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Soutenances de thèses

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SONKO Fatoumata Bernadette : Les usages paradoxaux de la radio àtravers les émissions interactives au Sénégal. Les exemples de Sud-FM, de RFM et de FM Awagna

Thèse en Sciences de l’Information et de la Communication. Soutenance le 8 novembre 2010 à14h00, Salle Jean Bordes (rez-de-chaussée), Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (MSHA) -Domaine Universitaire - 10, Esplanade des Antilles - 33607 PESSAC.
Membres du jury : Frédéric ANTOINE : Professeur (Université Catholique de Louvain-la-Neuve - Belgique) ; Alioune B. FALL : Professeur (Université Montesquieu - Bordeaux IV) ; Alain KIYINDOU : Professeur (Université Bordeaux 3 - IUT – Michel de Montaigne) ; Jean-Jacques CHEVAL : Professeur (Université Bordeaux 3 – STC – ISIC).

Le Sénégal a entamé depuis 1992 une politique audiovisuelle marquée par une libéralisation progressive des ondes, aboutissant à la naissance de la première radio privée nationale, Sud-FM, en 1994, suivie par Dunyaa FM, Walf FM, Nostalgie FM, Sept FM, RFM, etc. Cette libéralisation des ondes a donné un nouveau souffle au paysage médiatique sénégalais. L’avènement des radios privés a permis aux auditeurs de découvrir une autre façon de « faire la radio », différente de celle de la station publique, la RTS.
Avec les émissions interactives, mises en place par ces nouvelles radios et conçues comme un lieu d’échanges des opinions et des idées, l’accès à l’antenne se démocratise. Il n’est plus besoin d’être un expert ou un érudit pour prendre la parole, un citoyen ordinaire peut le faire et même en direct. La multiplication des débats contradictoires diffusés en direct ainsi que la participation des auditeurs pouvant interpeller directement les élus ou les opposants a permis l’émergence de nouveaux espaces d’expressions plurielles. L’auditeur acquiert ainsi un nouveau statut, l’espace qui lui est réservé s’est élargi d’une station à l’autre avec la diversification des émissions interactives. De la politique à la religion en passant par l’économie, la culture, le sport et les divertissements, aucune rubrique n’est épargnée.
Ces émissions, rendues possibles grâce à un ensemble de dispositions techniques, institutionnelles, politiques et sociales, contribuent à consolider les bases d’une pluralité d’expressions et de discours touchant les différentes couches sociales. Leur succès au cours des dernières années a profondément modifié le fonctionnement des radios, avec l’intégration de deux outils essentiels, l’Internet et la téléphonie, permettant au public de disposer de canaux novateurs et intéressants pour accéder à l’antenne. Mais le pluralisme radiophonique ou la pluralité d’opinions sur les ondes recouvre-t-il pour autant la démocratie ? La question principale qui sous-tend cette recherche est la suivante : Les émissions interactives permettent-elles l’approfondissement de l’expression démocratique ? Ce travail s’est appuyé d’un point de vue théorique sur les usages « détournés » des outils de communication dans les pays du Sud, en l’occurrence au Sénégal. Les populations utilisent quotidiennement des outils et des moyens aux conceptions et finalités exogènes. Une intégration intelligente de ces ressources technologiques à leurs activités permet aux auditeurs et surtout aux radios de développer de nouveaux cadres d’expression et de partage des connaissances.
D’un point de vue méthodologique, la recherche est de type qualitatif. Elle s’est appuyée sur trois groupes de sources (auditeurs, chercheurs et universitaires et professionnels des médias) et sur trois radios de type commercial et communautaire. Une approche qui nous permet de faire une comparaison entre les radios ciblées et surtout de dresser une typologie des émissions interactives. Nous en avons défini trois : la parole citoyenne (prise de parole des acteurs de la société civile, des partis politiques et des citoyens ordinaires), la parole « tisserand » (la parole comme un trait d’union entre les auditeurs, les familles, les amis, etc.) et la parole confession (comment des prêcheurs hertziens sont arrivés à rendre la religion musulmane plus accessible sur les ondes). D’un point de vue cognitif, ces émissions interactives ont permis une plus grande circulation de la connaissance religieuse, brisant du coup le monopole exercé par les institutions naguère chargées de cette mission : les écoles coraniques et les mosquées. De nouveaux espaces de socialisation émergent ainsi tout comme de nouveaux acteurs.
Une observation plus poussée nous permet, cependant, de relever que derrière cette apparence démocratique des espaces interactifs créés par les radios, se dévoilent des mécanismes d’exclusion (in)volontaires d’une bonne partie de la population. Les conditions démocratiques d’une prise de parole à la radio semblent encore circonscrites à une partie de la population disposant uniquement des ressources technologiques (radio et téléphone essentiellement), financières et linguistiques. Ces émissions ont créé des espaces réservés à un public filtré et obéissant à une logique, dévoyant ainsi toute leur portée démocratique.
L’espace radiophonique à travers ces émissions interactives, surtout celles consacrées à l’actualité, est devenu un haut lieu de « griotisme », faussant parfois même l’idée d’une participation citoyenne et d’un débat démocratique. Elles sont envahies par le « jeton militant », une pratique mise en place par des groupes d’intérêts (politique, syndical, religieux, etc.) pour monopoliser la parole. Le dévoiement de ce reflet démocratique montre le caractère illusoire de ces émissions qui créent une classe privilégiée d’auditeurs, c’est-à-dire ceux qui ont les moyens technologiques, financiers et qui comprennent le wolof. Des limites qui altèrent la portée démocratique des émissions interactives et qui semblent ériger un fonctionnement en boucle, excluant une bonne partie des auditeurs.

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Les-usages-paradoxaux-de-la-radio.html