01 - Interdits. Tabous, transgressions, censures
Laurent Martin
Jalons pour une histoire culturelle de la pornographie en Occident
Le Temps des médias n°1, automne 2003, p.10-30.La pornographie, malgré le caractère massif qu’elle a pris de nos jours, n’est pas un phénomène nouveau en Occident. Le mot, la pratique, les représentations sont apparus dans l’antiquité gréco-latine et réapparus à l’époque moderne, par-delà la parenthèse médiévale. Selon les époques et les statuts de ceux qui l’emploient, « pornographie » a désigné aussi bien le simple nu académique que la représentation explicite de l’acte sexuel. « Pornographie » est un mot pour une zone de combat que décrit une approche culturaliste de l’histoire.
La pornographie est aujourd'hui un fait social massif. Le chiffre d'affaires total de ce qui est devenu une industrie planétaire est estimé à 50 milliards d'euros, dont un milliard et demi pour le seul territoire français [1]. Les sites érotiques et pornographiques ont capté, en 2002, 25% du trafic mondial sur Internet [2]. L'imagerie sexuelle – qui, à la fois excède la pornographie et ne comprend pas la part écrite ou verbale de celle-ci [3] –, est omniprésente dans l'espace public des sociétés occidentales et gagne les autres aires culturelles malgré de fortes résistances.
Ce constat déclenche régulièrement des réactions alarmistes voire catastrophistes qui insistent sur le caractère radicalement nouveau du phénomène. C'est le cas, par exemple, de Laurent Guyenot, pour qui « la pornographie est un phénomène typiquement moderne [et devant être résolument combattu] (…), le produit symbolique de trois aspects convergents de notre société : 1) l'idéologie dominante du libéralisme sexuel 2) l'omniprésence et la puissance de l'image 3) la recherche effrénée du divertissement [4]. » Un fort investissement normatif et axiologique caractérise la majorité des ouvrages produits sur ce sujet dont bien peu, de surcroît, proposent un recul historique au-delà du demi-siècle qui vient de s'écouler.
« Pourquoi n'y a-t-il pas d'histoire de la pornographie ? » : ce titre d'un article de l'historienne et féministe américaine Joan Hoff pose une question essentielle. On peut résumer sa réponse dans les termes suivants : la pornographie est un outil en même temps qu'un révélateur de la domination des hommes sur les femmes. Ce n'est qu'à partir du moment où le mouvement féministe (américain) a commencé à contester cette domination qu'est apparu l'intérêt d'une analyse scientifique du phénomène pornographique comme tel. « Parce que la pornographie met en cause les hypothèses traditionnelles du libéralisme légal comme historique, la plupart des historiens et juristes américains ont consacré leurs talents respectifs à une évaluation critique des diverses tentatives faites pour censurer la pornographie ; ils n'ont pas cherché à comprendre la pornographie comme phénomène historique et culturel » [5].
Même si toutes les universitaires américaines ayant travaillé sur ce sujet ne se réclament pas du féminisme tel que le conçoit Joan Hoff, il reste que leur nombre et la qualité de leurs travaux sont, en effet, remarquables (sans constituer pour autant, il est vrai, l'« histoire de la pornographie » réclamée par cette auteure), comme sont remarquables les nombreuses références à l'œuvre de Michel Foucault que l'on y trouve. Ce dernier n'a pourtant jamais accordé une attention particulière à ce sujet, comme le rappelle Lynn Hunt dans son introduction à The Invention of Pornography [6] ; mais sa réflexion sur l'émergence d'un discours spécifique de la modernité en matière sexuelle (en particulier dans son Histoire de la sexualité [7]) a mis ces universitaires sur la voie d'une interprétation du phénomène pornographique comme produit des nouvelles formes de régulation des rapports sociaux qui se mettent en place à l'époque moderne.
Du côté français, on ne trouve guère l'équivalent de ces travaux américains sinon, peut-être, de la part de modernistes. Jean-Marie Goulemot, tout particulièrement, a donné une étude magistrale de Ces livres qu'on ne lit que d'une main ; mais il reconnaît lui-même n'avoir « pas cherché à faire une histoire de la littérature érotique, disons même pornographique au xviiie siècle », proposant plutôt une « réflexion sur la lecture du récit pornographique » [8]. On trouve quand même beaucoup d'informations utiles dans ce livre ou dans le recueil que le même auteur a dirigé pour les Cahiers d'histoire culturelle de l'université de Tours [9] ; on pourra les compléter avec l'article d'Antoine de Baecque sur « les livres remplis d'horreurs » de la Révolution française [10].
Pour les autres périodes, la récolte est plus inégale. Le tournant des xixe et xxe est bien connu, grâce notamment aux travaux d'Annie Stora-Lamarre [11], mais les premières moitiés des xixe et xxe siècles le sont beaucoup moins. Quant à nos spécialistes de l'Antiquité gréco-latine ou du Moyen à ‚ge occidental, ils préfèrent parler du « corps » plutôt que du sexe et l'envisagent généralement à l'intérieur du cadre des relations matrimoniales [12]. Affaire de sources ? Il nous semble pourtant que la représentation de l'acte sexuel n'est pas absente de la sculpture médiévale. Affaire de définition ? Voilà qui est déjà plus sérieux, et sans doute, en effet, « sexualité » ou « pornographie » sont-ils des termes anachroniques pour désigner la façon dont les hommes et les femmes du passé le plus lointain vivaient et se représentaient leur rapport au corps, au plaisir, à l'image. Mais ce rapport existait, néanmoins, quel que soit le nom qu'on lui donne ; or l'historiographie francophone n'en parle guère. Pas plus que les généalogies « sérieuses » du cinéma, de la photographie ou de la littérature n'intègrent cette branche scandaleuse de leurs familles respectives.
Même si les mentalités, là aussi, évoluent – cet article en témoigne –, la pornographie reste un sujet sale, dangereux, un mauvais sujet, comme l'Église disait « mauvais livres » en parlant d'ouvrages qui n'étaient pas tous, loin s'en faut, pornographiques. Même si l'on n'adhère pas à ce partage des domaines de recherche entre le noble et l'ignoble, le légitime et l'illégitime, il faut reconnaître qu'il est en tout cas un sujet difficile, justement en raison du caractère encombrant des jugements de valeur qui pèsent sur lui : la pornographie est-elle l'instrument de l'aliénation des femmes (ou des masses) ou le vecteur de leur libération ? Un anti-érotisme ou l'amplification de son message ? Une sexualité de compensation ou une forme alternative de sexualité ? Un système de représentations ou une école du crime ?
Nous n'éviterons pas ces questions en les intégrant à une réflexion historique qui se veut dépassionnée ; mais nous tenterons de les mettre en perspective, ne serait-ce que pour nous mettre à l'affût du nouveau, du changeant qui n'est pas forcément où on le cherche. L'hypothèse sur laquelle repose cette réflexion est qu'il existe une spécificité occidentale de la pornographie qui n'est pas apparue à l'époque contemporaine même si celle-ci lui a probablement conféré un caractère nouveau. Nous ne voulons pas dire que la pornographie est exclusivement occidentale : mais l'Occident se caractérise, en effet, par une certaine façon de la concevoir [13].
Cette spécificité est faite de représentations et de pratiques sociales, elle met en jeu des catégories de perception, d'émotion, d'appréciation esthétique et morale, elle se lit dans les textes et les images, elle est tissée d'interdits, de tolérances, de coups de force symboliques, elle est affaire d'auteurs, de médiateurs, de censeurs, de consommateurs ; bref, elle est l'objet par excellence d'une histoire culturelle de longue durée, telle que l'historiographie française – notamment – la développe depuis déjà de nombreuses années. Ces divers éléments se nouent dans des configurations instables que l'on peut nommer « antiquité gréco-latine », « occident chrétien », « démocratie moderne » sans se faire trop d'illusions sur la cohérence interne et externe de ces ensembles à l'intérieur desquels apparaît, ni tout à fait semblable, ni tout à fait autre, un certain visage de la pornographie [14].
