informé, le faible contenu cognitif du JT n’est pas source de critique puisque ces auditeurs cherchent surtout un contact phatique avec le monde extérieur que le JT leur offre quotidiennement. Leur absence de critique s’explique sans doute par une distance avec la politique mais aussi par une absence d’opinion sur les médias, les journalistes.
Bien plus distant de la télévision, le public de France 2 s’oppose en tous points au premier. Regarder le 20 h de France 2 est une pratique en cohérence avec la critique puisque fondée sur elle. Caractérisés par un plus fort niveau culturel et social, ces téléspectateurs plus politisés font preuve d’une critique modérée qui s’apparente à une critique citoyenne associée à un rôle de vigie sur l’information.
Enfin, le dernier idéal-type est constitué par les téléspectateurs des autres JT (chaînes d’information continue et les JT de France 3, France 5 ou Arte). Leur choix est justifié par une forte dénonciation des « 20 heures » alors assimilés à de la « pensée unique », de la « manipulation », voire de la « propagande ». Les représentations des journalistes, des médias et des politiques s’énoncent ici sur le registre de la défiance et de la dénonciation, proche des théories du complot. Deux sous-catégories se dégagent néanmoins : d’une part, des individus très politisés qui réinterprètent le JT selon un discours idéologique, d’autre part, des individus dépolitisés qui font preuve d’une critique de posture soulevant la dimension normative de cette attitude, qui relève davantage d’une croyance que d’une pensée construite.
La réflexion autour de l’effet de troisième personne a mis en évidence le poids de normes sociales semblables à celles qui pèsent sur la critique, et qui se donnent à voir à travers une représentation de l’influence qualifiée de « vide », faisant écho à la critique de posture. En effet, une partie des individus qui dénoncent l’orientation des JT à l’endroit des critiques ne sont pas en mesure de préciser le sens de cette orientation, de même qu’ils dénoncent une influence puissante sur les votes sans pour autant être capables d’en expliciter le sens. En s’interrogeant sur cette représentation en tant que filtre aux messages intervenant lors de la réception, il s’est avéré nécessaire d’appréhender le sentiment de protection qu’elle peut conférer à l’individu sans pour autant le confondre avec son efficacité réelle, ce qui ouvre, ainsi, de nouvelles perspectives de recherche quant à la réception de ce véritable miroir social.

Aurélie Delcros

Karine Espineira, La construction médiatique des transidentités : Une modélisation sociale et médiaculturelle, université de Nice-Sophia Antipolis (dir. Marie-Joseph Bertini), 26 novembre 2012.

Cette recherche, inscrite au sein des Sciences de l’Information et de la Communication, a pour objet l’analyse des formes de la construction médiatique des transidentités à la lumière des études de Genre et des Cultural Studies. Elle vise à montrer comment nos représentations génèrent des modélisations à la fois sociales et médiaculturelles. Elle croise les données résultant de l’analyse du corpus INA et celles de l’état des lieux du terrain choisi. La transidentité y est considérée comme une médiaculture au sens défini par Éric Maigret et Éric Macé (2005) et le travail de l’auteure prend appui sur l’idée d’Edgar Morin (1962) développée par les études culturelles, ainsi reformulée : la transidentité, loin d’être la culture de tous, est désormais connue de tous. Mais de quelle nature est cette connaissance ? Quelles sont les grandes étapes de la médiatisation des trans ? La thèse détaille les processus de l’évolution des représentations au regard des subcultures trans, depuis les origines de la médiatisation des trans à la télévision française.
Le traitement télévisuel correspond-il aux expressions majoritaires du terrain transidentitaire ? Peut-on envisager l’invention d’un « transsexualisme télévisuel », télégénique et politiquement correct contribuant à maintenir un ordre des genres ? Le soupçon de dichotomie entre représentation(s) de la transidentité à la télévision et transidentités vécues est soulevé par les trans eux-mêmes. Les mises en scène d’un donner à voir acceptable et consensuel résultent d’un modèle de représentation socioculturel hétérocentré dominant ; une illustration du pouvoir prescriptif de la norme à l’œuvre (une normation au sens de Foucault). Processus et modèle font l’objet d’une analyse appuyée d’une part, sur cinq années d’observation participative du terrain et d’autre part, sur un corpus de 800 documents audiovisuels déposés à l’Institut National de l’Audiovisuel de 1946 à nos jours. Ce corpus important a été construit au moyen de recherches par mots-clés définis et contextualisés : travesti, transsexuel, transsexuelle, transsexualisme, transsexualité, transgenre, transidentité, dans les bases suivantes : Imago (archives depuis les origines de la télévision), DL TV, Région, Câble et Satellite (programmes depuis la loi sur le dépôt légal de 1995).
Le dispositif du Genre y apparaît comme le substrat et le moteur du fonctionnement hégémonique d’un modèle co-construit, lequel demeure paradoxalement minoritaire sur le terrain. La télévision aborde l’institué « transsexe » comme la représentation dominante au détriment de l’institué « transgenre » pourtant très largement majoritaire dans le monde associatif. La modélisation entretient une forte adéquation avec l’ordre social et historique du Genre entendu au sens de « rapports sociaux de sexes ». On note la persistance à travers le temps de l’expression d’un malaise que l’on pourrait qualifier de « trouble » dans le Genre (et « Ã  l’ordre public »). Dans une approche foucaldienne et castoriadienne, nous décrivons un réel méconnu : tous les trans ne veulent pas être des sujets dociles et utiles à une société qui fait de la différence une inégalité instituée et instituante mais proposer des féminités et des masculinités croisées et non-oppositionnelles.
Pour la chercheure en SIC, il a fallu établir la part de l’imaginaire social et de l’imaginaire médiatique, mesurer les degrés de convergence vers des représentations produites par la société instituée/instituante (la culture héritée), « l’industrie culturelle » et « l’appareil culturel ». L’étude des glissements sémantiques du lexique médiatique des transidentités montre que le qualificatif de « fait divers » disparaît peu à peu au profit de celui de « fait de société », qui cède lui-même progressivement la place à la notion subversive d’« Ã©galité des droits ». Par ce moyen, il devient possible de décrire et d’analyser les liens objectifs qu’entretiennent des représentations sociales et des représentations médiatiques devenues désormais consubstantielles.

