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Ouvrages de référence

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SULLEROT Evelyne, La presse féminine, Paris, Colin, 1966.

Abordant un domaine presque inexploré, Evelyne Sullerot a écrit une étude qui pourrait être citée comme un modèle du genre. En refermant l’ouvrage, le lecteur a vraiment le sentiment d’avoir fait le tour d’un problème. Il peut avoir envie de discuter telle ou telle interprétation ; du moins ne peut-il nier qu’il ait en main tous les éléments propres à faire rebondir le débat. La première v partie est consacrée à la genèse de la presse féminine. Celle-ci s’est développée dans le sens d’une démocratisation jalonnée par trois étapes : la dame, la femme, la ménagère. Après ce rappel historique, précis, vivant et bien documenté, nous abordons la presse d’aujourd’hui : étude des conditions de financement, d’édition, de distribution ; indications sur les chiffres de tirage, les réseaux de diffusion, les contrôles politiques ou confessionnels ; analyse des couches socio-culturelles consommatrices des divers journaux ; ébauche d’une enquête sur le recrutement, la formation, la psychologie des journalistes de cette presse. Vient ensuite l’étude des contenus.
Signalons en particulier les deux chapitres consacrés au photoroman et au Courrier du cÅ“ur. Dans son analyse de cette littérature décriée, Evelyne Sullerot fait preuve d’une modération assez rare. Certes son jugement est plutôt sévère pour le photoroman, qui ne paraît pas, malgré certaines améliorations techniques, appelé à l’avenir d’un grand art. Encore faut-il noter qu’il peut jouer, à l’occasion, un rôle d’introducteur à la- culture : le photoroman tiré d’Anna Karénine ou de Jane Eyre a parfois fait lire le livre. Mais le courrier du cÅ“ur a droit à une appréciation encore plus nuancée. A n’en pas douter, il remplit une fonction nécessaire en permettant à un grand nombre de détresses méconnues de s’exprimer et de recevoir un appui. On peut discuter la valeur des remèdes offerts, on ne peut douter de la gravité dramatique des problèmes posés. De nombreuses citations tirées de la correspondance du courrier du cÅ“ur — certaines poignantes — viennent l’attester. Le chapitre consacré aux affaires publiques est plus bref, car il est vrai que la presse féminine dans son orientation d’ensemble est apolitique, ou plutôt anti-politique. Mais il faut se garder de généraliser. Sur quelques exemples probants, Evelyne Sullerot montre que le journaliste de cette presse sait à l’occasion expliquer les problèmes, et même prendre des positions courageuses : c’est affaire de talent et d’autorité personnels. Le chapitre sur la publicité nous ramène à un des domaines spécifiques de la presse féminine : la mode, les soins de beauté, la décoration, les arts ménagers. Ici encore, Evelyne Sullerot dose avec beaucoup d’équité la part de l’évasion du rêve (devant les images d’un luxe inaccessible), celle de l’appel au miracle (dans certaines réclames de soins de beauté), celle enfin du réalisme, de la démystification, du conseil pratique et efficace. Les deux mouvements se croisent sans- cesse. Comme toute presse de masse, la presse féminine est ambiguë. Ce n’est pas assez de dire qu’elle brasse le meilleur et le pire. Elle est simultanément, et presque dans le corps d’un même message, porteuse de virtualités bénéfiques et malsaines. « Optimisme et angoisse », c’est le titre du dernier chapitre : il traduit l’impression finale qui se dégage de l’étude des thèmes et des valeurs de la presse féminine. Signalons encore, dans les annexes, un dossier remarquable sur la campagne contre la presse du cÅ“ur, lors de l’apparition en France, vers 1947, des premières publications de Del Duca.

Recension par Claude Bremond
Communications, 1964, vol. 3, n° 1, pp. 110-111.

URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1964_num_3_1_1013

Citer cet article : https://www.histoiredesmedias.com/La-presse-feminine.html