Les caractères contemporains de la pornographie antique
Ceux qui pensent que la pornographie est un fait spécifiquement contemporain insistent sur la constitution de la pornographie comme genre séparé des autres genres de la représentation ; sur le caractère massif de sa diffusion ; sur la représentation de l'acte sexuel pour lui-même, indépendamment de toute visée religieuse, politique voire artistique. Ils n'ont pas tort puisqu'en effet, ces divers éléments se combinent d'une manière neuve entre, disons, 1850 et nos jours. Mais il semble bien, à suivre Amy Richlin et les auteurs qui ont participé au recueil Pornography and Representation in Greece and Rome [15] – notre principal guide dans ces contrées à la fois proches et lointaines – que ces éléments aient déjà été présents dans l'antiquité gréco-latine.
Et tout d'abord le « genre » pornographique. Le mot « pornographe » est utilisé par le rhéteur et grammairien Athénée (Athenaeus) au iie siècle après Jésus-Christ pour désigner les artistes qui excellent dans l'art de représenter les choses de l'amour [16]. Plus précisément, les « pornographes » sont ceux qui écrivent (graphein) sur les [à propos des] prostituées (pornai). Dès l'origine, texte et image sont associés puisque les « pornographes » dont parle Athénée sont des peintres : Pausias, qui représente sa maîtresse Glykera, Aristide qui peint Leontion, maîtresse du disciple favori d'Epicure Métrodore, Nicophane, dont on ne sait qui furent ses modèles. Ces femmes étaient-elles vraiment des « prostituées » ? Le fait reste discuté et ne nous intéresse guère [17]. Le plus important est que, au moins chez les Romains – mais aussi, très probablement, chez les Grecs – la notion de pornographie est attestée.
Cette pornographie était largement diffusée, non pas, à vrai dire, grâce à l'œuvre des peintres : ceux-là s'adressaient à une clientèle aristocratique et peignaient des œuvres uniques, des tableaux (tabellae) destinés à être accrochés dans les demeures de riches patriciens [18]. En revanche, les poteries d'Arezzo de l'époque augustinienne étaient produites en grande quantité, comme l'étaient déjà , en Grèce et dans tout le bassin grec, les coupes à boire athéniennes à silhouettes noires puis rouges de la période allant de 520 à 470 avant notre ère. Les auteurs ne précisent pas la proportion exacte de scènes érotiques et pornographiques dans l'ensemble considéré (fort de plusieurs milliers de pièces conservées), mais affirment qu'elle est en tout cas très importante [19].
Que voit-on sur ces vases, ces coupes, ces cratères ? Des scènes de banquet et d'autres montrant l'intimité de couples dans des chambres. Dans l'un et l'autre cas, les femmes présentes sont très vraisemblablement des courtisanes (hetairai), jouant de la flûte ou engagées dans une action à caractère sexuel. Selon H. A. Shapiro, « les scènes érotiques sur les vases grecs illustrent parfaitement le sens littéral, étymologique, de « pornographie » (…) En même temps, beaucoup de ces scènes anticipent certains aspects de la notion moderne de pornographie (…) Ils comprennent des éléments de fantasmes (masculins) et des détails exagérés (non limités aux femmes ; le pénis de l'homme en érection est souvent d'une taille fort improbable) ; il y a des scènes de groupe, avec une grande imagination dans la combinaison des positions ; il y a des traces de sadomasochisme (…) et des représentations explicites de violences et de traitements dégradants infligés aux femmes » [20].
Selon les interprétations les plus convaincantes, ces objets décorés de scènes suggestives étaient utilisés lors de soirées exclusivement masculines où l'on consommait du vin avant – éventuellement – de « consommer » des femmes. Les scènes peintes sur les coupes à boire pourraient avoir eu pour fonction de « mettre en appétit » les convives. On est donc très loin, ici, d'une relation du pornographique au sacré (même si les peintures peuvent mettre en scène des couples mythologiques) ou au politique ; le pornographique ne renvoie qu'à son objet, qui est l'acte sexuel. Mais il y a mieux : les tableaux romains montrant des scènes d'accouplement, retrouvés dans les demeures patriciennes, ou les ustensiles domestiques décorés de ces mêmes scènes et plus largement répandus, montrent que la pornographie antique n'était pas réservée aux seules « maisons closes » (terme, pour le coup, anachronique) ni même aux beuveries entre amis. La pornographie était présente dans le cadre domestique, sous les yeux des femmes de la Maison, à leur usage aussi bien qu'à celui de leurs compagnons.
Les sources littéraires sur la pornographie antique laissent entendre que cet usage était essentiellement didactique. Outre l'excitation du désir, ces images auraient eu pour but de nourrir l'imagination des spectateurs et de les inciter à varier les plaisirs. Le poète Ovide y fait référence dans son célèbre Art d'aimer (Ars amatoria), écrit au tout début de notre ère : parlant des « vieilles femmes », il indique qu' « elles connaissent mille positions [figuras] pour faire l'amour (et qu') aucune image n'en connaît davantage » [21]. Dans le livre trois, il précise son propos en détournant plaisamment la maxime socratique :
« Connais-toi toi-même : ton corps doit déterminer tes positions. Il n'y a pas de position unique qui convienne à toutes les femmes. Une femme avec un beau visage doit s'étendre sur le dos, Les femmes au joli dos doivent être vues par l'arrière. Milanion portait les jambes d'Atalante sur ses épaules : De belles jambes doivent adopter cette pose. Une petite femme doit chevaucher ; Andromaque Était trop grande pour enjamber le torse d'Hector (…) [22] »
On le voit, Ovide s'adresse aux femmes. L'imagination dans l'art d'aimer est leur affaire, non celle des hommes. Le caractère indubitablement « sexué » des représentations de l'acte « sexuel » induit-elle, pour autant, leur caractère « sexiste » ? C'est le point de vue défendu par un certain nombre d'auteurs, pour qui la pornographie met en scène, par les mots ou par l'image, la domination de l'homme sur la femme, celle-ci étant réduite au rang de vulgaire objet [23]. La réalité est peut-être plus complexe. Certes, les femmes sont invitées – le texte d'Ovide est assez clair – à se mettre à la disposition du plaisir masculin. Mais, comme le remarque Molly Myerowitz, rien dans les tableaux ou fresques n'assigne de position dominante à l'un ou l'autre sexe ; seules sont montrées les possibilités amoureuses – anatomiquement limitées. Ajoutons qu'Ovide, dans le livre deux de son Art d'aimer conseille l'amant sur les moyens de conduire sa compagne jusqu'au plus vif des plaisirs, simultanément au sien.
On sait qu'Ovide fut banni par Auguste en 8 apr J-C. Le motif ? Avoir mis en péril l'institution du mariage, en faisant la peinture complaisante et sensuelle des amours adultères, en un temps où le fondateur de l'Empire s'employait à restaurer l'antique morale romaine. Des bords de la Mer Noire où son souverain l'avait relégué, le « chantre léger des tendres amours » plaida en vain sa cause dans les Tristes et les Pontiques. Ses arguments ne manquent pas d'intérêt : « mes écrits n'étaient point faits pour les matronae dont Auguste se soucie si fort, dit-il en substance ; et l'on trouve l'équivalent de mes images poétiques sur les murs des grandes demeures de la noblesse romaine, à commencer par celle d'Auguste lui-même ». Ainsi donc, ce cas de censure ou plutôt de répression littéraire – le plus célèbre de l'antiquité gréco-latine – met en évidence trois points importants : 1) la présence de représentations à caractère érotique ou pornographique (la distinction importe ici assez peu) dans le domestique des catégories supérieures de la population romaine 2) le caractère conflictuel du rapport de l'auteur de ces représentations à la morale moyenne défendue par le pouvoir politique au nom de l'ordre social [24] 3) la puissance attribuée par ce pouvoir à ces représentations, qu'elles prennent la forme d'écrits ou d'images.
