Recensions d’ouvrages
Ouvrage : François Ploux, De bouche à oreille. Naissance et propagation des rumeurs dans la France du XIXe siècle (Aubier-Flammarion, 2003). Recension par Gilles Feyel.
Alors que la rumeur a été déjà bien étudiée pour l’Ancien Régime et la Révolution, il n’en est rien pour le xixe siècle. François Ploux comble ce vide historiographique, en exploitant trois types de documents : la presse périodique, le témoignage des contemporains et les archives des administrations (préfets et sous-préfets, gendarmerie, magistrats du parquets) qui se font l’écho de « faux bruits », de « bruits alarmants » ou « absurdes », de « fausses nouvelles » ou de « fables », supposés répandre des « alarmes » dans la population. S’efforçant de mesurer le poids de l’imaginaire et des représentations dans la détermination des attitudes politiques, ce livre ne s’intéresse qu’aux rumeurs liées aux événements de nature essentiellement politique : bruits sur le pouvoir d’État, complots, guerres, nouveaux impôts, etc.
La première partie de l’ouvrage vise à « comprendre comment naissent et se propagent les fausses nouvelles dans la France du xixe siècle ». Un premier chapitre souligne l’essor de la presse d’information, décrit les pratiques de la lecture provinciale des journaux parisiens, dont sont détaillés les délais d’acheminement, de même que la géographie de la diffusion. Quatre autres chapitres analysent le phénomène de la rumeur, l’auteur s’efforçant de décrypter les discours d’interprétation des administrateurs contemporains. La rumeur peut s’enfler autour de l’annonce d’un événement, par exemple la « fatale nouvelle » de l’assassinat du duc de Berry. Que peut faire le pouvoir, « informer, démentir ou réprimer ? » L’auteur discerne ensuite huit grandes crises « rumorales » plus ou moins longues entre 1814 et 1870, dont il faut chercher la raison dans les « tensions ou les contradictions qui traversent la communauté » campagnarde ou urbaine. À partir d’exemples — refus de l’inquisition fiscale en 1841 et peur des « partageux » en 1848 —, mais aussi d’une série d’interrogations — quels sont les foyers de la rumeur, les aires de diffusion, les pourvoyeurs d’information, les lieux où l’on bavarde, la rapidité de transmission ? — les deux chapitres suivants montrent comment naissent et se propagent les rumeurs.
La seconde partie, consacrée à l’enracinement populaire du bonapartisme, veut « montrer le rôle qu’a pu jouer cette forme originale de communication dans la politisation des Français entre la Restauration et la chute du Second Empire. » Ce sont d’abord les nombreuses rumeurs qui ont fleuri au début de la Restauration autour de Napoléon, rumeurs légitimées — si l’on peut dire ! — par l’aventure des Cent-Jours. On notera d’intéressantes réflexions sur le rôle des affiches murales et autres écrits. Le refus d’un retour à l’Ancien Régime accompagne, si ce n’est explique les rumeurs de 1819-1820 et de 1823, qui sont proprement politiques. Avec le Second Empire revient l’obsession du complot à Paris en 1858. Les rumeurs se multiplient autour de l’état de santé de Napoléon III, à propos de l’impôt ou bien du dernier pacte de famine ourdi dans les années 1853-1856 par les négociants et les spéculateurs, mais aussi les nobles et les prêtres, plus rarement par le pouvoir malgré la propagande républicaine.
La modernisation des modes de transmission de l’information, a été lente. Aussi les vecteurs traditionnels de diffusion des nouvelles et des rumeurs (colporteurs, voyageurs, mendiants, travailleurs migrants) ont-ils continué de jouer le premier rôle en ces deux premiers tiers du xixe siècle. S’il est vrai que le journal paraît souvent absent, il est là cependant, de temps en temps évoqué par les sources administratives : en 1816, le conseiller de préfecture de Lyon demande le colportage d’un petit journal populaire à 2 sous qui combattrait les fausses nouvelles, preuve que le peuple était prêt à lire ou se faire lire ; en 1821 les habitants de la Haute-Marne ne veulent pas croire à la mort de Napoléon — « ils n’en croiront rien si les journaux ne l’annoncent pas et quand les journaux en ont parlé ils ont dit que c’était une nouvelle fabriquée par les ennemis de Buonaparte » — ; lors des inondations de 1856 dans le Sud-Est, un jeune ouvrier des imprimeries du Courrier de la Drôme fait semblant de lire à un vieillard illettré, un article relatant la destruction d’un pont sur l’Isère avec la disparition de 350 voyageurs, d’où une rumeur. Petits détails certes. Qui prouvent cependant que le journal n’était jamais très éloigné du regard du peuple. Voilà une nouvelle enquête à quoi nous convie ce livre riche de nouveaux aperçus sur la communication de l’information.
Gilles Feyel
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 1, 2003, automne 2003, p. 265-266.