Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Jeremy Tunstall, The Media Were American. The U.S. Mass Media in Decline (Oxford U.P., 2007). Recension par Michael Palmer.

Quarante ans après avoir publié The Media Are American, qui eut un fort impact dans les pays anglophones, J. Tunstall publie en 2007 un ouvrage dont le titre annonce le déclin (mais non la « chute », l’auteur n’endosse pas les habits d’Edward Gibbon…) de l’empire des médias américains. J. Tunstall, alliant sa formation de sociologue britannique et un questionnement de chercheur en communication internationale, adopte une vision résolument globale pour cerner les mutations en cours depuis 40 ans. L’ouvrage, qui dispose d’un index, très précieux, comporte vingt chapitres répartis en quatre parties. L’auteur commence par démontrer le déclin relatif des médias américains (radio, télévision, cinema, presse, agences) à travers le monde depuis les années 1950. L’adjectif « euro-américain » serait d’ailleurs selon lui plus pertinent que la notion de « US global » pour définir ce qui fut une seule et vaste industrie appelée à rester un certain temps la force principale dans les médias mondiaux. Il examine ensuite comment, malgré le discours ambiant sur les médias et la globalisation, les cultures nationales, l’identité nationale et les médias nationaux se renforceraient, surtout dans les pays asiatiques et les autres pays à très grande population.
Son observation porte de fait sur les développements constatés depuis l’émergence des telenovelas brésiliennes et mexicaines, l’effondrement de l’Union soviétique et le développement des médias du monde musulman. Dans un style alerte et parfois déroutant, sa démarche est bien celle d’un (faux) Candide. L’argumentation de J. Tunstall se fonde sur une cinquantaine d’interviews menés à travers le monde, et est fortement marquée par l’anglais-américain, lingua franca internationale, mais aussi par la littérature tantôt académique, tantôt issue de la ‘trade press’ et de la presse anglo-américaine de référence. Notre Candide se promène, se documente et constate ainsi que les médias internationaux ont perdu de leur superbe.
J. Tunstall, attentif aux flux démographiques, s’intéresse aux pays et régions du monde où est concentré l’essentiel de la population de la planète – dont 60 % habitent hors d’Europe, dans des pays où la population dépasse les 100 millions. Et comme point de départ de son enquête, un constat : les médias nationaux et régionaux sont autrement plus importants (sauf éventuellement pour les micro-élites) que les médias internationaux. En somme, J. Tunstall souligne combien dans des pays de très grande population les médias nationaux, régionaux, locaux et venant des pays limitrophes auraient des audiences de six à douze fois plus importantes que celles des médias globaux ou américains. Dans les pays à petite population, de même, les médias nationaux occuperaient le majorité du temps d’audience.
L’importance des mutations économiques, géopolitiques, culturelles dans différentes régions de la planète, à commencer par les « 21 nouvelles nations-médias » de l’ex-URSS, aurait de fait abouti au renforcement du rôle des médias comme vecteurs du sentiment national et ce dans des pays représentant 90 % de la population mondiale. Dans le même temps, la population de nombreux pays consacrerait près de 10 % de son « budget temps-médias » à des médias importés, souvent des Etats-Unis. Ces derniers restent exceptionnels dans la mesure où la plupart des Américains, à l’exception des hispanophones, ne consommeraient que des médias qui traitent de leur propre pays.
Au-delà des délices d’une bibliographie foisonnante, le chercheur en histoire des médias savoure dans cet ouvrage l’approche pluri-disciplinaire et panoptique, si nécessaire pour aborder les phénomènes de la communication internationale. Sont aussi bien traitées des thématiques comme celle de la propagande (en Afrique, en URSS, etc.) ou celle des genres télévisuels à coût de production faible (les jeux, les soap operas).
On l’aura compris, cet ouvrage, consacré pour l’essentiel à l’Asie, aux pays arabes, à l’Afrique et à l’Amérique latine, scrute pourtant bel et bien le déclin des influences médiatiques états-uniennes en soulevant nombre de perspectives importantes.
Michael Palmer
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 11, hiver 2008-2009, p. 266-267.