Ce dernier point, tout particulièrement, mérite d'être souligné. La civilisation gréco-latine croit au pouvoir de la représentation, à son influence sur les esprits et les comportements [25]. L'image, qui est le type de représentation qui parle le plus directement aux sens, est active, qu'elle représente le mort parmi les vivants ou l'amant(e) absent(e). Qu'est, en effet, le mythe de Pygmalion – dont Ovide, comme par hasard, fait l'un des principaux thèmes de ses Métamorphoses – sinon ce rêve de façonner de ses propres mains un Autre idéal, supérieur au modèle vivant ? Mais l'idéal appartient au monde des Idées ou des essences, dit Platon dans la République, et sa représentation ne peut être que trompeuse, illusoire, d'autant plus dangereuse qu'elle est plus ressemblante.
On retrouve là , sans doute, des inquiétudes fort contemporaines, ce qui montre que l'antiquité gréco-latine n'est pas ce monde englouti dont toutes les clefs auraient été perdues ; pour ne parler que de la pornographie, « les matériaux rassemblés étaient pornographiques dans la société considérée aussi bien que dans la nôtre [26] » et sont donc passibles des mêmes questionnements. Toute comparaison doit néanmoins prendre en compte deux grands traits culturels par quoi ces sociétés diffèrent de la nôtre : leur nature esclavagiste et, pour ce qui est de la Grèce antique, le statut accordé à l'homosexualité masculine. Ces deux traits expliquent une grande part des différences les plus notables sur le plan de la représentation de l'activité sexuelle.
L'Occident chrétien sans pornographie ?
Il y a quelque artifice à séparer l' « Antiquité gréco-latine » du « Moyen à ‚ge occidental ». Par bien des aspects, celui-ci prolonge celle-là , et le domaine de la représentation n'y fait pas exception. On trouve ainsi, dans les collections du musée de Cluny, d'assez lascives demoiselles datant des ve et vie siècles apr. J.-C. qui doivent l'essentiel de leurs séduisants appâts à l'art paà ¯en. Mais ce n'est là , sans doute, qu'érotisme discret d'une antiquité finissante, nullement pornographie médiévale.
Celle-ci est-elle davantage attestée par les exemples de représentation de la nudité et de l'acte sexuel signalés par Jean-Claude Bologne dans son Histoire de la pudeur ? « L'art médiéval ne craint pas le nu, écrit ce dernier, ne craint pas de l'afficher dans les lieux qui nous semblent les plus sacrés, au vu et au su de toute une foule qui ne s'en formalise pas. Les Adam et les saints ne lui suffisent pas. « Grotesques » ithyphalliques, scènes d'accouplement, derrières rebondis pullulent en marge des manuscrits, sous les stalles des chanoines, sur les chapiteaux des églises [27]. » Cette présence de la nudité et même de l'accouplement dément la réputation de pruderie sévère d'un Moyen à ‚ge abîmé dans le mysticisme et les mortifications de l'ascèse. Elle n'autorise pas toutefois à parler de pornographie pour cette période de l'histoire occidentale.
Si la question reste controversée [28], l'interprétation qui domine parmi les spécialistes du Moyen à ‚ge occidental est que la vision du corps qui le caractérise, articulée sur une conception du monde presque totalement informée par l'idéologie chrétienne, interdit la représentation du désir et du plaisir sensuels. « Interdit » est encore trop dire : elle ne la conçoit pas. Selon une conception héritée de l'antiquité et traduite en termes chrétiens, le corps ou la chair [29] est la « prison de l'âme », la part mortelle et périssable de la personne humaine, le lieu et l'instrument du péché. Même si cette conception « binaire » a été aménagée pour faire place à la nécessaire cohabitation de l'esprit, de l'âme et du corps qu'implique la croyance en une trinité des principes, la chair n'a jamais été considérée, au mieux, que comme le « gond du salut » et ses représentations – fort nombreuses en effet, notamment dans la sculpture romane [30] – que comme des rappels de l'humaine condition ayant valeur d'avertissement.
C'est de cela, surtout, que s'affranchit l'art de la Renaissance. Le corps humain fait un retour en force dans la peinture et la sculpture des maîtres italiens, et non plus seulement sous les traits émaciés du Christ au tombeau mais sous ceux, vigoureux, jeunes, triomphants d'« Hercule » (Piero della Francesca, vers 1465), de « Vénus » (Botticelli, 1478) ou de « David » (Michel-Ange, 1503). Cet éloge du corps est autant le fruit d'un retour à l'antique que d'une projection dans l'avenir, d'un optimisme qui place l'homme au centre de toute chose [31]. Mais on aurait tort de croire à un épanouissement sans obstacles de la sensualité représentée – et parfois vécue – par les artistes de ce temps : comme le note Jean-Claude Bologne, « la Renaissance, en libérant la nudité, a déclenché la plus formidable campagne de pudeur artistique des temps modernes. (…pour les adversaires de la nudité) la pudeur ne se limite pas aux organes sexuels. D'emblée, ils saisissent la véritable portée de cette révolution mentale : ce sont les nouvelles valeurs accordées à la chair qu'ils condamnent, l'absence de toute intériorisation et de toute religiosité dans les sujets les plus sacrés » [32].
L'illustration la plus célèbre de cette vague de pudeur exactement contemporaine de la vogue du nu est le tollé qui, en 1541, accompagne la présentation du Jugement dernier, pièce maîtresse de la Chapelle Sixtine. La vision de tous ces corps nus [33], athlétiques – en particulier celui du Christ, autour duquel s'ordonne la composition – est intolérable aux yeux d'une grande partie du public. L'un des plus véhéments est l'écrivain Pietro Aretino qui, dans une lettre à Michel-Ange écrite en 1545, se déclare « révolté par la licence, si contraire à la spiritualité, que [le peintre] s'est permise en exprimant les concepts auxquels se résolvent les aspirations de notre vraie croyance » [34].
La critique ne manque pas de sel, venant d'un homme que beaucoup de spécialistes considèrent comme l' « archétype du projet pornographique » [35]. Quelques années avant l'achèvement du Jugement dernier, l'Arétin avait publié ses Ragionamenti (1534-1536), dialogues satiriques entre une femme d'expérience et un jeune puceau (qui ne le reste pas longtemps). Mieux encore, il avait composé des Sonnets luxurieux pour accompagner une série de gravures qu'avait frappée, en 1524, l'interdit papal. Les gravures, montrant les seize positions qu'un couple raisonnablement imaginatif peut pratiquer dans l'intimité, étaient assez explicites et les sonnets ne l'étaient pas moins, quoiqu'usant de toutes les ressources d'un art oratoire supérieurement maîtrisé ; ils forgèrent rapidement la réputation de l'Arétin qui ne faiblit pas jusqu'au xviiie siècle. Et c'est cet homme qui se permet de faire la leçon à Michel-Ange ! Mais, affirme-t-il dans sa lettre de 1545, « moi, d'une manière lascive et impudique, non seulement j'use de mots détournés et déguisés mais je raconte avec des termes irrépréhensibles et chastes » [36].
Selon l'historienne Lynn Hunt, « l'Arétin rassembla divers éléments pour former la base de la tradition pornographique : la représentation explicite de l'acte sexuel, la forme du dialogue entre les femmes, la discussion sur les prostituées et le défi lancé aux conventions du jour. (…) Lui et ses pairs ont inauguré une tradition littéraire neuve sous deux aspects : l'appel à un public plus large grâce à l'emploi de l'imprimerie et l'usage d'une satire politique, qui allait jouer un rôle croissant dans les deux siècles qui suivirent » [37]. Nous serons moins catégoriques que cette auteure : certains de ces éléments, nous l'avons vu, étaient déjà présents dans l'antiquité gréco-latine et le xvie siècle les redécouvre plutôt qu'il ne les invente ; d'autres sont des modalités temporaires du genre pornographique, non des traits définitifs.
