Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Tourya Guaaybess, Télévisions arabes sur orbite. Un système médiatique en mutation (1960-2004) (CNRS Éditions, 2005). Recension par Lucas Dufour.
En publiant la thèse de Tourya Guaaybess, c’est une histoire détaillée du système médiatique arabe en général et de son « sous-système » télévisuel égyptien en particulier que nous proposent les éditions du CNRS. À la base du processus historique se situe le déterminisme technique – « le message, c’est le médium » : les développements satellitaires et numériques des années 1980-90 ont fait apparaître à côté des médias traditionnels des opérateurs transnationaux (telle la chaîne Al-Jazeera) ; ils entraîneront l’émergence, diffuse mais réelle, d’un espace public de délibération. S’ajoute, en toile de fond, la « globalisation », dont il est postulé d’emblée qu’elle contribue, en dépit de sa logique « utilitaire » et uniformisante, à l’avènement d’une information « libérale ». Tel est le cadre dans lequel s’inscrit cette étude, dont l’objet est de montrer la complexité des rapports existants entre, d’un côté, un espace télévisuel en pleine « mutation » et, de l’autre, l’État, désireux de préserver l’essentiel de ses prérogatives en matière de diffusion d’information.
De ce point de vue, la description de ce qui constitue et caractérise l’objet « système télévisuel égyptien » est exhaustive et précieuse : l’État multiplie les nouvelles chaînes publiques, autorise certaines chaînes privées, crée la zone franchisée de production Media City et lance ses propres satellites. Il s’agit pour lui de faire contre mauvaise fortune bon cÅ“ur : tolérer un nouvel espace médiatique pour couper l’herbe sous le pied des chaînes satellitaires étrangères, mais « redorer son blason » tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Il est dommage toutefois que l’auteur ait séparé son objet de la base réelle des processus sociaux : dans un contexte de déréglementation, de privatisation et d’aggravation des conditions de travail et de vie des classes populaires, la libéralisation du « système médiatique » constitue-t-elle réellement un renoncement du régime ? Dans quelle mesure le contrôle social qui s’exerce sur la population, et auquel contribue fortement la confrérie islamiste des Frères musulmans – la force politique d’opposition la plus implantée socialement et néanmoins l’une des plus bienveillantes à l’égard de la politique « libérale » d’Hosni Moubarak – a-t-il été déterminant ?
Il se pourrait, en somme, que le « médium » ne prenne sens, en dernière analyse, qu’au regard des réalités objectives du monde social et de ses rapports de force. Tout espace médiatique, du reste, n’est-il pas intelligible à cette condition ?
Lucas Dufour
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 6, printemps 2006, p. 239-240.