Recensions d’ouvrages
Ouvrage : Annie Duprat, Les rois de papier, La caricature de Henri III à Louis XVI (Belin, 2002). Recension par Hélène Duccini.
Annie Duprat donne ici un ouvrage original qui met en parallèle deux temps de crise de l’histoire française : le règne de Henri III bouleversé par les guerres de religion et celui de Louis XVI par la Révolution. L’historien peut être quelque peu bousculé dans ses pratiques par un grand écart qui, passant d’un roi à l’autre au fil des pages, suppose que le lecteur soit familier des deux périodes pour rester droit dans ses bottes. L’auteur reconnaît d’ailleurs qu’un « fossé immense sépare les imaginaires politiques de ces deux périodes ». Ces précautions prises et le parti pris de l’auteur adopté, le livre conduit la curiosité de son lecteur de page en page et de découvertes en découvertes. Aussi familière des pamphlets que des caricatures, Annie Duprat unit subtilement les deux sources. Elle brosse ainsi un portrait noir des rois, Henri et Louis, et des reines, Catherine de Médicis et Marie Antoinette que les nombreuses illustrations du livre permettent réellement de « voir ». Ces images suivent la démarche de la démonstration à laquelle elles sont nécessaires et cet entrelacs très serré du texte et de l’image sert puissamment la démonstration tout autant qu’elle soutient la lecture.
La mise en parallèle des deux fins de siècles s’opère au sein des chapitres, encore que la spécialiste de la Révolution française fasse une part plus importante à Louis XVI, ne serait-ce qu’à cause de la plus grande abondance des sources du xviiie siècle. On retrouve là certaines analyses déjà conduites avec bonheur dans Le Roi décapité. Essai sur les imaginaires politiques, publié en 1992. Passant en revue les thèmes de la dérision des deux rois on voit alors défiler les qualificatifs péjoratifs qui caractérisent le roi-monstre, le roi-ogre dévorant ses sujets, le roi-tyran, et, pour Henri III, le roi meurtrier, l’hypocrite et le rusé renard, et, pour Louis XVI, le roi impuissant, faible, indécis, jouet de son entourage et de sa reine, « La Rousse », finalement ravalé à n’être plus qu’un roi-cochon.
Poser la question de la naissance de l’opinion publique au xviiie siècle, comme le fait Annie Duprat, c’est déjà y répondre dans l’analyse des instruments de la propagande et de la désinformation à l’époque de la Ligue. Tous ces bruits publics qui, de la rumeur aux commentaires, des caricatures aux chansons, conduisent à la naissance de l’opinion publique sont habilement mis en musique par Annie Duprat. Les modèles créés par les Ligueurs des années noires de la fin du règne de Henri sont quelquefois repris par les auteurs de l’époque révolutionnaire, ce qui justifie la démarche de l’auteur, devant cet « écho du passé » qui pouvait, pour les hommes du xviiie siècle, « servir de modèle pour l’avenir ».
On regrettera peut-être certaines redites, même dans les citations, des coquilles imputables à l’éditeur et l’absence de légendes sous les images qui ne permet pas de feuilleter efficacement l’ouvrage. Cependant, malgré ou à cause de l’abondance des références précises, la lecture est rendue attrayante par des rapprochements quelquefois inattendus. L’opposition entre les références aux monstres typiques du xvie siècle et les animalisations plus fréquentes au xviiie ouvrent des perspectives sur la longue durée et les permanences des imaginaires.
Cette histoire des représentations, qui prend l’image et le pamphlet pour supports, ne peut qu’ouvrir des perspectives aux curieux de cette évolution des ressorts de l’opinion publique. Elle montre certains auteurs de pamphlets ou de caricatures anticipant sur l’événement, quand ils prennent « leurs désirs pour des réalités », forgeant ainsi le climat de violence qui permet ensuite l’acceptation de la désacralisation du roi.
Hélène Duccini
Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 1, 2003, automne 2003, p. 263-264.