Il en est ainsi du dialogue entre femmes voire de la discussion sur les prostituées, certes très présents chez les épigones de l'Arétin mais qui cèdent la place à d'autres formes et lieux communs aux xviie et xviiie siècles. C'est le roman, genre nouveau au xviie siècle, qui prête ses techniques d'écriture à la plupart des écrits pornographiques qui fleurissent, tout particulièrement en France, dans la deuxième moitié du xviie siècle [38] et autour de 1750 [39]. Les procédés narratifs, l'identification du lecteur au narrateur, l'illusion mimétique sont ceux-mêmes qu'invente Madame de la Fayette avec la Princesse de Clèves. L'écrit pornographique les met au service de son projet qui est comme la quintessence du projet romanesque : donner pour vraie (au point de produire des effets très réels sur le lecteur) une représentation [40].
Dans cette perspective, on comprend que le texte pornographique choisisse délibérément les mots les plus crus, les expressions les moins dissimulées : le mot est censé renvoyer le plus directement possible à la chose et presque se substituer à elle. « Parle clairement, dit Antonia la prostituée au jeune innocent dans les Ragionamenti, et dis « foutre », « queue », « con » et « cul ». » Le curieux – on n'ose dire : l'effet pervers – d'un tel impératif de véracité est qu'il voue le texte pornographique à l'invraisemblance : sommé de multiplier les effets de réel, il voit son temps et son espace saturés d'une chair fragmentée à l'infini que l'auteur s'acharne à décrire dans tous ses états ; de cette époque – et ceci est une vraie nouveauté destinée à durer – date l'association de l'hyperréalisme des descriptions et de l'irréalisme des situations.
Le caractère doublement « réaliste » du texte pornographique (réalisme des descriptions, réalité de l'effet produit) ne pouvait que heurter de front un « dispositif de sexualité » (Michel Foucault) qui s'était considérablement renforcé depuis la fin du Moyen à ‚ge. Le xvie siècle inaugure le procédé du « reculottage » des œuvres peintes et sculptées qui sont ornées de draperies (c'est le cas du Jugement dernier), de feuillages, voire d'une simple feuille de vigne. Des techniques de contrôle des pensées et des conduites, « des procédés d'analyse et de mise en discours de la “concupiscence†[41] » sont mis en place par des directeurs de conscience obsédés par l'obscène. La Réforme et la Contre-Réforme se livrent à une surenchère dans la pudibonderie, les sectateurs de chaque camp accusant ceux d'en face de « licence infernale ». On se met à faire la chasse aux mots grossiers et « deshonnestes ». Les Passions et Mystères sont interdits car sujets à débordements orduriers. Les constructions étatiques en voie d'achèvement s'inquiètent des productions qui s'écartent d'une norme du bon goût fixée par elles [42].
Dans ce contexte, l'écrit pornographique, qu'il soit ou non accompagné d'images, apparaît particulièrement répréhensible. Le développement de l'imprimerie et les progrès de l'alphabétisation le mettent à la disposition d'un public plus large ; son alliance avec le roman lui confère les dangereux prestiges de celui-ci. Si le roman est accusé de détourner l'esprit de tâches plus essentielles et d'inciter à des comportements asociaux, que dira-t-on du roman pornographique ! Massillon, évêque de Clermont et prédicateur célèbre de la fin du règne de Louis XIV et des débuts de la Régence, met en garde, dans son Discours inédit sur le danger des mauvaises lectures, ceux qui prétendent lire ces « livres où la félicité des sens est représentée comme la félicité suprême, ces passions grossières qui ravalent l'homme jusqu'à la bête, comme des besoins naturels qu'il est légitime de satisfaire, sans que [leur] imagination ne prenne feu » [43]. On retrouve là , sous une forme nouvelle, la croyance et la crainte anciennes des autorités envers le pouvoir incitatif de la représentation.
Cette crainte les conduit à une répression très ferme des livres licencieux. En 1662, Claude Le Petit, auteur du Bordel des muses, ou les neuf pucelles putains a le poing tranché en place de Grève avant d'être étranglé sur le bûcher auquel la justice du roi l'a condamné ; « cette punition contiendra la licence effrénée des impies et la témérité des imprimeurs », écrit le lieutenant civil Daubray au chancelier Séguier [44]. Autre exemple célèbre, Fougeret de Montbron, auteur de Margot la ravaudeuse (1750) et qui s'est réfugié dans les Provinces-Unies est arrêté à la demande de l'ambassadeur de France à Amsterdam et transféré à la Bastille. « Malgré la relative mansuétude dont il sut faire preuve, le pouvoir n'hésita pas à condamner au carcan les colporteurs surpris avec des gravures et des livres obscènes et, en cas de récidive, à cinq ans de galère. La même condamnation fut appliquée aux imprimeurs. C'est du moins ce qu'énonce la déclaration du 10 mai 1728 [45]. »
La répression a des effets sur la pornographie, qu'elle contribue à construire comme genre. En la pénalisant, en la criminalisant, elle enferme ce type de littérature – devenue de « second rayon » – dans une sorte de ghetto culturel et la réserve à une élite masculine et lettrée ; elle fait de sa production, de sa commercialisation, de sa consommation autant de défis aux autorités politiques et religieuses ; elle induit des éléments de structure formelle aussi bien que des comportements particuliers. Interdits de vente, a fortiori d'exposition, les « mauvais livres », les « gravures maudites » sont fabriqués à la hâte, sans art, et débités à la sauvette ; le titre et la couverture doivent tout de suite renseigner l'acheteur potentiel, déclencher son désir d'achat. D'où ces frontispices aux images grossières, ces noms suggestifs et farfelus d'éditeur, ces titres surchargés d'informations sexuelles et qui, bien souvent, font référence à d'autres ouvrages du même type qui leur apportent la caution de leur réputation sulfureuse. Un véritable « patrimoine culturel pornographique » (Jean-Marie Goulemot) se met ainsi en place, en partie sous la pression des autorités policières, administratives, religieuses.
Les autorités font-elles malgré elles l'essentiel du succès de la pornographie à l'époque moderne ? Il serait imprudent de l'affirmer, cette littérature répondant trop évidemment à un besoin, en tout cas à une demande, pour n'être que l'enfant paradoxal d'une volonté répressive. Pour autant, ce succès est incontestable, surtout au xviiie siècle : en témoignent aussi bien le Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier (qui s'indigne de voir ces livres proposés dans les endroits les plus fréquentés de la capitale) que les archives des institutions de contrôle (direction de la Librairie, lettres de cachet), l'adaptation des textes pour un théâtre libertin strictement privé [46], les nombreuses réimpressions des œuvres interdites ou les références, plus ou moins voilées, qui leur sont faites dans la littérature autorisée.
C'est ainsi que deux périodiques très lus dans la bonne société, la Correspondance secrète, politique et littéraire de Métra et la Correspondance littéraire de Raynal puis de Grimm, signalent régulièrement la parution de ces ouvrages prohibés. De Thérèse philosophe, publié dans les années 1740 par le marquis d'Argens, la Correspondance littéraire écrit : « Cet ouvrage est sans goût, sans décence, sans sel, sans logique, sans style. On l'a orné de dix-huit estampes, dont quelques-unes sont très bonnes, d'autres très mauvaises, et toutes très lubriques. Ce livre se vend depuis un louis d'or jusqu'à cinq. Ces sortes d'ouvrages ont rarement un prix fixe » [47]. Condamnation ambiguà « , qui attire l'attention sur ce qu'elle devrait cacher et dénonce le mauvais livre en des termes propres à lui assurer la meilleure des publicités. La même ambiguà ¯té caractérise la position d'un Diderot, qui n'a pas de mots assez durs pour fustiger la « débauche » qui s'étale dans la peinture de Boucher et qui publie pourtant les Bijoux indiscrets. à ” Arétin, ta descendance n'est pas prête de s'éteindre !
