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Ouvrage : Guy Lochard, L’information télévisée. Mutations professionnelles et enjeux citoyens (Clemi-Ina-Vuibert, 2005). Recension par Isabelle Veyrat-Masson.

Guy Lochard nous fait un beau cadeau avec ce livre. Avec générosité, simplicité mais également avec acuité, cet auteur nous propose en effet de revisiter pour nous la question de l’information télévisée à la lumière des recherches françaises les plus innovantes dans ce domaine. Innovantes ne signifiant pas forcément récentes puisque l’on trouve dans ce livre des références relativement anciennes pourvu qu’elles aient été pionnières et surtout encore pertinentes. Il puise d’ailleurs à toutes les disciplines pour cet objet transdisciplinaire s’il en est. Guy Lochard reprend la question de l’information à l’intention d’un public important et souvent démuni devant cette information télévisée dont l’analyse ressort souvent comme épuisée par trop de conversations du café du commerce. Comment remettre un peu d’ordre dans les esprits ? C’est la tâche à laquelle s’attelle ce sociologue professeur à l’Université Paris 3-Sorbonne, co-directeur du CREDAM (Centre de recherche sur l’éducation aux médias) : « Le propos de ce livre vise donc à la formation de compétences critiques de lecture de l’audiovisuel informatif chez les divers publics d’apprenants ». Cet ouvrage « conçu comme support de sensibilisation et d’ouverture, d’une part pour les étudiants en sciences sociales et humaines, d’autre part pour un large public d’enseignants et de formateurs, se structure autour d’un ensemble progressif d’interrogations sur les mécanismes et les transformations de genres informatifs à la télévision » (p. 9).

Ce livre n’est pas un manuel mais un support à la réflexion. Une réflexion irriguée par le travail collectif de dizaines de chercheurs qui se sont penchés en historien, en sociologue, en psycho-sociologue ou en linguiste sur la question de l’information à la télévision. Les travaux retenus par Guy Lochard n’appartiennent pas à une chapelle plutôt qu’à une autre. Les sociologues critiques y sont bien présents même s’il m’a semblé que les empiristes rencontraient un écho plus grand dans la réflexion de Guy Lochard.

Les références aux différents travaux répertoriés et destinés à éclaircir cette question de l’information télévisée sont ici clairement et simplement synthétisées, les auteurs bien présentés – nous savons gré à Guy Lochard d’avoir mis de côté le jargon qu’il affectionne trop parfois…

La bibliographie qui succède à chaque chapitre est légitimement accompagnée de sites Internet, signes des temps…

Ce livre est découpé en trois grandes parties. Dans la première, il étudie le journal télévisé à travers ce qu’il interprète comme des « contradictions ». À tout seigneur tout honneur, le JT est bien - et il y demeure - au centre de l’information tout court. En quatre chapitres, Guy Lochard replace le JT à l’intérieur du système d’information. Il décrit les différentes étapes de la construction de l’information télévisée, le travail des journalistes, les outils et sources dont ils disposent. Il montre bien comme s’opère leurs tâches entre les exigences de l’actualité – le règne de l’éphémère- le système décisionnel très hiérarchisé et très centralisé et les modèles qui interviennent dans le choix des thèmes et des sujets. À ce propos, l’auteur ne parvient pas à décider de la place de la presse de qualité dans le travail des journalistes de télévision. En effet, pendant longtemps – je l’avais moi-même observé au cours d’une observation participante dans les rédactions des JT – Le Monde donnait le « la » des conférences de rédaction des journaux télévisés. Pourtant, d’autres chercheurs ont affirmé que l’influence s’était inversée. Au moment où la presse de qualité semble menacée dans son existence même, qu’en est-il vraiment ?

L’auteur, après avoir précisément décrit le contexte de travail des journalistes de télévision, montre bien que le système organisationnel condamne les journalistes de terrain à simplement « confirmer des choix événementiels prédéterminés par leur hiérarchie en fonction de critères excédant les strictes considérations journalistiques »[2] [2] On peut regretter que le travail de Dominique Mehl sur la... suite (p. 30). Il s’interroge ensuite longuement sur les effets de la concurrence, rappelant avec Rémy Le Champion et Benoît Danard que la télévision était passée d’un régime de « pénurie » à un régime d’« abondance » non sans conséquences. Les effets de la concurrence sont listés, mais on voit bien que les choses ne sont pas très claires : dire qu’il n’existe pas de différences entre l’information des chaînes privées et des chaînes publiques n’est pas confirmé par toutes les études empiriques et les changements intervenus dans les rédactions de France 2 ou de France 3 semblent très éloignés de l’immuabilité de TF 1 et de son présentateur vedette. En reconnaissant que les « réflexes déontologiques, même émoussés par des systèmes de production très normalisants, ne sont pas totalement étouffés, notamment dans les chaînes de service public », l’auteur confirme que les journalistes du service public ne travaillent pas tout à fait dans le même environnement que ceux du privé.