Karine Espineira

François Robinet, Les conflits africains au regard des médias français (1994-2008). Construction, mise en scène et effets des narrations médiatiques, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (dir. Christian Delporte), 5 décembre 2012.

Cette recherche porte sur la médiatisation française des conflits africains depuis le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 jusqu’aux événements kenyans et tchadiens de 2008. L’analyse des archives de presse et des archives audiovisuelles d’une dizaine de rédactions hexagonales éclaire la manière dont les journalistes montrent et racontent les guerres africaines. La mise en perspective de ces archives à partir de sources orales, de sources officielles françaises et de sources humanitaires permet aussi d’approcher les conditions de production de l’information ainsi que certains des enjeux de la diffusion d’informations en temps de guerre. Résolument historienne, bien que mobilisant des apports d’autres sciences sociales, notre approche nous a conduit à déployer une démonstration autour de quatre axes majeurs.
Celle-ci s’intéresse d’abord aux fortes variations de la visibilité dont bénéficient les conflits africains au sein de l’espace public français. Les événements rwandais de 1994, la première guerre du Congo, la guerre civile en Côte d’Ivoire et le conflit du Darfour mobilisent l’intérêt des rédactions françaises, quand la plupart des autres conflits ne suscitent qu’attention diffuse ou relative indifférence. Ces disparités résultent d’un ensemble de facteurs complexes : s’il faut relativiser le poids de la loi médiatique du coefficient morts/kilomètre, la possibilité d’offrir un regard national sur l’événement, l’accès aisé au terrain, la capacité des faits à susciter l’émotion ou l’existence d’acteurs susceptibles d’imposer une grille de lecture favorable à la couverture constituent des variables explicatives déterminantes.
Le deuxième temps fort de la démonstration porte sur une comparaison des modalités de construction des discours médiatiques diffusés lors de quatre conflits fortement médiatisés. En dépit de la pluralité des réalités guerrières, ces événements sont d’abord perçus à partir de deux prismes principaux - le prisme national et le prisme humanitaire - tandis que d’autres aspects de ces événements comme les combats, les belligérants, ou les conséquences économiques sont moins visibles dans la couverture. Régulièrement focalisées sur la grille de lecture ethnique, les rédactions françaises échouent la plupart du temps à établir clairement les responsabilités des différents acteurs et à qualifier précisément les faits. L’analyse de ces quatre études de cas permet en outre de dégager un certain nombre de permanences dans la construction de récits médiatiques ainsi qu’une forte corrélation entre l’intensification de la couverture, la dramatisation de l’événement et la valorisation du rôle de la France et des Français.
Un troisième moment propose une étude transversale de ces récits qui dominent les mises en scène de la guerre. Sans occulter les singularités générées par les différences de formats ou de supports, force est de constater la récurrence d’un récit tragique centré sur les figures de la victime, du sauveur et du persécuteur. Révélateur d’un imaginaire collectif composite hérité des imaginaires coloniaux, des imaginaires de guerre ou de l’imaginaire républicain, ce récit récurrent impose une vision manichéenne du monde valorisant le rôle de la France et réduisant les acteurs africains aux rôles symboliques de victimes ou de populations violentes.
La persistance de telles représentations ne peut cependant s’expliquer uniquement par la prégnance du legs colonial ou par la force du « roman national ». Leur mobilisation régulière résulte en effet aussi de certaines logiques propres aux pratiques journalistiques (logique d’audience ; logique de crédibilité) ou partagées avec d’autres acteurs (logique de la vulnérabilité ; logique de la dénonciation-action) notamment lorsque les stratégies de communication déployées par la diplomatie française contribuent à réactiver ces représentations au service d’intérêts nationaux (légitimation d’intervention militaire ; valorisation de la puissance française). La construction et la mise en scène de l’information sur les conflits africains apparaissent, dès lors, comme une production, collective et systémique, effectuée par des professionnels confrontés à des contraintes fortes et à des jeux d’influences de plus en plus complexes.
L’étude des articulations entre les pratiques journalistiques et les contenus diffusés apporte ainsi des conclusions bien au-delà du champ de recherche qu’est l’histoire des médias. Dans le domaine de l’histoire culturelle, les contenus médiatiques mettent en relief ces moments privilégiés de (re)configuration du « roman national » que sont les périodes de couverture des conflits africains. Ces archives livrent également de précieux indices sur les stratégies, les dispositifs et les discours déployés par les responsables politiques et militaires français dans le contexte d’une guerre lointaine. Enfin, en termes d’histoire diplomatique, ces contenus ont parfois pu être des vecteurs mais aussi des reflets des choix politiques de la diplomatie française, les médias servant de relais à certaines stratégies des décideurs français tout en influençant parfois le jeu des différents acteurs sur le terrain, et donc indirectement, le déroulement de ces conflits.
Histoire culturelle, histoire des relations franco-africaines, histoire des conflits contemporains, ce travail sera, espérons-le, aussi lu comme un témoignage de l’intérêt que revêtent les approches par les médias dans les processus de construction du savoir historique.

François Robinet

Sidonie Naulin, Le journalisme gastronomique. Sociologie d’un dispositif de médiation marchande, Université Paris-Sorbonne (dir. Philippe Steiner), 7 décembre 2012.