La contradiction est en partie levée par la distinction que font la plupart de ces beaux esprits entre une littérature « grivoise » (ou « licencieuse ») et une littérature « obscène » (le langage actuel dirait : entre érotisme et pornographie). Autant celle-ci est condamnable, autant celle-là peut ménager d'heureuses surprises auxquelles un pouvoir éclairé ne devrait pas faire obstacle. C'est que les hommes de lettres, particulièrement les philosophes du siècle des Lumières, ont bien conscience qu'en s'en prenant au livre licencieux, les autorités visent aussi l'essai politique ou philosophique, confondus dans la même accusation de « libertinage ». Pour l'Église, les livres qui corrompent les esprits sont aussi dangereux que ceux qui excitent les sens ; les uns et les autres usent de la séduction de l'écriture pour détourner les chrétiens de leurs devoirs. Quant aux autorités policières et administratives, elles désignent par « livre philosophique » aussi bien des écrits politiquement séditieux, que religieusement douteux ou moralement pernicieux [48].
On ne saurait leur donner tout à fait tort. Il est de fait que nombre d'écrits licencieux ou franchement obscènes mêlent considérations philosophiques (et donc politiques et religieuses) volontiers matérialistes et scènes plus ou moins lestes. L'exemple le plus connu de ce mélange des genres est l'œuvre du marquis de Sade dont les héros ne s'arrêtent de « foutre » et d' « enconner » que pour se lancer dans de violentes dénonciations de l'ordre établi (quand ils s'arrêtent). Mais, à ce sujet, l'on ne saurait décider si la charge subversive de tels écrits réside davantage dans les discours proprement philosophiques dont ils ménagent à grande peine l'occasion ou dans le spectacle d'un désir déchaîné, de l'interchangeabilité des êtres et des corps, d'une sexualité masculine et féminine rompant avec toutes les conventions sociales, et en particulier avec les modèles familiaux qui se modifient sensiblement au xviiie siècle.
Gageons cependant que le plus préoccupant, pour les autorités politiques françaises de cette fin du xviiie siècle, restait les pamphlets, agrémentés ou non de caricatures, qui traînaient dans la fange et le stupre les personnes royales, tout particulièrement l' « Autrichienne », Marie-Antoinette, accusée de se livrer aux pires débauches. Ici s'observe un transfert de représentation intéressant, d'une femme et d'une Reine à une prostituée à qui l'on reconnaît et dénie tout à la fois le pouvoir d'incarner le pays. Ce genre d'ouvrage pornographique fleurit dans les années 1780 et, profitant de la levée à la fois des obstacles à la liberté d'expression (suppression de la censure, des privilèges liés à l'édition) et des tabous liés à la représentation du sacré (politique comme religieux) connaît sous la Révolution un bond quantitatif et qualitatif. Ce bond suffit-il à nous faire changer radicalement d'époque ? Nous ne le croyons pas, en dépit de l'importance des basculements politiques de la fin du xviiie, dans l'Ancien comme dans le Nouveau monde. L'Occident chrétien, sur le plan de la représentation de la sexualité, se survit à lui-même au cours d'un premier xixe siècle qui ne voit pas d'innovation majeure en ce domaine.
Pratiques et représentations de la pornographie contemporaine
Les grands changements interviennent plus tard, à la fin du xixe siècle. Leurs prémices, c'est entendu, sont apparues bien plus tôt et nous commencerons par les rappeler ; mais ces prémices ne se nouent entre elles et surtout n'acquièrent leur plein développement que plusieurs décennies après leur éclosion.
Ces prémices se repèrent d'abord dans l'expansion, au xviiie siècle, d'un marché du livre obscène et dans l'attention soucieuse que lui portent les autorités politiques. Nous avons mentionné les nombreux indices qui, en France – premier pays producteur et consommateur de pornographie – permettent de saisir cette inflexion. Lynn Hunt et Walter Kendrick en signalent d'autres, cette fois pour la Grande-Bretagne : les autorités civiles, tout au moins au niveau local, prennent des mesures pour expurger les classiques de toute allusion choquante ; la notion de « classique », dont le développement accompagne l'essor de l'éducation dans les classes moyennes aux xviiie et xixe siècles, suppose une moralisation du corpus littéraire. Exit, donc, les passages les plus scabreux de Pétrone, d'Ovide ou d'Aristophane ! La même époque voit enfler la littérature, « sociale » ou complaisante, sur la prostitution – Restif de la Bretonne réinvente le mot « pornographe » en 1769 dans cette acception – et apparaître des pratiques que Walter Kendrick a regroupées sous le terme de « musée secret » : des particuliers ou les pouvoirs publics rassemblent, dans des lieux fermés, des objets et imprimés qui ressortissent de l'obscène afin de les collectionner ou de les soustraire à la curiosité du public ; leur inventaire n'apparaît pas dans les catalogues mis à la disposition de ce même public [49].
Des entreprises de classification et de définition sont menées à bien qui délaissent les préoccupations politiques ou religieuses pour se soucier avant tout de l'ordre social et des « bonnes mœurs » [50]. Lynn Hunt signale ainsi le Dictionnaire critique, littéraire, et bibliographique des principaux livres condamnés au feu, supprimés ou censurés publié à Paris par Étienne-Gabriel Peignot en 1806, qui recoupe en partie la liste établie par le préfet de police Violette en 1800. Dans la langue française, « pornographique, pornographe, pornographie » dans le sens d'écrits ou d'images obscènes datent des années 1830 [51] et c'est en 1836 que se constitue la collection de l'Enfer de la Bibliothèque nationale, qui regroupe les ouvrages dont la lecture représente un danger pour la moralité publique.
Tous ces éléments témoignent assurément d'une conscience nouvelle de la spécificité et de la montée en puissance du fait pornographique ; l'une et l'autre, cependant, n'atteignent leur pleine mesure qu'à la fin du xixe siècle, avec des décalages sensibles, il est vrai, entre les pays qui composent l'aire culturelle considérée [52]. Le processus de sécularisation des sociétés européennes s'accélère et avec lui s'allège toujours davantage le poids de la référence religieuse ; un marché de la pornographie se développe qui refoule sur ses marges les préoccupations politiques ou philosophiques. La pornographie devient strictement commerciale et connaît, comme les autres branches de l'activité humaine, un développement industriel. Elle bénéfice d'avancées technologiques majeures : l'apparition de la photographie, dans les années 1840, constitue une rupture, comme l'invention du cinématographe à la fin du siècle. Il est remarquable que la pornographie se soit tout de suite saisie de ces innovations : parmi les premiers daguerréotypes figurent des nus et des scènes d'accouplement, et des films réalisés dans les années 1910 pour faire patienter les clients des maisons closes (ou les exciter davantage et ainsi accélérer la cadence, on ne sait) montrent des étreintes qui n'ont rien à envier à celles qui viendront plus tard [53].
Face à ce qu'ils ressentent comme un déferlement d'immoralité, des leaders d'opinion entreprennent de véritables croisades contre la « pornographie ». En 1895, le film Serpentine Dance fait un scandale… et un tabac aux États-Unis, en montrant une artiste exécutant la danse du ventre ; sous la pression des ligues de vertu, les censures locales parviennent à imposer en 1907 des barres parallèles sur le ventre et les seins qu'elles ne sauraient voir. En France, c'est le sénateur Bérenger, dit le Père la Vertu, qui mène le combat, groupant les ligues de moralité dans une « Fédération des sociétés contre la pornographie » qui tient son premier congrès national en mars 1905 à Bordeaux. Leur cible est moins cette production « vraiment sale » [54] qui se vend, très cher, sous le manteau – « elle n'empoisonne ni la jeunesse, ni l'ouvrier » [55] –, que la « licence des rues », pièces de théâtre qui mettent en scène l'adultère, journaux et almanachs grivois qu'on trouve en vente dans les kiosques et les gares, photos de nus académiques, cartes postales émoustillantes, etc. Pour l'abbé Lemire, qui prend la parole lors du congrès de 1905, « ceux qui ont fixé l'œil, arrêté le pinceau ou retenu le ciseau sur ces choses, n'ont pu le faire que pour une intention qui n'était pas bonne. (…) Le beau n'a pas le droit de se mettre au-dessus de la morale ou en dehors d'elle (…), la loi a le droit d'intervenir [56]. »
Voilà le hic, pour ces croisés de la vertu : le privilège exorbitant que l'art a conquis de haute lutte dans les sociétés occidentales. La loi de 1819 réprimant en France l' « outrage aux bonnes mœurs », pour ne prendre que cet exemple, laisse en dehors de son champ d'application les nus artistiques et scientifiques. Bon prétexte à dévergondage, s'indignent les uns ; liberté inaliénable clament les autres, qui mèneront le combat contre la censure au nom des droits sacrés de l'art. D'où l'accent mis par ces derniers sur la différence entre l' « érotisme », qui procède d'une intention artistique, et la « pornographie », qui en est dénuée, une distinction que refusent les pornophobes. Mais ce n'est pas là qu'affaire d'artiste. Articulée à une vision progressiste de l'histoire, la défense de l'érotisme rejoint le grand combat démocratique pour la liberté d'expression.
