Accueil du site > Actualités > Recensions d’ouvrages > Caricature > Ouvrage : Michel Dixmier, Annie Duprat, Bruno Guignard, Bertrand Tillier, Quand le crayon attaque. Images satiriques et opinion publique en France (1814-1918) (Éditions Autrement, 2007). Recension par Scylla Morel.

Recensions d’ouvrages

envoyer l'article par mail title= envoyer par mail Version imprimable de cet article Version imprimable Augmenter taille police Diminuer taille police

Ouvrage : Michel Dixmier, Annie Duprat, Bruno Guignard, Bertrand Tillier, Quand le crayon attaque. Images satiriques et opinion publique en France (1814-1918) (Éditions Autrement, 2007). Recension par Scylla Morel.

La dernière édition des Rendez-vous de l’Histoire de Blois (18-21 octobre 2007), consacrée à « L’opinion : information, rumeur, propagande » et les deux expositions qui présentaient la riche production des dessins satiriques publiés tout au long du xixe siècle, offraient un cadre opportun à la publication de cet ouvrage rassemblant historiens, collectionneurs et responsables pédagogiques. Ventilé en six chapitres, le livre entend décrypter le fonctionnement de la caricature de presse durant les années 1814-1918. En France, l’art de la caricature fleurit au début du xviiie siècle. Sous la Révolution et jusqu’au début du xixe siècle, les livres et les revues illustrés de caricatures prolifèrent. Grâce à C. Philipon et à ses publications, La Caricature (1830), Le Charivari (1831) et Le Journal pour rire (1848), la caricature entre dans l’arène politique. Daumier, Doré, Gavarni, Cham ou Grévin sont les principaux artistes collaborant à ces journaux.

Cependant la caricature se révèle tributaire des lois de censure de la presse. Les dessinateurs sont contraints à l’anonymat ou à publier sous un pseudonyme. Mais, conscients de leur pouvoir et se sentant investis d’une mission civique, ils multiplient parades et inventions graphiques, jouant de l’allusion et de la zoomorphisation. Traversée de personnages et d’événements qui prêtent le flan à la satire, cette période pose les fondements des codes visuels et sémantiques de la caricature. Alors que se multiplient les feuilles volantes, prémices du réveil de la satire des années 1867-1881, la caricature devient un instrument de modélisation des consciences. La « petite presse » réunit alors plumitifs et caricaturistes, qui profitent des progrès techniques de l’imprimerie. Toujours très présente, la caricature de mÅ“urs fait place aux portraits charges dont André Gill se fait le maître.

Incontestablement, la loi de 1881 marque un tournant tandis que le xixe siècle finissant consacre l’âge du papier. L’appétit des lecteurs est largement alimenté par la prolifération d’une presse hétéroclite, qui comble autant les gourmands en feuilles grivoises que les lecteurs des périodiques qui soutiennent les révoltes sociales. La crise du boulangisme, le scandale de Panama, l’anticléricalisme, l’affaire Dreyfus placent le caricaturiste au cÅ“ur d’un processus d’affirmation de la République : Forain met en cause le fonctionnement de la justice française. À côté de Caran d’Ache, ses dessins paraissent dans le journal antidreyfusard Psst !. La Grande Guerre finit de consacrer la caricature comme acteur de la vie politique.

Peu à peu délestée de sa réputation de médiocrité morale, elle s’enrichit des œuvres au style nettement plus graphique et, ainsi, son autonomie artistique, confortée par l’apport d’artistes français (Iribe, Toulouse-Lautrec) ou étrangers ( Kupka, Picasso, etc.) et la publication de revues soigneusement éditées, comme L’Assiette au Beurre de S. Schwartz qui publie Steinlen, Roubille, Ricardo Flores.

Cette dimension artistique et journalistique est opportunément exemplifiée par C. Robinot qui propose aux professeurs d’histoire et à leurs élèves un parcours pédagogique autour de six caricatures : de 1815 à 1916, d’une lithographie anonyme à la une du Canard Enchaîné, nous voyons comment l’impertinent illustrateur devient journaliste.

Cet ouvrage, dont l’iconographie est pleinement valoriséé par une mise en page réussie, invite à s’interroger sur le rôle de l’image de presse dans la formation de l’opinion publique ; une question passionnante qui, nous le voyons chaque jour, reste pleinement d’actualité. Les livres sur l’histoire de la caricature, la caricature et l’histoire sont encore trop peu nombreux pour qu’on puisse se retenir de féliciter les responsables de cette publication et leur ambition pédagogique, qui en fait une excellente introduction au dessin de presse et montre comment, rejoignant l’histoire, la caricature traduit les désirs de changement politique ou social.

Scylla Morel

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 10, printemps 2008, p. 246-247.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Ouvrage-Michel-Dixmier-Annie.html