La gastronomie peut être considérée comme une attention portée à la dimension esthétique de l’alimentation. Les biens gastronomiques (repas au restaurant, produits alimentaires…) sont donc des biens symboliques dont l’échange sur le marché passe par l’existence de dispositifs de valorisation particuliers. En tant qu’il contribue à orienter les consommateurs en leur indiquant le « bon » produit ou la « bonne » manière de cuisiner, le journalisme gastronomique constitue un dispositif de médiation marchande. Cette thèse de sociologie se donne pour objet de mettre au jour les ressorts de la fabrication d’un tel dispositif.
Le dispositif médiatique est le produit d’un travail concret dont la forme dépend du contexte socio-historique, de l’environnement concurrentiel et organisationnel des titres ainsi que de l’identité et de la trajectoire des acteurs qui le produisent. L’étude de sa construction implique donc de mobiliser des matériaux ayant trait à la fois aux productions médiatiques (étude d’un magazine sur plus de 60 ans, comparaison du traitement de la cuisine dans quatre journaux, utilisation de statistiques textuelles…), à ceux qui produisent ces contenus médiatiques (réalisation de 95 entretiens, observations au cours d’événements gastronomiques, enquête quantitative auprès de 1387 blogueurs culinaires) et aux organisations au sein desquelles sont fabriqués ces contenus (mobilisation de données statistiques, réalisation d’entretiens organisationnels).
Dans une perspective diachronique, les quatre premiers chapitres de la thèse sont consacrés à l’émergence de la presse gastronomique au XIXe siècle et à sa construction à l’articulation de différents espaces sociaux (gastronomique, amateur et journalistique) au cours du XXe siècle. L’étude sur le long terme (1947-2010) du magazine Cuisine et Vins de France permet la mise en évidence des reconfigurations successives de la fonction d’intermédiation de la presse gastronomique durant la seconde moitié du XXe siècle. À la fin des années 1980, le développement du marché de la presse gastronomique vient transformer la production de l’information gastronomique. Le positionnement (et donc le contenu) des journaux devient alors dépendant du positionnement des titres concurrents. L’étude de deux magazines placés aux extrémités du continuum reliant la presse de recettes à la presse « purement » gastronomique permet d’établir un lien entre stratégie éditoriale, organisation du travail et type de contenu médiatique produit. L’attention portée aux formes organisationnelles offre de surcroît des clés pour comprendre l’accroissement de la diffusion et du nombre des titres depuis la fin des années 1980.
Deux chapitres sont ensuite consacrés aux acteurs individuels de la fabrication de l’information journalistique. Il s’agit notamment de voir en quoi et comment l’insertion des journalistes dans un univers professionnel possédant ses enjeux propres contribue à déterminer la forme et le contenu médiatique. L’analyse de l’histoire, des parcours et des compétences (technique, littéraire et journalistique) des journalistes ainsi que du profil de leurs concurrents potentiels que sont les blogueurs culinaires met en évidence différentes formes d’écriture gastronomique, les types de confiance qui en découlent et leurs évolutions.
Les deux derniers chapitres portent sur le travail journalistique. L’étude du travail concret des journalistes permet dans un premier temps de rendre compte de la similitude des contenus médiatiques entre les différents supports en montrant le caractère éminemment collectif de la construction quotidienne de l’information gastronomique. La thèse invite donc à repenser la notion de « journaliste » à l’aune des débordements (caractère collectif de l’activité, émergence des blogueurs…) auxquels cette notion est sujette. L’analyse du parcours à différentes époques de journalistes gastronomiques renommés autorise dans un second temps à saisir la manière dont certaines visions de la gastronomie parviennent à s’imposer tout en permettant aux journalistes qui les portent de se singulariser de leurs confrères.