On comprend l'embarras des gouvernements. Issus eux aussi de ce combat démocratique, sensibles aux exigences de l'art, ils ne peuvent totalement supprimer la représentation du corps et même du sexe dans l'espace public. En même temps, liberté ne veut pas dire licence et il convient de veiller à ce que certaines bornes ne soient pas franchies. Le mieux serait que les artistes eux-mêmes, ou ceux qui se donnent pour tels, fassent leur propre police, de manière à ce que le gouvernement n'intervienne que dans les cas extrêmes. Et c'est bien ce qui se produit.
Aux États-Unis, par exemple, en 1920, l'État fédéral demande à William Hays de mettre au point un code de décence pour les films américains ; ce code servira de référence auprès de la profession qui gérera elle-même sa liberté surveillée. L'autocensure fonctionne également dans le cinéma français du début du xxe siècle : un cinéma « grivois et de caractère piquant » s'impose à lui-même des restrictions de contenu et d'exploitation : l'hétérosexualité y est de mise mais se cantonne à des caresses sans conséquence. Destiné à des « réunions amicales masculines et adultes », il est toléré à la périphérie des villes ou dans les galeries couvertes comme le Passage des Panoramas, dans le 9e arrondissement de Paris. Quant au cinéma « vraiment sale », il est condamné à la clandestinité : le café Richer (toujours dans le 9e) est le premier lieu public fermé pour avoir projeté un film pornographique, en l'occurrence un film homosexuel masculin et pédophile [57].
L'encouragement à s'auto-réguler ne doit pas masquer l'arsenal législatif et répressif dont disposent les États pour faire respecter l'ordre moral. De ce point de vue, les pays anglo-saxons se signalent par leur vigilance : on ne badine pas avec la morale puritaine ! Du coup, des écrivains interdits et censurés dans leur pays viennent en France, réputée plus libérale, s'y faire publier en anglais, comme Henry Miller (par The Obelisk Press), James Joyce (accueilli par Shakespeare and Company), D.H. Lawrence. Du moins jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale car, après, la législation française devient plus restrictive. En 1939, un décret-loi relatif à la famille et à la natalité française – classé, jusqu'en 1957, au chapitre sur la « protection de la race » – renforce les dispositions concernant l'outrage aux bonnes mœurs. Il sera complété en 1949 par la célèbre loi sur les publications destinées à la jeunesse [58] qui permet, en fait, de réprimer toute publication dont le contenu choque la morale moyenne en la privant de publicité et d'exposition ; ce n'est pas une censure ni même une interdiction, puisque l'imprimé peut vivre sa vie, mais c'est le condamner à une vie chétive, semi-clandestine, que peu d'éditeurs (Maurice Girodias, Jean-Jacques Pauvert, Régine Deforges, Eric et Pierrette Losfeld, quelques autres) osent assumer.
Cette loi suffirait à nous en convaincre, la grande préoccupation des censeurs, c'est la jeunesse. Réputée vulnérable, influençable, c'est elle qu'il faut en priorité protéger des mauvaises lectures ou des films pernicieux. Le pasteur Comte, en 1905, évoquait aussi les ouvriers – des enfants eux aussi, à leur manière, des gens dont l'absence d'éducation fait des proies faciles pour les tentations de tous ordres. On ne saurait affirmer, comme le fit Jean-Jacques Pauvert, que la censure s'acharne sur les œuvres lues par les enfants des classes supérieures parce qu'elles « risquent de miner les fondements mêmes du pouvoir » ; c'est tout le processus de démocratisation de la culture – et de sa composante érotico-pornographique – que double constamment le dispositif de régulation. Seule l'évolution des mœurs, qui déplace peu à peu la frontière séparant l'obscène du décent, fait tomber en désuétude les vieux tabous. Et cette évolution va être très rapide des années 1950 aux années 1970.
En novembre 1953, le jeune journaliste américain Hugh Hefner réinvente la presse de charme avec le magazine Playboy, qui passe de 70 000 à 900 000 exemplaires en quatre ans. En France, on ouvre des boîtes de strip-tease puis, en 1965, le premier sex-shop, bientôt suivi d'autres, qu'alimentent en revues, livres et objets divers des maisons de vente par correspondance. La France est un peu en retard sur l'Allemagne et plus encore sur la Scandinavie, qui fait figure de royaume enchanté du sexe depuis qu'elle inonde l'Europe de ses films naturistes. En octobre 1969 s'ouvre à Copenhague la première foire internationale de la pornographie. « Trois cents journalistes ont accouru pour visiter la cinquantaine de stands, la plupart scandinaves, qui exposent des échantillons de tout ce que compte la production du porno business de l'époque. Cinq jours durant, 50 000 personnes visitent cette jungle de godemichets, ces montagnes d'albums aux titres anglais et évocateurs : Anal Sex, Color Climax, Sex Action, Fucking, Lesbian 69, Male Triangle… [59] »
Le développement du porno business rencontre l'adhésion d'une frange croissante des populations occidentales, jeune, éduquée, sensible aux thèses de la « libération sexuelle », qui accède à la maîtrise de sa procréation et réclame le droit au plaisir. La création de revues de contact où s'expriment, avec de moins en moins de retenue, les désirs et les frustrations (la revue Union est créée en France en 1972) en est l'une des manifestations, le succès des œuvres de Wilhelm Reich, notamment la Révolution sexuelle – réédité en livre de poche par Christian Bourgois, qui publie aussi des classiques de l'érotisme – en est une autre. Il serait intéressant de déterminer avec précision la nature de la relation que l'on devine entre l'essor d'une culture de masse pornographique et l'activisme militant de groupes qui associaient libération sexuelle et révolution politique. Qu'une telle relation existe, au moins au titre des représentations, les réactions suscitées en France par la loi de 1975 qui institue le classement X des films pornographiques – et, on l'oublie parfois, des films « d'incitation à la violence » – l'indiquent assez clairement. Rappelons-en l'origine. Les années 1974-1975 enregistrent une hausse brutale du nombre de films dits pornographiques sur les écrans de l'hexagone. Les spectateurs ne se contentent plus des étrangers édulcorés (« films à la suédoise », « sexy music-hall » italiens et autres « Bavarois typiques »), ni même de l'érotisme chic d'Emmanuelle (plébiscité quand même par deux millions de spectateurs de juin 1975 à juillet 1976). Les fameuses « séquences additionnelles » apparues depuis peu en France, et qui « truffent » des films sans saveur de scènes épicées, ont donné au public le goût du hard-core. Les directeurs de salle veulent en tirer bénéfice et programment aussi souvent que possible des films aux titres suggestifs, qui tiennent pourtant rarement leurs promesses.
