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Ouvrage : Sophie de Closets, Lectures pour tous (De Boeck/INA, 2004). Recension par Cécile-Anne Sibout.

Le 27 mars 1953 apparaît la première émission littéraire télévisée française, Lectures pour tous. Ses initiateurs sont Jean d’Arcy, directeur des programmes, et deux jeunes licenciés en philosophie amoureux de littérature, Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet, qui ont appris les rudiments du journalisme à la radio. L’écho est faible dans l’immédiat, car le pays ne possède alors qu’environ 10 000 récepteurs. L’émission hebdomadaire, qui durera quinze ans avant d’être emportée par mai 1968, trouve toutefois vite un public fidèle et diversifié, sinon large. En effet Lectures pour tous propose des sommaires contrastés : les Å“uvres difficiles y côtoient les best-sellers à la mode et même les livres pratiques, de façon à toucher jusqu’à la « mercière de Saint-Léon », selon l’expression de Desgraupes. C’est l’époque où s’affirme la volonté de démocratiser la culture : Vilar est parti à la conquête des publics populaires pour le théâtre, et même le secteur marchand emboîte le pas, Hachette créant avec succès le Livre de poche cette même année 1953.

Lectures pour tous est constitué de trois ou quatre conversations en direct d’une dizaine de minutes avec un écrivain, et de chroniques, en particulier les brillants one-man-shows de Max-Pol Fouchet. Elle s’apparente au départ à de la radio filmée, avec de longs plans fixes, mais dès 1955 une mutation décisive s’opère avec l’arrivée du réalisateur Jean Prat. Ce dernier impose un langage télévisuel nouveau, comme le montre Sophie de Closets dans une des parties les plus intéressantes de son étude : un bon tiers de l’interview va désormais être illustré par des gros plans s’attardant sur le physique de l’auteur (le profil de Mauriac, les mains de Borges, les tics de Céline…), dont les moindres mouvements, voire les silences, sont guettés comme autant d’indices révèlant sa personnalité profonde.

Sophie de Closets, qui a visionné les 44 émissions encore disponibles à l’Inathèque, utilisé des sources variées, notamment les archives de Max-Pol Fouchet à l’IMEC, et rencontré entre autres Pierre Dumayet (mais pas Bernard Pivot, petite frustration pour le lecteur), offre donc aux historiens de la culture comme à ceux des médias, par cette intéressante monographie, l’occasion de réfléchir à plusieurs transformations décisives. On note d’abord l’apparition d’une première forme de télévision-confession, genre appelé à un grand avenir. On voit comment la télévision, fille de la radio, s’en démarque dans la décennie cinquante et invente des formes d’expression spécifiques. Mais surtout Lecture pour tous, qui n’aborde guère les questions d’écriture ou de style au sens strict, ni les genres peu télégéniques comme la poésie, vise à révéler autant un individu que son Å“uvre. L’émission tend donc à modifier notre conception de la littérature, puisqu’elle suggère, par sa dramaturgie, que toute Å“uvre est forcément autobiographique. Elle va même jusqu’à suggérer parfois que le plus intéressant c’est l’auteur, et non pas l’œuvre. La médiatisation des écrivains modifie par ailleurs les circuits de légitimation : « passer à la télévision » devient un critère fondamental de reconnaissance publique, et rares sont ceux comme Sartre et Beauvoir qui s’y refuseront. La littérature, elle aussi, commence ainsi à devenir un spectacle, une évolution confirmée avec le nouveau « salon littéraire » créé en 1975, qui ajoute, par rapport à Lectures pour tous, le piment des escarmouches verbales entre auteurs : Apostrophes.

Cécile-Anne Sibout

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 4, printemps 2005, p. 280-281.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Ouvrage-Sophie-de-Closets-Lectures.html

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