Ouvrages de référence
COULOMB-GULLY Marlène, Les informations télévisées, Paris, PUF, « QS ? », 1995.

Si seulement tous les volumes de la collection étaient de cette qualité ! Ce petit livre remplit parfaitement son contrat. Il est bien écrit, clair, richement documenté, rondement mené et particulièrement intelligent.
Le titre annonce une étude des « informations télévisées », mais il est essentiellement question du « Journal télévisé », clé de voûte de l’information à la télévision. Le plan est simple, robuste, équilibré. Le chapitre 1 retrace l’histoire du « Journal télévisé » (le JT). Le chapitre 2 analyse « le dispositif » de ce JT, c’est-à -dire le processus qui mène de la fabrication de l’information (les sources, le choix des nouvelles, leur traitement) jusqu’au rôle du présentateur, en passant par l’organisation du studio. Le 3e et dernier chapitre s’intéresse au « discours d’information », en défendant la thèse suivante : « Si l’information, qui a priori semble fonder et justifier le journal télévisé, est de part en part construite par le dispositif, peut-être ne constitue-t-elle de surcroit que le prétexte du JT. Sa première fonctionnalité résiderait, en effet, dans le contact qu’il suppose avec ses destinataires et entre ses destinataires, la fonction phatique et communicationnelle prenant le pas sur la fonction référentielle et purement informationnelle, pour reprendre la terminologie de R. Jakobson » (p. 82).
Ce qui est remarquable dans ce petit livre, c’est qu’il parvient à prendre en compte les différentes facettes d’un phénomène complexe, là où un sémiologue, un journaliste, un sociologue, un linguiste auraient privilégié tel ou tel aspect. Une telle variété de compétences est rarement réunie dans une seule personne. Le lecteur peut, ainsi, prendre conscience non seulement de la construction des contenus des informations, mais encore du rôle que jouent les agences de presse ou les envoyés spéciaux, le « look » du présentateur et la couleur du studio, ce dernier étant appréhendé très subtilement comme « embrayeur spatio-temporel » (p. 67) qui connecte divers espaces et diverses temporalités.
Outre ces qualités qu’on pourrait dire « encyclopédiques », tout à fait dans l’esprit de la collection « Que sais-je ? », le livre de M. Coulomb-Gully se recommande par son aptitude à donner à penser. De ce livre rigoureux, et vigoureux, il ressort un tableau sans complaisance d’un dispositif qui, en instituant l’universel feuilleton, a fait vaciller des notions comme « doctrine politique », « démocratie », « justice ». Partant du postulat que le JT est un « genre, exactement comme le western ou la comédie, avec des personnages et une dramaturgie spécifiques, une organisation et des épisodes déterminés » (p. 10), l’auteur démonte une machine qui apparait quelque peu monstrueuse, marteau sans maitre qui digère l’ensemble du monde. Dans la lignée d’un R. Debray, elle ne minimise pas les conséquences énormes de ce genre télévisuel sur la manière dont les citoyens sont amenés à se rapporter à la société. Elle met très justement l’accent sur ce qui se dessine pour un avenir pas si éloigné : « L’utilisation des images de synthèse dans le domaine informationnel ouvre la voie à un brouillage des genres par indifférenciation généralisée du réel, du fictionnel et du virtuel » (p. 125), étant entendu que la notion de « réel » s’en trouvera gravement affectée. Le JT serait donc un genre voué à disparaitre, une transition relativement longue entre le journal radiophonique et un univers visuel encore en gestation. Je n’aurai qu’un seul regret, c’est que l’auteur ait négligé d’évoquer la communauté discursive des journalistes de l’audiovisuel. Dans la mesure où l’information, d’un bout à l’autre de la chaine, est contrôlée par la même corporation, on ne peut pas se contenter de prendre en compte l’état de l’opinion des téléspectateurs, d’un côté, et la subjectivité des responsables, de l’autre. D me semble que le mode d’organisation, les valeurs et les tabous qui cimentent les groupes de journalistes, jouent un rôle important : le « milieu », c’est-à -dire les médiateurs, est aussi un « milieu », une communauté restreinte qui a ses règles.
Recension de Dominique Maingueneau
Mots, vol 44, 1995, p. 149-150.