L'année 1975 marque un tournant : 43 films érotiques et pornographiques dépassent les 50 000 entrées ; le genre draine 25% de la fréquentation des salles obscures. Ce phénomène s'accompagne d'un début de reconnaissance publique. En mai, lors du festival de Cannes, est présenté pour la première fois un film pornographique, Exhibition, de Jean-François Davy, qui mêle une longue interview de l'actrice principale Claudine Beccarie aux extraits d'un de ses films précédents, les Jouisseuses. Le film est bien accueilli par les critiques, qui saluent un nouveau cinéma-vérité, et par le public : avec plus de 575 000 entrées – soit la première place du palmarès, tous genres confondus – Exhibition reste aujourd'hui encore le plus grand succès du cinéma X en France. En août se tient à Paris le « premier festival du film pornographique de Paris » qui récompense les films les plus originaux par des « zizis d'or » ; le milieu du porno croit accéder enfin à une légitimité qui lui a été longtemps refusée.
Mais il est trop tôt et le mouvement est allé trop vite, trop fort. Des voix s'élèvent pour dénoncer la « vague pornographique » qui déferle sur le pays et dont le cinéma n'est que l'une des composantes. Les églises s'émeuvent, les professionnels du cinéma « classique » s'inquiètent, certaines féministes s'indignent, les partis s'en mêlent, la presse fait chorus, il faut endiguer le flot d'images sales. Mais, dans ce pays de vieille tolérance qu'est la France – surtout quand il a sa tête un jeune président aux idées larges –, on ne peut tout bonnement interdire et censurer. D'où la loi du 30 décembre 1975 qui sépare les films pornographiques et ultra-violents des autres, les cantonne à un réseau de salles spécialisées, leur interdit toute publicité, les taxe à hauteur de 20% de leurs bénéfices, sans oublier la TVA au taux majoré, la taxe forfaitaire de 300 000 francs si les films sont de provenance étrangère et, bien sûr, l'interdiction aux moins de dix-huit ans, nouvelle majorité légale.
Les réactions sont très vives, et pas seulement parmi les professionnels du porno. Une partie de la gauche – non communiste – qui a voté contre le texte de loi, organise une manifestation de protestation au Trocadéro. Une frange de l'intelligentsia progressiste s'engage aux côtés des réalisateurs de films pornographiques, notamment à l'occasion du procès fait à l'Essayeuse de Serge Krober – qui voit sa pellicule détruite sur décision de la 17e Chambre correctionnelle de Paris. La revue d'art contemporain Art Press intitule son numéro de janvier/février 1976 « Pour la pornographie ? » et publie les réponses à un questionnaire envoyé à une centaine de personnalités, écrivains, artistes, philosophes… Toutes ne sont pas favorables à « la porno », comme on dit à l'époque (on ne dira « le porno » que dans les années 1980), mais la tonalité générale est hostile à la loi, dont on dénonce l'arbitraire, le flou des critères, les partis pris de la Commission de contrôle qu'elle met en place. Le lien entre libération sexuelle, pornographie et combat politique est souvent fait, notamment dans l'éditorial de la revue, signé de sa directrice Catherine Millet, très optimiste sur l'avenir de la pornographie malgré la répression :
« Dès que la vague de réaction (bien naturelle, faut pas rêver !) se sera aplanie, qu'à nouveau on achètera son hebdomadaire porno dans le premier kiosque venu, que la porno sera redevenu un genre cinématographique parmi d'autres, que l'on baignera dedans comme on baigne dans la télé et les campagnes électorales, à quelle formidable prise de conscience on assistera ! Souvenez-vous en 68, ce qu'il a fallu de grèves et de barricades, de discours et de pavés pour que l'on commence à enregistrer que tout est politique. La pornographie, proliférante, censurée et redoublante, va commencer à faire entrevoir que tout est sexualité [60]. »
Cette prédiction a-t-elle reçu un début de réalisation ? La place nous manque pour faire plus qu'esquisser l'évolution de la pornographie la plus contemporaine mais on peut en douter. Si la pornographie – intégrée dans l'ensemble beaucoup plus vaste de l'imagerie sexuelle – n'a effectivement pas cessé de « proliférer » au point de se banaliser, ses principaux caractères sont bien éloignés de l'harmonie retrouvée dépeinte par Catherine Millet. La révolution sexuelle n'a pas eu lieu, ou pas celle que prévoyaient ses militants les plus politisés. « On est passé de la communauté à la cellule, du grand prosélytisme libérateur au huis clos libertin. Telle est la mutation historique et sociale qui a dominé les vingt dernières années [61] » Cette évolution s'est trouvée facilitée par l'apparition de nouveaux médias, la vidéo, qui prend le relais du cinéma au début des années 1980, le numérique, qui se développe dans la décennie suivante. L'expérience pornographique se déroule dans un cadre privé, voire solitaire, même si parallèlement se sont épanouies des formes de convivialité autour de l'exhibition de l'intime. L'autre effet de l'essor de ces nouveaux médias a été de renforcer l'emprise du visuel sur le champ des signes, où s'est imposé un certain code et de l'acte sexuel et de sa représentation : réduction de la sexualité au génital (épilé), fragmentation des corps par l'usage du gros plan, figures imposées de la fellation et de la sodomie, amalgame du sexe et de la violence… La question de l'influence de ces codes sur les autres domaines de la représentation (art contemporain, cinéma classique), sur l'imaginaire amoureux et sur les comportements a été posée avec insistance, ces dernières années. Nous ne nous immiscerons pas dans ce débat complexe, sinon pour relever l'étonnante absence de mémoire qui caractérise certaines prises de position. Comme si, par exemple, le problème de l'incitation par la représentation datait de l'ère vidéo-numérique.
C'est tout l'intérêt de la démarche historienne que de mettre en perspective les questionnements les plus contemporains, d'en retracer la généalogie. La pornographie est un bon exemple de l'historicité essentielle des phénomènes humains. Le mot apparaît dans l'Antiquité latine, disparaît avec le Moyen à ‚ge chrétien, réapparaît au siècle des Lumières et désigne jusqu'à nos jours des réalités diverses dans une même séquence temporelle et changeantes sur plusieurs séquences, du simple nu à la monstration close-up de l'acte sexuel. Pour autant, le scandale ou, pour le dire autrement, l'écart à la morale moyenne que constitue la représentation du corps et de ses gestes les plus intimes, est une constante de la civilisation occidentale comme le démontre, aussi, une histoire culturelle de la pornographie.
[1] Xavier Deleu, Le Consensus pornographique, Paris, Mango Document, 2002.
[2] Sciences Humaines, 130, août-septembre 2002.
[3] Dans un contexte contemporain, la pornographie désigne toute représentation explicite de l'acte sexuel conçue dans le but de susciter une émotion sexuelle.
[4] Laurent Guyenot, Le Livre noir de l'industrie rose. De la pornographie à la criminalité sexuelle, Paris, Imago, 2000.
[5] Joan Hoff, « Why is there no History of Pornography ? », in Susan Gubar et Joan Hoff ed., For Adult Users Only, the Dilemma of Violent Pornography, Indiana University Press, 1989.
[6] Lynn Hunt ed., The Invention of Pornography, Obscenity and the Origins of Modernity, 1500-1800, New York, Zone Books, 1996 (1re éd. 1993).
[7] Michel Foucault, Histoire de la sexualité, Paris, Gallimard, 1976-1984, 3 t. (voir en particulier le tome 1, la Volonté de savoir).
[8] Jean-Marie Goulemot, Les livres qu'on ne lit que d'une main, lecture et lecteurs de livres pornographiques au xviiie siècle, Paris, Minerve, 1994.
[9] "De l'obscène et de la pornographie comme objets d'études", Cahiers d'histoire culturelle de l'université de Tours, 5, 1999
[10] Antoine de Baecque « The « Livres remplis d'horreurs » : Pornographic Literature and Politics at the Beginning of the French Revolution » dans Peter Wagner ed., Erotica and the Enligthnement, Frankfurt, 1991.
[11] Annie Stora-Lamarre, L'Enfer de la IIIe République, censeurs et pornographes, 1881-1914, Paris, Imago, 1990.