Sidonie Naulin

Guillaume Goasdoué, La construction des pratiques informationnelles par le(s) public(s) des médias. Trajectoire biographique, parcours de pratique, culture informationnelle médiatique, Université Paris 2 – Panthéon-Assas (dir. Rémy Rieffel), 11 décembre 2012.

Comment rendre compte sociologiquement des comportements informationnels des usagers « ordinaires » des médias ? En effectuant des entretiens approfondis (approche biographique) auprès d’adultes aux profils contrastés (âge, sexe, niveau d’étude, statut familial, catégorie socioprofessionnelle…), nous avons cherché à circonscrire les processus et les logiques qui balisent les pratiques informationnelles. Partant de l’hypothèse que la position sociale et les consommations médiatiques sont étroitement liées, nous avons interrogé longuement des usagers en prenant soin de mettre en parallèle les parcours de vie et les itinéraires de consommations de médias, mais aussi les conditions d’existence de ces derniers et les spécificités techniques et contextuelles liés aux usages des supports médiatiques.
Dans la première partie intitulée « socialisation et médias », nous sommes revenus sur le phénomène de socialisation primaire. Le rôle de la famille (« climat familial ») et le rapport à l’école, à la lecture et aux médias (télévision, radio, presse) ont été au centre des développements. Une attention particulière a été également portée à l’influence des études supérieures (filière et durée) ainsi qu’au niveau de politisation (i.e. les connaissances sur la vie politique institutionnelle mais aussi la capacité à penser politiquement le monde). On observe ainsi comment la hausse du niveau d’instruction agit fortement sur les consommations de nouvelles et sur la perception du champ médiatique. Dans la seconde partie nous avons travaillé le concept de compétence sociale et d’« assignation statutaire » en les reliant aux comportements informationnels. Deux chapitres abordent particulièrement l’incidence des contextes d’utilisation (au travail, en déplacement, à domicile…) et l’appropriation différenciée de l’ère numérique depuis une quinzaine d’années. Enfin la dernière sous-partie questionne ce que nous avons appelé une « culture informationnelle médiatique ». Cette dernière concerne l’ensemble des savoirs méta-informationnels qui favorisent l’assimilation des actualités ainsi que le réagencement permanent des écosystèmes informationnels à l’échelle individuelle, i.e. la combinaison d’outils, de formats, d’intermédiaires utilisés par tout un chacun pour consommer les nouvelles.
Les résultats montrent que les pratiques informationnelles sont étroitement liées aux positions qu’occupent les enquêtés dans l’espace social. Les individus, et au-delà les groupes sociaux, tendent à consommer des types de contenus informationnels (plus ou moins « légitimes »), à adopter des manières de les consommer (plus ou moins « savantes »), et à leur donner des fonctions particulières (rappel de normes, « veille citoyenne », support de communication, assurance sociale, définition de soi…).
Enfin cette recherche tente de combler à sa manière le manque de travaux qui ont pour sujet les pratiques sociales ordinaires (contemporaines et anciennes) comme le sont les consommations d’actualités : pratiques hautement ritualisées d’une part et pratiques transversales aux groupes sociaux d’autre part.

