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Ouvrage : Jacques Walter, La Shoah à l’épreuve de l’image (Puf, 2005). Recension par Isabelle Veyrat-Masson.

La solution est donnée page 269. Ce livre est un recueil d’articles. Ils ont été réunis pour notre plus grand intérêt, par leur auteur, Jacques Walter, sociologue, professeur à l’Université de Metz. Pour le lecteur qui n’a pas eu la curiosité de lire la fin, ce n’est pas une évidence, tant le propos est cohérent : il s’agissait pour l’auteur de s’interroger sur les diverses rencontres entre plusieurs types d’images : télévision, cinéma, photographies et la mémoire la Shoah. Chaque chapitre, donc chaque article, possède son autonomie et comme dans certains films, on y croise plusieurs fausses fins. En revanche, l’ouvrage ne souffre pas trop de répétitions, au contraire, s’y déploie une enrichissante curiosité à propos de plusieurs études de cas, différents médias, dans des contextes mouvants. Jacques Walter a « regroupé un nombre limité d’analyses de témoignages - ou de documents considérés comme tels- » et il a ensuite cherché à « comprendre les conditions d’émergence dans la sphère publique et leur fonctionnement dans l’économie mémorielle de l’événement ». Jacques Walter ne répugne pas à un certain jargon dans sa démarche qu’il appelle de socio-histoire, mais une fois que l’on a accepté de faire un petit effort pour entrer dans son langage, on apprend beaucoup de choses. Il nous propose de le suivre dans ses trois « cadrages » : « le macroniveau des facteurs sociohistoriques comme explication de la montée des témoignages, le mésoniveau des polémiques entre experts comme cristallisation de leurs enjeux, le microniveau des dispositifs médiatiques comme lieu de leur façonnage » (p. 8)

Dans la première partie de son livre, Jacques Walter aborde ce qu’il appelle les dispositifs médiatiques, en réalité la représentation de la Shoah à la télévision. Mais cette partie ressemble surtout à un programme de travail. Il pointe en effet les difficultés de travailler sur l’immense corpus des émissions de télévision, et cela, malgré l’apport du dépôt légal de la télévision. Entre mémoire, histoire, témoignages, archives, fictions, reconstructions, les émissions d’histoire à la télévision ne sont pas faciles à saisir dans leur ensemble. Comment périodiser ? Comment retrouver par exemple les évocations du génocide juif à l’intérieur des centaines de journaux télévisés ? Qui parle de quoi, comment, avec quels effets ? Jacques Walter ne cherche pas à répondre à ces questions, il signale des tendances, des moments-émissions.

Récemment, les choses sont devenues plus faciles, il semble en effet qu’à l’ère du témoin, dorénavant, seuls les survivants ont droit à la parole sur ce sujet. Leur parole est devenue l’alpha et l’oméga de la restitution du judéocide. C’est le triomphe de la mémoire et… de Claude Lanzmann. C’est aussi la reconnaissance du temps qui passe et qui emportera avec lui les paroles des êtres vivants.

Dans sa deuxième et troisième partie, Jacques Walter choisit d’étudier des corpus plus restreints, plus cernés et c’est passionnant. Son travail sur les films, La liste de Schindler (« justesse filmique, justesse mémorielle » p. 127) ou sur La vie est belle, est très documenté, finement analysé. L’auteur étudie également la réception de ces deux films à partir des réactions médiatiques qu’ils ont provoquées.

Cette étude lui permet de « répondre principalement à deux questions relatives à la construction et à la socialisation du sens du film dans la sphère publique » (p. 130). Et il constate de façon pertinente après avoir analysé la réception médiatique et son contexte que « la construction du sens et son expression par les interprètes autorisés que sont les critiques s’opèrent en fonction d’autres paramètres que ceux de la seule représentation du passé, aussi problématique que soit celui-ci pour les contemporains ». (p. 143). Les résultats sont parfois vraiment étonnants. N’est-il pas en effet a priori surprenant que les journaux juifs aient réagi aussi positivement au film de Benigni ? On apprend également qu’il y aurait eu un vrai décalage entre cette élite journalistique favorable et les lecteurs que les clowneries de Benigni dans un camp de concentration auraient moyennement fait rire. Tant il est vrai, et le livre en est une preuve tout du long, que l’image probablement plus que tout autre support, provoque des réactions incroyablement contrastées. Les réactions négatives à ce film sont bien analysées entre dénonciation d’une « presse complice », le « refus de voir et le regret d’avoir vu » et l’analyse des « positionnements générationnels » tout à fait importants (une étude sur ces questions reste à faire).

Je retiendrais enfin, comme particulièrement stimulant, le chapitre 9 dans lequel Jacques Walter étudie un des premiers cédéroms français de 1997 : Histoires du ghetto de Varsovie. Fenêtres sur la mémoire. Les problèmes que pose ce nouveau média dans la représentation du passé sont tout à fait nouveaux. C’est l’occasion en effet de s’interroger sur la rencontre entre l’histoire et les TIC, les technologies de l’information et de la communication. Est-ce que les prouesses techniques, les labyrinthes et arborescences proposés par le cédérom, est-ce que le caractère profondément ludique, rapide, zappeur du cédérom n’est pas intrinsèquement contradictoire avec l’histoire science de la durée, et de la Shoah, sujet tragique s’il en est ?

Ce livre, on l’aura compris, pose des questions importantes à une époque où les questions de mémoire viennent de prendre un tournant inattendu, en se retournant contre leurs « inventeurs » scientifiques, les historiens.

Isabelle Veyrat-Masson

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 6, printemps 2006, p. 236-238.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Ouvrage-Jacques-Walter-La-Shoah-a.html

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