Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Sylvette Giet, Soyez libres, le corps dans la presse féminine et masculine (Éditions Autrement, 2005). Recension par Patrick Eveno.
Phénomène majeur de la presse magazine, la presse féminine reste peu étudiée par les historiens depuis les travaux pionniers d’Evelyne Sullerot (Histoire de la presse féminine des origines à 1848 et La presse féminine, publiés tous deux chez Armand Colin en 1966). Comme si on en était resté à l’analyse des années 1970 (Anne-Marie Dardigna, Femmes-femmes sur papier glacé et La presse féminine, fonction idéologique, Maspero, 1974 et 1978), qui ne voyait dans cette presse qu’une entreprise d’aliénation sous couvert de « libération ». S’il est vrai que cette presse n’est pas considérée comme « noble », elle séduit pourtant depuis plus de deux siècles une clientèle qui ne faiblit pas. Sylvette Giet fait partir des quelques chercheurs qui s’attaquent à ce champ avec moins d’a priori, et plus de rigueur. Elle nous a déjà donné un bel ouvrage, Nous Deux, 1947-1997, apprendre la langue du cÅ“ur (Editions Peeters-Vrin, 1997). Elle nous livre ici une analyse de contenu centrée sur l’année 2003, qui prend en compte aussi bien les articles que les photographies et les annonces publicitaires.
Comment le corps est-il montré dans la presse féminine et dans la presse masculine ? S’agit-il d’un simple objet de consommation marchande ou bien peut-on trouver, au-delà des apparences, un discours plus affiné, si ce n’est moins commercial ? La réponse est évidente : si la presse féminine poursuit avec brio une carrière déjà bien longue, c’est qu’elle sait coller aux souhaits des lectrices tout en renouvelant ses thématiques et sa présentation. Certes, ces magazines livrent à leurs lectrices les images d’un corps érotisé, faire-valoir des produits de consommation mis en scène par les journaux et surtout par les annonceurs. La consommation marchande, au premier regard, est l’objet et le sujet de cette presse. Cependant, au travers d’une fine analyse Sylvette Giet nous montre que ces magazines ne cessent de mettre en valeur le sentimental et l’amour. Finalement, si la presse féminine place le corps au cÅ“ur de ses préoccupations, c’est pour mieux parler du cÅ“ur. La presse de cÅ“ur n’est pas morte, elle a simplement changé d’apparence ; elle conserve son côté « fleur bleue », en dépit de ses provocations quasi pornographiques et d’un marketing envahissant. Ce petit livre est riche et stimulant pour qui souhaite pénétrer un peu plus avant dans les arcanes de la presse et de son rapport au lectorat.
Patrick Eveno
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 6, printemps 2006, p. 238-239.