Recensions d’ouvrages
Ouvrage : François-Bernard Huygue, Maîtres du faire croire, de la propagande à l’influence (INA/Vuibert/CLEMI, 2008). Recension par Béatrice Donzelle.
François-Bernard Huygue, chercheur en sciences politiques, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les stratégies d’information et de communication, notamment en milieu conflictuel. Il présente ici une histoire de la communication en tant qu’arme stratégique, en contexte de guerre et de régime totalitaire, mais aussi en période de guerre froide et tiède. En quatre parties chronologiques, il revient sur les applications politiques et commerciales des techniques propagandistes, et rappelle les principales théories scientifiques en matière d’influence.
Un premier chapitre retrace les fondements des techniques d’influence contemporaines, de la Propaganda fide au béhaviorisme à la veille de la Première Guerre mondiale. Le chapitre suivant est consacré aux expériences de propagande belliqueuse et totalitaire, en particulier lors des deux guerres mondiales, dans l’Allemagne nazie et en URSS. François-Bernard Huygue énumère les principes propagandistes tels qu’ils ont été théorisés par Arthur Ponsonby, Clyde Miller, ou encore Jean-Marie Domenach, et tels qu’ils ont été appliqués par l’agit-prop, la Propagandastaffel, ou les langues idéologiques, notamment la « sovietlangue ». Le troisième chapitre décrit le passage de la propagande à l’influence avec l’essor de la télévision, des techniques publicitaires et du marketing. Enfin, le dernier chapitre se focalise sur les nouveaux réseaux et stratégies d’influence mis en Å“uvres par les ONG, les think tanks, les lobbies, et les organisations terroristes.
Le fil rouge de l’ouvrage est le passage d’une ère de la propagande à une logique de l’influence. Le propos de l’auteur est de démontrer que la manière de faire croire a subi des bouleversements liés à la technologie : « Les règles rhétoriques ne s’appliquent pas de la même façon dans un monde dominé par le contact oral, l’imprimé, l’image, ou les médias électroniques. Les médias “d’adhésion” qui offraient aux masses un message auquel souscrire tendent à être remplacés par des systèmes en réseaux où le vrai pouvoir consiste à diriger l’attention ». La technologie fait ainsi passer la communication d’une propagande linéaire, ou en faisceau, à une influence en réseau.
La propagande passe par l’éducation, les médias, les livres, les jeux, les cérémonies, les fêtes, les spectacles gratuits, les défilés et processions, les monuments de prestige. Elle s’exprime ouvertement, de façon théâtralisée, formelle, parfois contraignante. Cette propagande classique est bouleversée par l’essor de la télévision dans les années 1960. L’influence se situe plus en amont et repose moins sur le monopole médiatique. Influencer consiste à faire intérioriser une conviction, un assentiment, un comportement, une valeur, sans utiliser la force, sans user d’autorité, sans contrainte ni menace, sans négociation. A partir des années 1990, à l’ère des satellites de télécommunications et d’Internet, qui accélèrent la circulation internationale des informations, la guerre psychologique connaît un changement de style. L’occultation d’une part de la réalité ne se fait plus « avec de l’encre de chine et des ciseaux », mais en submergeant « sous l’abondance de sa propre production tout ce que pourrait produire l’adversaire ». Les maîtres du faire croire préfèrent fournir aux médias des récits de vie adaptés à la logique du spectacle médiatique, des cas humains, des histoires avec un début, un développement et une fin, qui permettent de s’identifier.
Béatrice Donzelle
Recension publiée dans Le Temps des médias n° 14, printemps 2010, p. 266-267.