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Ouvrage : David Luginbühl, Vom Zentralorgan zur unabhängigen Tageszeitung ?« Das Vaterland  » und die CVP 1955-1991 (Academic press, 2007). Recension par Alain Clavien.

Jusque dans les années 1950, le grand quotidien alémanique Das Vaterland, lancé à Lucerne en 1871, est un journal de parti dans le strict sens du terme. Rédigé non par des journalistes mais plutôt par des politiciens-rédacteurs, membres éminents du parti catholique conservateur suisse exerçant des fonctions électives importantes, il est l’organe de cette formation politique pour toute la Suisse centrale et orientale, et ses éditoriaux illustrent et défendent une ligne quasi-officielle. Le journal est ainsi l’un des piliers de la contre-société catholique qui s’est organisée au cours de la seconde moitié du xixe siècle pour résister à la politique libérale-radicale, centralisatrice et laïcisatrice, et il joue un rôle important de courroie de transmission entre le parti, l’Église et le « peuple catholique ». A partir des années 1960, cette contre-société commence à s’effriter sous les coups de l’industrialisation, de la société de consommation, d’une plus grande mobilité et de diverses évolutions sociales qui touchent pour finir même l’Église catholique engagée dans le processus d’aggiornamento de Vatican II. Entre résistance politique, problème financiers et concurrence accrue, le journal va peu à peu s’affranchir du parti pour tenter de conserver son public. Ce processus d’affranchissement a retenu l’attention de David Luginbühl, qui a travaillé sur les archives administratives de l’imprimerie Maihof AG, éditrice du journal. Comment mesurer ce mouvement de difficile émancipation ? En s’interrogeant sur la proximité des hommes qui dirigent et font le journal par rapport au parti catholique, sur la relative autonomie de son contenu et sur son indépendance financière, mesurées toutes deux à l’aune du parti politique catholique.

En fait, il faut attendre le début des années 1970 pour qu’un changement de génération à la tête du Conseil d’administration donne le branle à une évolution du journal. La nomination d’un nouveau rédacteur en chef moins lié au parti ainsi que le renouvellement de la rédaction dans le sens d’un rajeunissement et d’une professionnalisation des journalistes permettent une première rénovation du quotidien qui, de journal de parti devient bientôt un journal d’opinion, certes attaché aux principes chrétiens, mais libre de les interpréter différemment que le parti et de l’exprimer. A la recherche d’une nouvelle image, le parti, qui a changé son nom, abandonné l’adjectif « catholique-conservateur » pour devenir « démocrate-chrétien », ne voit tout d’abord pas trop d’inconvénient à cette évolution. Mais des tensions se font bientôt sentir, et certains politiques s’interrogent sur une dérive « gauchiste » du journal ! La crise économique interdit toutefois le retour en arrière préconisé par certains : le Vaterland doit même se rapprocher de son traditionnel adversaire politique, le libéral Luzerner Tagblatt, pour conclure d’abord un pool publicitaire, avant de fusionner avec lui en 1991, seule manière de résister à la concurrence du journal d’information local, le Luzerner Neueste Nachrichten.

L’intérêt de cette monographie dépasse le seul cas local lucernois. L’itinéraire du quotidien catholique est paradigmatique du processus de dépérissement du journal de parti et de la vague de fusion/disparition qui marquent le monde journalistique suisse dans le dernier tiers du xxe siècle, tout en illustrant bien le poids de la publicité dans ce mouvement : alors que le Vaterland était l’un des moniteurs catholiques de la Suisse alémanique, il est obligé de se recentrer sur la région lucernoise en développant sa partie purement informative pour complaire aux fermiers d’annonces qui, à partir des années 1960, privilégient une diffusion locale dense à la diffusion plus large mais clairsemée qui était celle de l’ancien organe destiné aux élites catholiques.

Alain Clavien

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 10, printemps 2008, p. 250-251.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Ouvrage-David-Luginbuhl-Vom.html

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