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Ouvrage : Christophe Charle, Le siècle de la presse (1830-1939) (Seuil, 2004). Recension par Christian Delporte.

Les grandes synthèses sur l’histoire de la presse sont rares. Depuis la parution de la monumentale Histoire générale de la presse française, au début des années 1970, seul Gilles Feyel s’est essayé à l’exercice en publiant, en 1999, un ouvrage couvrant l’évolution des journaux des origines à la Libération. Le livre de Christophe Charle fait précisément partie de ces travaux qui marquent l’historiographie en présentant de manière complète et personnelle l’état de la recherche à un moment donné. L’intérêt de Christophe Charle pour la presse n’est pas neuf. En renouvelant les problématiques de l’histoire sociale du xixe siècle, singulièrement par ses travaux sur la naissance des intellectuels ou le rôle culturel de Paris à l’aube du xxe siècle, l’historien fut naturellement amené à observer les journaux, à suivre les hommes qui les animaient, à s’interroger sur le rôle de la presse dans les mutations de société française. Le questionnement individuel fut prolongé par la réflexion collective, conduit dans le cadre d’un séminaire à la Sorbonne et de la direction de mémoires d’étudiants. Le présent livre, comme l’indique l’auteur lui-même, en est le fruit.

L’originalité de l’ouvrage est double. Elle tient d’abord au choix de la séquence observée qui bouscule les repères communément admis. L’histoire politique de la presse insiste sur la rupture provoquée par la Révolution française ou souligne l’impact de la République dans les transformations des journaux ; l’histoire culturelle, partiellement confortée par l’approche économique, a plutôt tendance à privilégier la césure des années 1860. Christophe Charle, lui, voit dans les années 1830 l’origine du mouvement qui impose la presse comme un média de masse, dont le règne sur l’information se prolonge durant un siècle, avant que la radio puis la télévision n’en contestent le monopole. Mieux : les différentes perspectives chronologiques, politique, culturelle, économique, se rejoignent dans le creuset de la monarchie de Juillet. Les journaux, en contribuant à l’embrasement révolutionnaire, n’affirment-ils pas, de manière tout à fait concrète, le rôle nouveau du « quatrième pouvoir » ? Comment comprendre l’essor spectaculaire de la presse sous le Second Empire et au-delà, sans la loi Guizot qui fonde le socle du lectorat des futurs quotidiens populaires ? Comment envisager le capitalisme de presse en négligeant les logiques de marché introduites, en 1836, par Girardin et Dutacq ?

L’autre originalité du livre est, précisément, de croiser les angles d’approche de la presse, de concilier la vulgate politique avec les travaux les plus récents qui privilégient l’analyse, tantôt culturelle, tantôt sociale ou économique. Parce qu’il ne réduit jamais son objet, Christophe Charle parvient alors à mesurer et à éclairer la complexité historique de la presse. On lui sait gré, notamment, de réintégrer dans l’histoire des journaux le monde des revues, qu’il connaît si bien ; monde hybride qui, sous l’effet des reclassements provoqués par l’industrialisation de la presse et la professionnalisation du journalisme, rompt peu à peu ses liens avec ce qu’il est convenu d’appeler la presse.

Avec une clarté exemplaire, l’auteur montre comment, en un siècle, la presse fait « accéder la population au régime de consommation de masse du xxe siècle », favorise son unification culturelle, devient « l’un des supports centraux de l’espace public et l’un des médiateurs essentiels des opinions qui s’affrontent dans une démocratie ». Mais il souligne aussi comment les logiques de marché qui s’imposent au fil des décennies, les faiblesses, la complaisance, la soumission aux puissants relativisent l’image mythique du quatrième pouvoir. Si la presse a pu participer au développement de la lecture et à l’enracinement des idéaux républicains, elle a aussi de plus en plus versé dans la futilité, fortifié les préjugés, nourri les réflexes stéréotypés et concouru à l’affaiblissement des valeurs démocratiques, comme en témoignent les années 1930. Christophe Charle voit, du reste, dans cette période, la préfiguration de la crise morale « structurelle » qui affecte aujourd’hui la presse, elle-même symptôme de « la crise actuelle de la démocratie française ».

Cette synthèse, indispensable aux étudiants, appelle moins des reproches que deux regrets. Le premier porte sur la présentation des contenus des journaux, dont on ne perçoit pas toujours la diversité et les transformations ; ainsi peu de place est-elle accordée aux genres journalistiques, comme le reportage. Mais, sans doute, le format du livre lui-même ne se prêtait-il pas à de tels développements. Le second touche plutôt à la démarche générale. L’auteur est l’un des rares historiens français comparatistes. Quelques éclairages sur le Royaume-Uni, l’Allemagne ou les États-Unis auraient sans doute permis de mieux dégager les spécificités, réelles ou supposées, de la presse française. Qu’en est-il, ainsi, de l’« américanisation », de l’influence des modèles étrangers ? Que reste-t-il, dans les années 1930, du « modèle » français, si présent dans les représentations du monde professionnel ? L’histoire comparée de la presse reste à écrire. Christophe Charle s’y attellera peut-être un jour ?

Christian Delporte

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 4, printemps 2005, p. 265-266.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Ouvrage-Christophe-Charle-Le.html

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