Accueil du site > Actualités > Recensions d’ouvrages > Presse écrite - Imprimé > Ouvrage : Anna Nogué, Carlos Barrera, La Vanguardia, del franquismo a la democracia (Editorial Fragua, 2006). Recension par Jaume Guillamet.

Recensions d’ouvrages

envoyer l'article par mail title= envoyer par mail Version imprimable de cet article Version imprimable Augmenter taille police Diminuer taille police

Ouvrage : Anna Nogué, Carlos Barrera, La Vanguardia, del franquismo a la democracia (Editorial Fragua, 2006). Recension par Jaume Guillamet.

Le quotidien La Vanguardia, publié à Barcelone depuis 1881, est un cas exceptionnel dans l’histoire de la presse en Espagne. Il est le plus ancien d’entre les journaux les plus importants –bien qu’il y en a d’autres très anciens dans des grandes villes comme Faro de Vigo (1853) à Vigo, El Norte de Castilla (1856) à Valladolid, Las Provincias (1866) à Valencia, Diario de Cádiz (1867) à Cadis et El Comercio (1878) à Gijón- et continue à être publiée par la même entreprise familiale depuis quatre générations. Javier Godó Muntañola, troisième comte de Godó, préside aujourd’hui un groupe multimédia, au sein duquel se trouvent aussi le quotidien sportif Mundo Deportivo –paru comme hebdomadaire en 1906-, la revue Vanguardia Dossier sur des relations internationales, un journal gratuit et des stations de radio et de télévision, tandis que ses fils font partie de la structure exécutive.

Dans une histoire du journalisme si marquée par l’évolution accidentée du régime libéral comme celle de l’Espagne, La Vanguardia présente, avec sa capacité d’adaptation aux demandes du public majoritaire en Catalogne et d’influence dans la politique générale, un profil tout a fait singulier par rapport à la presse de parti présente à Barcelone jusqu’à la guerre civile 1936-39 et de la presse de Madrid de toutes les époques. Depuis l’émergence tardive de la presse industrielle en Espagne, au début du xxe siècle, jusqu’aux grands changements politiques, techniques et économiques des années 1980, La Vanguardia a été le plus important des journaux quotidiens en diffusion et en vocation d’entreprise, et a bénéficié de la forte politisation et de la fragmentation traditionnelle du marché de la presse à Madrid.

À propos des différents moments de sa signification historique, celui de la transition politique du franquisme à la démocratie est bien sûr le mieux connu, grâce à la publication récente du livre d’Anna Nogué et Carlos Barrera La Vanguardia, del franquismo a la democracia. Dans une tradition limitée d’études historiques sur les journaux espagnols, La Vanguardia a fêté en 2006 son 125e anniversaire sans avoir décidé encore de favoriser une histoire corporative comme ont fait ABC (1903) à l’occasion de son centenaire ou El Pais (1976) pour son trentième anniversaire. Le livre que nous présentons est dans la ligne de la recherche académique, comme celui de Manuel Llanas sur les années de la direction de Agustín Calvet, Gaziel, pendant les années 1920-30 et son conflit avec Carlos Godó Valls, deuxième comte de Godó, à la fin de la guerre civile.

Les difficultés de relation des propriétaires avec les directeurs ont été importantes sous le mandat de Ramon Godó Lallana, devenu comte en 1916 et responsable de la croissance informative et de l’expansion industrielle de La Vanguardia pendant le premier tiers du xxe siècle. La fondation du journal au service du politicien libéral Praxedes M. Sagasta en 1881 fut l’œuvre de « don Carlos y don Bartolomé Godó Pie » -comme on le rappelle encore aujourd’hui à la « une »-, mais la décision de quitter cette orientation et d’adhérer à un projet strictement informatif appartient au premier des frères, qui bénéficiait de la collaboration du premier grand directeur, Modesto Sánchez Ortiz et des écrivains et artistes modernistes de la fin du siècle, comme Santiago Rusiñol et Ramon Casas. Le fils Ramon Godó Lallana aura jusqu’à trois et quatre directeurs à la fois, tout en divisant ses responsabilités et s’assurant le contrôle au dessus de tous.

