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Ouvrage : Myriam Boucharenc, L’écrivain-reporter au cÃ…“ur des années trente (Presses Universitaires du Septentrion, 2004). Recension par Hans Renders.

Pierre Mac Orlan, Joseph Kessel, Pierre Hamp, Paul Nizan, Roger Vailland, Colette, Blaise Cendrars ou Simenon étaient au moins aussi connus dans les années vingt et trente par leurs travaux journalistiques dans Le Matin, Paris-Soir, Gringoire ou l’encore plus spectaculaire Détective, que plus tard par les romans qu’ils écrivirent. « L’écrivain-reporter » était à cette époque un héros du peuple par ses reportages qui attiraient l’attention. Les grandes séries sur le bagne de Cayenne d’Albert Londres (inspirateur de tous les écrivains-reporters) et le reportage Ce que j’ai vu à Moscou, Rome, Berlin d’Henri Béraud furent, après avoir été réunis en recueil, les premiers best-sellers. Le « reporter-écrivain » est en réalité un faux frère de l’écrivain-reporter. « L’un entre en reportage par la voie royale de la littérature, l’autre tente d’accéder à la carrière par la petite porte du journal, » écrit Myriam Boucharenc, professeur de Littérature française à l’Université de Limoges, dans son étude sur la corrélation entre le journalisme et la littérature dans l’entre-deux-guerres, récemment publiée sous le titre L’écrivain-reporter au cÅ“ur des années trente. Lorsqu’on part du principe que les textes non littéraires disparaissent au moment même où les lecteurs auxquels ils étaient destinés, cessent d’exister, il semble bien paradoxal de reconnaître des qualités artistiques à une Å“uvre journalistique. Cette idée n’est pourtant pas absurde dans la mesure où le reportage, phénomène aussi remarquable que méconnu de la vie culturelle de l’entre-deux-guerres, est un genre à mi-chemin entre le livre et le journal.

L’écrivain-reporter écrit de façon imagée à la manière d’un scénariste et adopte dans ses articles l’attitude de l’explorateur intrépide ou du détective rusé qui nourrit une passion de la vérité.

Avant que le journalisme ne se professionnalise et ne s’uniformise, il y avait plus de place pour les aventuriers, libres de toute contrainte d’objectivation du genre de celle que connaît le journalisme moderne. Les conteurs d’histoires étaient en effet moins poussés par les lois impératives de l’actualité et de l’opinion publique que par le désir de plaire – pour ne pas dire surprendre – aux lecteurs de Le Parisien ou Le Matin. Mais il y avait une règle à laquelle on ne pouvait déroger. Chaque histoire devait être « incroyable mais vraie ». Il s’agissait là du code déontologique qui les distinguait du « vraisemblable mais faux ». D’un point de vue narratif, les interventions réalisées – comme le fait de comprimer et parfois même d’inventer des dialogues, et d’écrire à la première personne de sorte que le reporter fasse partie de l’histoire – font aujourd’hui penser au Nouveau Journalisme.

Un grand nombre de ces journalistes ont joué double jeu, en écrivant d’une part des nouvelles spectaculaires dans la presse à sensation et d’autre part, dans leur temps libre, des textes littéraires ou – dans l’espoir de devenir riche – des romans policiers. Les auteurs sur lesquels l’auteure braque les projecteurs, combinèrent ces deux activités en écrivant de grands reportages dans les journaux qui leur servaient de matériaux pour leurs livres ultérieurs.

Une caractéristique du reportage est de ne pas être fictionnel tout en étant écrit avec des moyens littéraires. Personne ne mettra en doute qu’Émile Zola était un romancier ; pourtant son Å“uvre s’inspire de son regard journalistique sur la réalité et elle est écrite comme une chronique documentée : le roman-reportage. Le reportage journalistique prit un grand essor dans les années vingt et trente du siècle précédent. Et l’ambition sous-jacente était importante, comme l’illustrent les mots (datant de 1927) de l’écrivain-reporter très connu Henri Béraud : « Rien, après tout, ne nous empêche de croire que le reportage sera la littérature de demain ». Tout journal se respectant avait alors un reporter-vedette qui partait pour son compte en Russie, en Extrême-Orient ou en Afrique. Et dans ces reportages qui étaient imprimés de façon remarquable en première page et sous forme de feuilleton, il n’était pas rare que l’on fasse référence au Tour du monde en 80 jours de Jules Verne. Le succès de ce genre de récit était si grand que les reportages bénéficiaient d’une seconde vie sous forme de livre, mais aussi que des périodiques spéciaux furent créés pour satisfaire aux besoins du public ; Fayard lança ainsi Candide en 1924 et Les Éditions de France suivirent avec Gringoire, une revue dont nous avons déjà parlé. En 1930, Gallimard édita Voilà, où Pierre Hamp et Simenon remportèrent un grand succès.

Il était donc logique que l’écrivain-reporter se vît attribuer le plus haut statut au sein de la rédaction, le « flâneur salarié » (Béraud publia un livre portant ce titre en 1927) rivalisait pour cette position avec la stature de l’auteur littéraire, qui était considéré comme le créateur de l’éternité. Cette évolution se heurta naturellement à la résistance de ceux qui répondaient de la culture et qui considéraient le journal comme un moyen pour la plèbe de se permettre d’avoir des idées sur l’honnête bourgeoisie. L’actualité et l’opinion publique représentaient aux yeux de ces critiques des phénomènes dont les vrais intellectuels et les purs artistes devaient se tenir fortement éloignés. Il s’agissait d’une attitude qui remontait à ce que Baudelaire appelait : « la tyrannie de la circonstance ». Au cours de l’automne de 1927, la revue Marges consacra même trois numéros spéciaux aux « maladies actuelles de la littérature ». Une révolution écrite avait beau avoir eu lieu, la culture de masse était toujours un phénomène inquiétant.

Myriam Boucharenc a exploré de façon passionnante un terrain encore trop peu étudié. Outre les implications journalistiques et littéraires du reportage dans l’entre-deux-guerres, elle s’intéresse aussi aux effets plus théoriques en matière de poétique de ce genre hybride. Il est ainsi plausible qu’il existe un lien entre la modernité des beaux-arts ou de la philosophie et la tentation de la mobilité (de préférence rapide) que suscita explicitement le reportage. On lui pardonnera donc volontiers d’avoir consigné les résultats de ses recherches dans un ouvrage qui défie toutes les lois du graphisme et du bon goût.

Hans Renders

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 4, printemps 2005, p. 268-270.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Ouvrage-Myriam-Boucharenc-L.html

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