30 - La fausse information de la Gazette à Twitter
Anne-Claude Ambroise Rendu
La catastrophe écologique de Tchernobyl : les régimes de fausseté de l’information
Le Temps des médias n° 30, Printemps 2018, p. 152-173.>> Acheter cet article sur CAIRN
Le traitement médiatique de la catastrophe survenue le 28 avril 1986 dans la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine a conjugué toutes les modalités de la fausse information. Soumis à un impératif de factualité qui laisse peu d’espace à l’indécision et à l’indécidable, les médias ont rendu compte de l’accident et de ses suites comme ils ont pu. Certes, la fable du nuage qui aurait épargné la France, specimen de ce “canard” que les journaux du XIXe siècle dénonçaient, a été assez rapidement mise à mal, cristallisant les débats et devenant un sujet à part entière : celui de la manière dont la fausse information peut se propager. Mais factualité n’est pas vérité et quand la première s’avère insaisissable, la seconde devient généralement polémique. Il en fut ainsi de la question des dommages sanitaires engendrés par le passage du fameux nuage, restée objet de polémiques jusqu’à ce jour. Cet article reprend le dossier en s’interrogeant sur les régimes de fausseté qui ont servi de cadre à ce long feuilleton : la fausseté due à l’absence d’information, la fausseté par rétention d’information, la fausseté relevant de diverses manipulations, la fausseté dépendant d’une défaillance épistémique, enfin. En prenant en compte la difficulté qu’il y avait pour les journalistes à traiter un sujet à la fois aussi technique et aussi « explosif. Si de fausses informations ont été diffusées par les médias, elles tiennent moins aux insuffisances des professionnels qu’à une convergence de facteurs parmi lesquelles on notera la réticence des « experts » à partager avec les journalistes et le public des informations jugées embarrassantes et/ou fauteuses de trouble, et la rétention des politiques soucieux de ne pas entamer le crédit de l’industrie nucléaire. Cette pratique largement dénoncée dès le 8 mai 1986, appartient à la logique de ce « gouvernement par le secret (qui caractérise) le pays le plus nucléarisé au monde ». Mais c’est aux journalistes qu’il revient d’avoir finalement fourni au public l’accès à l’information, recomposant de la sorte un espace public démocratique qui se trouvait de fait menacé par la rétention des autorités.