Guillaume Goasdoué

Olivier Trédan, Les mondes du blog. Contribution à l’analyse du phénomène des blogs en France, Université de Rennes 1 (dir. Denis Ruellan), 12 décembre 2012.

Ce travail doctoral vise à restituer les dynamiques d’apparition et de structuration du phénomène des blogs en France.
À ce dessein, deux démarches empiriques ont été menées conjointement. D’une part, il s’est agi de proposer une approche générale et longitudinale du phénomène des blogs en France, entre 2002 et 2009. À partir d’une observation diachronique, nous avons mis en évidence la segmentation progressive des mondes du blog autour de trois éléments. Le lien hypertextuel et son indexation ont joué un grand rôle dans la vision d’un nouvel espace informationnel d’où émergeraient quelques leaders d’opinion. Par ailleurs, l‘essor du phénomène est étroitement lié à l’émergence des plateformes de blogs, dispositifs facilitant l’accès à la publication en ligne. Elles ont également constitué des lieux où des histoires singulières se sont forgées. Enfin, les multiples entrecroisements entre mondes du blog et d’autres mondes se sont traduits par l’apparition de nouvelles formes éditoriales originales. Les blogs BD, animés par de jeunes dessinateurs qui se sont saisis du blog pour y narrer leur quotidien, en sont une illustration particulièrement exemplaire.
D’autre part, nous avons suivi les carrières de dix jeunes internautes qui animaient un espace de publication, avec une régularité variable, depuis 2003. Par une approche ethnographique de leurs pratiques de sociabilité et culturelles, nous avons mis en évidence le caractère ambivalent de l’activité de blogging. Elle est certes une activité intrinsèquement collective où la lecture et le commentaire mutuels, entre pairs, constituent des activités de renfort. Mais elle est également source de remise en question du fait même de son caractère public. Les blogueurs suivis ont pris progressivement conscience de cette dimension, à mesure que des lecteurs non désirés se sont manifestés. Cette prise de conscience s’est traduite en un souci accordé à ne pas trop maximiser leur apparition et à aménager leur visibilité, à occuper les espaces qui leur permettent de vivre cachés.
Compte tenu de cette tension et des solutions apportées, il n’était pas possible d’envisager les pratiques de publication observées comme répondant à un projet bien défini. Elles étaient constamment retravaillées et les manières de se mettre en scène n’ont cessé d’évoluer. Ces transformations ont partie liée avec leurs habitudes de lecture en ligne. En effet, bloguer c’est aussi se livrer à l’exploration curieuse des mondes du blog autour de quelques blogs fréquemment consultés et des déambulations parmi les blogs, de liens en liens. Une partie de ce que ces blogueurs trouvaient en ligne leur permettaient d’alimenter leur propre blog et leurs conversations interpersonnelles. La pratique du blog, faite de lecture et d’écriture, n’est pas isolée, mais s’inscrit dans un ensemble d’activités de sociabilité et de pratiques culturelles. En d’autres termes, c’est dans la combinaison entre auto-publication, pratiques culturelles et sociabilités que se construisent les mondes de blogueurs.
Une des originalités de notre travail repose sur l’articulation de ces deux niveaux d’observation, en cherchant à relier la dynamique de segmentation du phénomène des blogs aux processus de circulation et de d’appropriation des productions issues des mondes du blog - qu’ils s’agissent de dispositifs techniques ou de productions éditoriales. Celles-ci sont amenées à circuler, et à se charger d’un sens nouveau, à partir duquel des individus trouvent matière à animer leur propre monde social, à trouver du goût pour ce qu’ils font. Dès lors, le blog ne peut être seulement saisi comme un support de communication. Il est une médiation qui met en relation, dans un jeu de valorisation croisée, des acteurs aux intentions et façons de faire différentes et d’où émerge quelque chose de neuf, les mondes du blog.

Olivier Trédan

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Positions-de-theses,4745.html

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