Atelier doctoral 2003
Eric Lagneau : Le style agencier : les journalistes de l’AFP
L'auteur travaille à l'AFP depuis 1995 (secteur sport), ce qui lui permet d'effectuer des observations, de réaliser des entretiens (une quarantaine) et de suivre des journalistes sur le terrain. L'importance des agences est reconnue, mais les travaux les étudiant sont peu nombreux.
Ces journalistes sont peu nombreux (environ 6000 journalistes pour les trois agences mondiales, dont 1250 pour la seule AFP). Ce journalisme qui se veut une référence dans le domaine de la chasse aux nouvelles est pris dans les logiques professionnelles et politiques complexes puisque dès le départ, les agences (à commencer par Havas) ont aussi dû négocier avec le pouvoir politique (ce qui fonde à la fois la légende dorée et la face sombre des agences). Le modèle du journalisme d'agence a lontemps été relativement atypique en France (plus marquée par le journalisme littéraire ou politique). Le fait de parler de « chasseur de nouvelles » est aujourd'hui un peu biaisé : il y a en fait une coopération avec les sources (on peut parler de « rabatteurs », voire d'un « gibier tout cuit » tombant dans l'assiette).
Par son statut de 1957, l'AFP est un organisme juridique unique, une « coopérative de journaux financée par l'Etat ». L'objectivité est une obligation légale de l'AFP. Un conseil supérieur surveille son travail. Un process de qualité est d'ailleurs mis en place : il apparaît dans le mode d'organisation de l'agence, la production est séparée du desk. Ce process apparaît également dans l'écriture des agenciers (le premier paragraphe, le « lead », doit donner l'essentiel ; sur l'ensemble du texte, on trouve un ordre d'intérêt décroissant). La distanciation est primordiale dans ce mode d'écriture (voir J.G. Padioleau, La Rhétorique de l'objectivité). Une partie de ce travail peut aussi ressembler à du journalisme d'enregistrement. Ce travail a une forte dimension collective, de plus fortement codifié et normé.
Sur le plan sociologique, on note que les agenciers de l’AFP à statu siège sont majoritairement des hommes, de nationalité française (83%), plus âgés que la moyenne de la profession. Le turn-over est faible. Ces journalistes ont, dans une proportion plus importante que dans le reste de la population (26% contre 12%), été formés dans les écoles de journalisme ; ils ont des rémunérations supérieures à la moyenne. Ces caractéristiques pourraient en faire une sorte d'élite de la profession, mais ces journalistes se démarque de l'élite par leur déficit de visibilité sociale.
Le paysage médiatique a beaucoup évolué au cours des 20 dernières années ; les sujets et les supports se sont diversifiés. D'importants problèmes de sélection sont apparus. Progressivement, l'AFP a davantage recours à la rhétorique de l'expertise critique.