01 - Interdits. Tabous, transgressions, censures
Christian Delporte
Ouverture
Le Temps des médias n°1, automne 2003, p.7-8.
Qui, de nos jours, peut prétendre échapper à l'influence des médias ? à moins de vivre sur une île déserte, coupé du monde, l'homme contemporain est assailli par un flot continu d'informations, portées par l'imprimé ou l'image, les signaux électriques ou les supports sonores. Le monde médiatisé qui est le nôtre est le fruit d'une accumulation complexe de manières de s'exprimer, de transmettre, de se comprendre. Le domaine des médias est aujourd'hui si touffu qu'on a peine à en délimiter les frontières. Il intrigue, fascine, effraie, nourrissant parfois des jugements définitifs. On ne peut s'en passer et pourtant, bien souvent, on s'en défie. « Peut-on faire confiance aux médias ? » Réducteurs, les termes de ce débat contemporain fort classique indiquent tout à la fois l'importance d'un phénomène, la confusion des esprits et la fragilité des repères.
Qu'il cherche à s'extraire de ce qu'il considère comme la « tyrannie médiatique » ou qu'il veuille tout simplement mieux appréhender le monde de l'information et de la communication dans lequel il vit, le citoyen a tout intérêt à interroger l'histoire. La nouveauté n'est souvent qu'apparence : les médias ne dérogent pas à la règle. L'historien le sait qui s'applique à analyser les origines et la construction des sociétés contemporaines. Ici, comme ailleurs, l'histoire est un outil de critique et un précieux instrument pour comprendre et se repérer. Le Temps des médias s'inscrit pleinement dans cette démarche.
Les médias sont, pour l'historien, un objet d'étude relativement récent, en France comme ailleurs. Il a fallu attendre le seuil des années 1980 pour que l'histoire de la presse, développée notamment grâce à Pierre Renouvin, Jacques Godechot ou Pierre Albert, s'élargisse à l'audiovisuel, sous l'impulsion décisive de Jean-Noël Jeanneney. Un champ de recherche nouveau s'est ainsi défini, l'histoire des médias, qui, depuis dix ou quinze ans, s'enrichit d'études nombreuses et stimulantes, touchant à la radio et à la télévision, aux journaux et aux journalistes, au cinéma et à toutes les formes d'images. Pourtant, trop longtemps, les recherches en histoire des médias ont vécu dans l'ombre des sciences de l'information et de la communication ou de la sociologie.
Il y a trois ans, des chercheurs jusqu'ici dispersés ont décidé de se regrouper pour bâtir un projet collectif. Ainsi est née la Société pour l'histoire des médias. Indifférente aux écoles ou aux chapelles, la SPHM est devenue une aire de rencontre et d'échange accueillant des chercheurs – jeunes ou confirmés –, de différentes disciplines, des journalistes, des professionnels des archives et de la documentation, avec une commune ambition : participer à la construction de l'histoire des médias. Elle s'est appliquée à faire circuler l'information scientifique et connaître les études récentes, à initier des recherches et susciter la discussion collective. Conjointement, à Sciences po, s'est constitué le groupe de travail : « Temps, médias et société » (TMS). Les deux initiatives se complétaient. C'est pourquoi la SPHM et TMS ont choisi d'unir leurs efforts pour franchir ensemble une nouvelle étape. Le Temps des médias, fruit de leur collaboration, contribuera à promouvoir le champ neuf de l'histoire des médias et à élargir son public.
Deux fois par an, Le Temps des médias témoignera de la vitalité de la recherche historique et éclairera les grands débats contemporains sur les médias. Ses colonnes seront ouvertes à tous ceux qui, historiens ou non, contribuent à une mise en perspective. Outil de diffusion des connaissances, notre revue sera aussi un espace de réflexion méthodologique et épistémologique sur la pratique de l'histoire, et un lieu d'échange entre les disciplines.
Chaque numéro sera organisé autour d'un dossier, fondé sur une thématique, un objet, une grande question générale. Le premier d'entre eux, « Interdits. Tabous, transgressions, censure », indique une des démarches possibles. Les controverses actuelles, nourries par le rapport Kriegel et le supposé « retour à l'ordre moral », méritent, croyons-nous, la définition de quelques jalons historiques. Au dossier succédera Territoires d'études, rubrique des recherches en cours qui, parfois, fera le point, en quelques articles, sur une question importante : c'est le cas ici, avec le thème « Éthique et journalisme ». Nous donnerons aussi la parole aux acteurs, aux témoins, aux chercheurs, aux professionnels des médias qui, lors d'Entretiens, nous enrichiront par leur expérience. Qui, mieux que Michel Polac, familier des émissions suspendues, pouvait évoquer la censure à la télévision ? Enfin, Le Temps des médias s'appliquera à fournir au lecteur la plus dense information sur les parutions récentes, les recherches universitaires, l'actualité scientifique internationale, mais aussi d'utiles instruments d'étude (ressources en ligne, avec Medianet ; exposé bibliographique et historiographique avec Le point sur…).
Telle est l'ambition du Temps des médias. Les signes d'encouragement sont nombreux, et nous tenons, notamment, à remercier chaleureusement les membres du comité scientifique et les correspondants étrangers qui ont immédiatement répondu à notre appel. N'hésitez pas à nous faire part de vos remarques. L'aventure commence. Elle dépend maintenant de vous.