Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Laurent Martin, La presse écrite en France au XXe siècle (Le Livre de poche, 2005). Recension par Jean-Marie Charon.
Restituer en à peine deux cents pages, dans des termes accessibles à tous, un siècle et demi, particulièrement décisif de l’histoire de la presse française, tel était le défi de ce « Livre de poche », écrit par Laurent Martin. Disons le tout de suite, il est parfaitement réussi tant par sa concision, sa précision et les possibilités d’approfondissement qu’il offre par sa très large bibliographie. Le propos de Laurent Martin est de revenir sur l’ensemble des moments clé qui vont conduire aux grandes transformations de la presse française, et à sa situation actuelle, soit pour la plupart situés au xxème siècle. Cependant il n’hésite pas, avec raison, à éclairer ceux-ci par des racines nettement plus anciennes, telle que celles qui vont permettre la naissance d’une presse de masse, soit un bon demi-siècle plus tôt, tout comme lorsqu’il évoque la maturation des organisations des différentes professions de la presse.
L’intérêt et l’agrément de lecture de l’ouvrage, dont le découpage général est des plus classiques et chronologique tient au large éventail des plans qu’il aborde pour chacune des périodes, soit aussi bien l’économie du média, l’évolution des techniques sur lesquelles il s’appuie, le cadre juridique, les contenus et les formules rédactionnelles, les titres eux-mêmes et les principaux genres de presse, la maturation progressive du journalisme (comme art et comme profession), l’éthique de l’information (et ses grandes convulsions), l’organisation du milieu professionnel. Comme souvent au travers de ces différents niveaux l’apport de l’historien est de rappeler la permanence de certaines thématiques qui paraissent pourtant tellement contemporaines à la manière de ce débat concernant la qualité ou l’influence des programmes de la télévision commerciale qui reprend quasiment point par point les termes des polémiques entre la « presse traditionnelle » et la « presse industrielle » au tournant du xixè et du xxè siècle, notamment à propos des missions qui devrait échoir aux médias dans une démocratie. De la même manière qu’il corrige, enrichit ou précise la teneur ou la portée de certaines thématiques, telles que celles du « bourrage de crâne » au lendemain de la Première guerre mondiale ou de la « vénalité de la presse », principalement dans l’entre-deux-guerres, non pour en nier la réalité, mais pour les réinscrire dans le débat d’idées et les problématiques des principaux courants de pensée.
Un livre agréable, riche et utile donc, aussi bien pour l’étudiant, que pour le professionnel de la presse qui a tout à gagner à revenir aux racines de sa profession, des idées qui l’anime, comme de son média. Un petit regret cependant pour le lecteur contemporain, le centrage un peu trop exclusif sur la presse écrite et sur la France, bien que parfois enrichi par quelques références aux autres médias. Les contraintes de l’ouvrage permettent sans doute de l’expliquer, mais ne faut-il pas craindre quelques défauts de perspectives comme lorsque le succès des quotidiens gratuits est largement éclairé par la crise de la presse d’information politique et générale, française, ce qui nous donne peu d’éléments pour comprendre le dynamisme des dits gratuits chez nombre de nos voisins européens ?
Jean-Marie Charon
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 7, hiver 2006-2007, p. 271-272.