Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Marie-Françoise Lévy, Marie-Noë lle Sicard (dir.), Les Lucarnes de l’Europe. Télévisions, cultures, identités (Publications de la Sorbonne, 2008). Recension par Hélène Duccini.
Les Presses de la Sorbonne proposent un livre collectif rassemblant vingt auteurs sur un sujet rarement traité : l’histoire de la télévision en Europe entre 1945 et 2005. Faisant appel à des plumes étrangères, le livre a le grand mérite d’élargir nos horizons. Il nous offre non seulement des points de comparaison avec la situation française, mais une mise en perspective au delà de l’Hexagone qui rafraîchit. Supposant le cas français connu, on s’attache ici plus particulièrement aux institutions et aux productions de six pays : la Grande-Bretagne, dont la BBC est non seulement parmi les premières radiodiffusions, mais qui fonde un « modèle », lequel sert encore de référence, la Suisse, la Belgique, l’Italie, la République Fédérale d’Allemagne, l’Espagne.
Trois problèmes majeurs sont abordés. Tout d’abord, l’évolution du statut des institutions nationales qui, toutes, commencent par une radiotélévision publique pour entrer progressivement dans les années 1980 dans une libéralisation qui met en concurrence l’institution publique avec des chaînes privées jusqu’à l’explosion des bouquets du numérique. Deuxièmement, l’ambition pour les institutions européennes elles-mêmes, Conseil de l’Europe, Union Européenne, Commission, Parlement, de voir l’Europe jouer la carte des médias audiovisuels pour construire une conscience européenne dans le public et, par conséquent, chez les citoyens des pays de l’Union. Enfin, une réflexion tout à fait passionnante sur le problème de l’identité européenne en gestation, puis en éclosion, identité qui vient se superposer pour les citoyens à leur appartenance à l’État-Nation.
Comment la culture devient-elle un facteur à préserver et donc à négocier dans les tractations internationales, au même titre que les marchandises et les gros sous ? Tel est le problème central. En d’autres termes, peut-on identifier une « culture » commune qui soude les Européens et les fait se reconnaître comme tels ? Au terme de l’étude qui passe en revue les emprunts internes au continent entre les genres (exportation du documentaire français, transfert et imitation d’émissions comme le Big Brother néerlandais, contamination des fictions), force est de constater qu’il est difficile de produire un spectacle qui fédère les publics du continent. Napoléon serait-il de seul grand personnage possible ? On attend un Charlemagne, une série sur la Renaissance, un Christophe Colomb. Outre le problème des langues, progressivement contourné par les traductions et les sous-titrages, le sentiment d’appartenance a besoin de s’accrocher à une identité et celle-ci n’est sans doute pas encore tout à fait aboutie. On est certes d’accord sur les fondements : la Grèce, Rome, la Chrétienté sont des valeurs communes. Au présent, la liberté, la démocratie, les droits de l’homme sont le socle du « bien commun ». Mais la tour de Babel et les particularismes nationaux et même régionaux sont encore très vivaces. La France mise à part, qui a réalisé son unité politique depuis très longtemps et préféré le centralisme jacobin au fédéralisme girondin, les pays européens restent attachés à des formes de gouvernement qui font la part belle aux particularismes et aux régions. Ainsi, en Espagne, à côté d’une chaîne nationale, existent six chaînes régionales. Les Wallons et les Flamands sont farouchement accrochés à leur identité régionale. En Allemagne, les médias sont gérés par les Länders et non par le gouvernement fédéral. À cet égard, l’exemple suisse est très intéressant : comment ce pays multilingue fait-il leur part aux différents « publics » de la télévision : les francophones, les germanophones, les fortes minorités des immigrants italiens ?
Ainsi le passage de la défense de « l’exception culturelle » à celle de la « diversité culturelle » illustre bien le difficile melting-pot qui doit faire émerger une conscience citoyenne en Europe. Le grand mérite du livre est de nous ouvrir sur nos voisins. Une histoire européenne qui nous sort agréablement du franco-français.
Hélène Duccini
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 12, printemps-été 2009, p. 247-248.