En analysant de manière assez précise et toujours pertinente le travail des journalistes de télévision, en distinguant le travail du studio et celui du terrain, Guy Lochard montre à la fois les contraintes du métier, les limites à sa liberté théorique et il examine l’exercice d’équilibre auquel ces professionnels de l’information sont soumis.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, l’auteur étudie un autre domaine de l’information télévisée : les magazines. Derrière ce mot se cachent des émissions fort différentes et l’on peut regretter que le terme n’ait pas été plus éclairci. Pourtant, le rappel d’un temps où la diffusion de magazines de grands reportages vidait les salles de cinéma nous montre qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Au temps de Cinq Colonnes à la une, un magazine était d’abord de l’image, de la belle image, enregistrée avec soin par un réalisateur et une équipe. Depuis, le genre magazine a servi à abriter toutes sortes d’émissions fourre-tout, en particulier les émissions de la « télévision relationnelle », cette télévision de plateaux, de palabres, de confessions. L’ouvrage nous montre que les magazines ont tendu vers une thématisation et une spécialisation croissantes ainsi que vers la « recherche d’implication spectatorielle » (p. 107). Les magazines plus que tous les autres programmes ont été marqués par l’évolution d’une télévision de l’offre vers une télévision de la demande, cette « demande qui préside à la programmation » (p. 113). Mais, ajoute Guy Lochard, « pas une demande explicite et transparente des téléspectateurs, comme on le laisse entendre parfois, mais une demande latérale émanant des financeurs du média (exclusifs des chaînes privées et partiels des chaînes publiques) que sont les annonceurs à qui les programmateurs vendent des audiences isomorphes à celles de leur clientèle » (p. 113).

Après avoir traité la question du sport télévisé dont on connaît l’importance surtout économique, le livre de Guy Lochard aborde le problème contrasté des émissions politiques à la télévision. Il rappelle qu’au temps d’une télévision entravée par le contrôle étatique, les émissions politiques étaient florissantes, le désengagement de l’État au début des années 1980 a permis ensuite que « 100 fleurs s’épanouissent » avant que la « dictature de l’audimat », en fait la mesure d’audience, c’est-à-dire la curiosité du grand public pour les émissions politiques ( !) ne repousse ces émissions à des heures tardives ou dans des chaînes confidentielles…

L’auteur aborde également la question discutée du mélange des genres en politique : l’homme politique doit-il apparaître dans des magazines généralistes où sa parole risque d’être moquée, chahutée ? Peut-il prendre le risque d’être interpellé sur des sujets qui le sortent de sa sphère habituelle ? Ces questions sont évoquées, laissées – forcément – sans réponses, celles-ci en définitive dépassant largement la question médiatique.

Parmi ces mutations « qui interrogent », Guy Lochard évoque différents problèmes, tous importants. Il montre qu’en France, la décentralisation s’est accompagnée d’effets pervers, plus graves peut-être que ceux qu’engendrait une trop forte centralisation, comme si « chasser le naturel »â€¦ Il synthétise avec brio les questions qui se posent à l’information lorsqu’elle passe du national à l’international. Dans ces matières si fluctuantes où des chaînes disparaissent et apparaissent en quelques mois, il n’est pas facile de tout suivre ni surtout d’imaginer les conséquences de ces changements. Ce n’est pas le moindre mérite de ce livre de proposer à la fin de chaque chapitre une prise de position, une opinion du chercheur tout en raison gardant. L’auteur en effet met l’accent sur les dangers que font courir aux démocraties certaines évolutions, il pointe les changements inquiétants, sans verser dans la déploration apocalyptique et la dénonciation paranoïaque ; ainsi Guy Lochard rappelle à diverses reprises non seulement les capacités du récepteur à décoder et à mettre à distance le message médiatique tout en rappelant que la grande inconnue demeure les effets à long terme de l’information télévisée sur les consciences et les comportements. Ce qui justifie, évidemment, abondamment, une grande vigilance, une large analyse en amont comme en aval de ce média et des instruments – dont ce livre fait partie – pour former à l’analyse des médias et à leur décryptage.

Isabelle Veyrat-Masson

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 6, printemps 2006, p. 240-243.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Ouvrage-Guy-Lochard-L-information.html

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