L’ascension du catalanisme et des conflits sociaux pendant le premier tiers du xxe siècle et l’incompréhension de ces phénomènes par le comte de Godó produisit des fortes tensions autour du journal, dans les années mêmes de sa consolidation à la tête du marché de la presse, grâce à sa couverture de la Première Guerre Mondiale. L’effacement du propriétaire au profit de l’écrivain Miquel dels Sants Oliver, qui était à la tête d’une direction tripartite en 1919 et mourut par la suite, créée une situation très difficile, que dut affronter une nouvelle direction quadripartite où Gaziel exerçait l’orientation éditoriale.

Les relations entre les propriétaires et la direction deviennent à nouveau conflictuelles après la guerre civile, parce que les directeurs des journaux ont été imposés par le gouvernement du général Franco. De plus, à partir de la nomination du phalangiste Luis Maria de Galinsoga, Carlos Godó Valls, troisième propriétaire et deuxième comte de Godó, a dû accepter encore la modification du nom du journal en La Vanguardia Española, en compensation de la confiscation pendant la guerre civile (le journal avait été utilisé comme porte-parole du gouvernement de la République).

Tous ces antécédents sont nécessaires pour mieux comprendre les apports du livre de la journaliste Anna Nogué et du professeur de l’Université de Navarra Carlos Barrera, livre dont l’origine se trouve dans la thèse de doctorat de la première. Une partie très importante du travail est basée sur la consultation et l’étude de la correspondance quotidienne entre le comte de Godó et le journaliste Horacio Sáenz Guerrero, directeur du journal depuis 1969 jusqu’en 1982 et déjà rédacteur en chef sous la direction de Galinsoga.

Comme son père, Carlos Godó Valls a dû affronter en 1960 un conflit relatif au catalanisme, causé par un incident provoqué par le directeur phalangiste dans une église ou le prêtre faisait le sermon en langue catalane, suivant les nouveautés du Concile Vatican II. Saenz Guerrero a joué son rôle comme sous-directeur du nouveau directeur conciliateur nommé par Franco, Manuel Aznar, un des journalistes les plus importants en Espagne pendant le xxe siècle, diplomate et grand-père du politicien José María Aznar.

Il y aura encore un nouveau directeur nommé par Franco, Xavier de Echarri Gamundi, au coté duquel Sáenz Guerrero a continué comme sous-directeur jusqu’à pouvoir être nommé en 1969 premier directeur ayant la confiance de l’actionnaire. Depuis ce moment, il a conduit l’évolution de La Vanguardia Española –qui n’a perdu l’adjectif imposé qu’à l’été 1978- depuis l’ouverture franquiste de la Loi de Presse de 1966 jusqu’à l’année 1982 et la victoire socialiste aux élections générales suivant le coup d’État manqué du Colonel Tejero.

Le livre d’Anna Nogué et Carlos Barrera permet de connaître cette période essentielle dans l’histoire du journal au regard de la relation spécialement positive entre le propriétaire et le directeur, ainsi que de l’incorporation aux tâches exécutives de Javier Godó Muntañola, qui deviendra en 1987 le quatrième propriétaire et troisième comte de Godó. Ce sont des années qui comprennent la fin du franquisme (1969-1975), la transition démocratique (1975-78), la récupération de l’autonomie catalane avec le retour du président Josep Tarradellas de l’exil français et l’élection du nouveau président Jordi Pujol, la crise du parti réformiste d’Adolfo Suárez et la première victoire électorale du parti socialiste de Felipe González (1978-82).

Sous la direction de Sáenz Guerrero, La Vanguardia a fait sa propre transition vers la démocratie et aussi sa conversion au catalanisme modéré. Ce sont également des années de profonde transformation de la presse de Barcelone. Des huit journaux existant à Barcelone à la mort du général Franco il en restait seulement quatre à la fin de la direction de Sáenz Guerrero et uniquement La Vanguardia en 1985, aux côtés de deux nouveaux quotidiens parus pendant la transition, dans l’éclosion d’un nouveau système médiatique dominé par l’audiovisuel. Mais le rôle de Sáenz Guerrero finit avec l’année 1982, tout suite après l’arrivé du premier gouvernement socialiste. Il restera présent dans les pages du journal avec des articles, mais la direction sera confiée à des journalistes très proches de la nouvelle situation, d’abord du nationalisme catalan et plus tard du socialisme.

Jaume Guillamet

Recension publiée dans Le Temps des médias, n° 8, automne 2007, p. 238-240.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Ouvrage-Anna-Nogue-Carlos-Barrera.html

Dans la même rubrique