[12] Cf. notamment Jean-Claude Schmitt, Le Corps, les rites, les rêves, le temps, essais d'anthropologie médiévale, Paris, Gallimard, 2001.
[13] Cette hypothèse répond à une nécessité pratique et théorique : pratique puisque notre connaissance des sources et de la bibliographie, déjà très imparfaite pour l'Occident (défini sommairement comme l'aire culturelle d'Europe et d'Amérique), est totalement déficiente pour les autres aires culturelles, théorique car il est douteux que l'histoire de la pornographie s'écarte beaucoup de celles du regard, du corps, de l'image, de l'obscène, dont beaucoup d'auteurs ont déjà mis à jour les caractères propres à cette aire culturelle.
[14] Une question importante, trop importante pour que nous fassions ici plus que la signaler, est de savoir si ces trois ensembles sont bien trois moments de la même civilisation occidentale ou trois civilisations différentes
[15] Amy Richlin ed., Pornography and Representation in Greece and Rome, Oxford University Press, 1992.
[16] Deipnosophistae, 13.567b
[17] Voir Molly Myerowitz, « The Domestication of Desire : Ovid's Parva Tabella and the Theater of Love », dans Amy Richlin ed., op. cit. p. 131-157.
[18] Il en est de même des fresques qui décorent certaines des maisons de Pompéi ou les pièces de la villa Farnèse à Rome, même si tout porte à croire qu'elles étaient moins rares que ne le laisse supposer ce qui en subsiste.
[19] Voir Robert Sutton, « Pornography and Persuasion on Attic Pottery », dans Amy Richlin ed., op. cit. p. 3-34.
[20] H.A. Shapiro « Eros in love : Pederasty and Pornography in Greece », dans Amy Richlin ed., op. cit. p. 53.
[21] Cit. par Molly Myerowitz, op. cit. p. 135.
[22] Ibid. p. 136.
[23] Voir par exemple Susanne Kappeler, The Pornography of Representation, University of Minnesota Press, 1986.
[24] Rapport qui distingue, pour son malheur, l'auteur célèbre de textes licencieux du producteur anonyme d'images de grande diffusion.
[25] Cf. François Lissarague, Un flot d'images, une esthétique du banquet grec, Paris, Adam Biro, 1987. Pour une vue plus générale et « médiologique » : Régis Debray, Vie et mort de l'image, une histoire du regard en Occident, Paris, Gallimard, 1992.
[26] Amy Richlin, op. cit. p. xxi
[27] Jean-Claude Bologne, Histoire de la pudeur, Paris, Perrin, 1986, p 188. L'auteur signale des scènes équivoques dans les églises de Courpiac, Verac, Payroux, Saint-Germain-l'Auxerrois. Pensons aussi à certaines scènes de la Tapisserie de Bayeux, ainsi qu'à toutes les représentations recensées en 1975-1976 par les lecteurs du Canard enchaîné et publiées par l'hebdomadaire satirique sous la rubrique « porno sacré » – clin d'œil vengeur à la loi instituant le classement X..
[28] A Jean-Claude Bologne pour qui « l'art, comme la cathédrale, comme le monde, forme un tout au Moyen à ‚ge. Il n'y a pas, par exemple, d'art obscène, de littérature érotique, de dessins licencieux » s'oppose Jean-Marie Goulemot qui parle de la littérature pornographique comme d'un « phénomène européen au Moyen à ‚ge », et qui le restera à la Renaissance et durant l'à ‚ge classique, citant, parmi les exemples de cette littérature, le Chevalier qui savait faire parler les cons. Un travail de grande ampleur sur cette question devrait s'attacher en priorité à éclaircir ce point.
[29] Pour la distinction entre corps et chair, voir Jean-Claude Schmitt, op. cit. p. 345-346.
[30] Cf. M. Durliat, L'art roman, Paris, Mazenod, 1982.
[31] Cf. sur ce point les deux volumes de L'univers des formes : A. Chastel, Le Grand Atelier, Italie 1460-1500 et L. Heydenreich / G. Passavant, Le temps des génies (Gallimard 1965 et 1974).
[32] Jean-Claude Bologne, op. cit. p. 195.
[33] Dans la version primitive, seul le Christ est – très légèrement – vêtu.
[34] Cit. par Jean-Claude Bologne, p. 197. L'Arétin critique l'indécence des personnages et l'absence des symboles traditionnels par quoi se signalaient les anges et les saints (auréoles, ailes etc.) Un autre critique, Gilo da Fabriano, accusa Michel-Ange de n'avoir pas approprié le sujet et l'exécution : au Jugement Dernier, l'homme doit être « sanglant, laid, déformé, affligé, consumé et mort ».
[35] Lynn Hunt, op. cit., p. 26
[36] Jean-Claude Bologne, op. cit., p. 197.
[37] Lynn Hunt, op. cit., p. 26.
[38] Citons en particulier L'école des filles ou la philosophie des dames (anonyme), Vénus dans le cloître ou la religieuse en chemise, attribué à l'abbé Duprat, Le rut ou la pudeur éteinte de Pierre Corneille de Blesse-Bois, L'académie des dames de Nicolas Chorier. La pornographie qui était italienne au xvie siècle, devient française au xviie siècle, ce qui est un signe comme un autre de la vitalité de la culture française dans l'Europe classique…
[39] L'Histoire de Dom Bougre, portier des Chartreux, attribué à Gervaise de la Touche, Margot la ravaudeuse de Fougeret de Montbron, Thérèse philosophe, par le marquis d'Argens, Fanny Hill de John Cleland sont les plus connus.
[40] Jean-Marie Goulemot, op. cit.
[41] Michel Foucault, op. cit. p. 153.
[42] Cf. notamment Norbert Elias, La civilisation des mœurs et La dynamique de l'Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1973 et 1975.
[43] Jean-Marie Goulemot, op. cit. p. 147.
[44] Bernard Joubert, Anthologie érotique de la censure, Paris, La Musardine, 2001.
[45] Jean-Marie Goulemot, op. cit., p. 36.
[46] L'une des nombreuses expressions d'une sensibilité pornographique dont il conviendrait de suivre le fil jusqu'aux théâtres porno et autres peep-shows contemporains en passant par les théâtres érotiques du xixe siècle.
[47] Jean-Marie Goulemot, op. cit., p. 75.
[48] Cf. Robert Darnton, Édition et sédition : l'univers de la littérature clandestine au xviiie siècle, Paris, Gallimard, 1991.
[49] Walter Kendrick, The Secret Museum : Pornography in Modern Culture, New York, Penguin, 1987.
[50] Non sans hésitation : en France, la loi de 1819 qui réprime l'outrage aux « bonnes mœurs » réprime également l'outrage à la morale publique et à la religion.
[51] En Angleterre, le mot « pornography » apparaît pour la première fois dans l'Oxford English Dictionary en 1857, et la plupart des variantes anglaises du mot (pornographer et pornographic) datent du milieu ou de la fin du xixe siècle.
[52] La fin du xixe siècle enregistre un recul relatif de la France sur le marché de la pornographie européenne et l'émergence de pornographies nationales. Un développement intéressant de cette étude serait la comparaison systématique de ces pornographies, qui aurait notamment pour objectif d'évaluer le poids des stéréotypes nationaux.
[53] Le Centre Pompidou en avait montré un échantillon représentatif dans le cadre d'une programmation spéciale en 2002.
[54] Selon l'expression du pasteur Louis Comte, secrétaire général de la Ligue française pour le redressement de la moralité publique.
[55] Un ouvrier sur la vertu duquel veille jalousement l'avant-garde révolutionnaire qui, sur ce point, fait cause commune avec les conservateurs. La pornographie est aliénante, perverse, et ne convient qu'à une bourgeoisie dégénérée. Cf. Cahiers d'histoire culturelle, op. cit., p. 8.
[56] Bernard Joubert, op. cit., p. 67.
[57] Cf. Martine Boyer, L'écran de l'amour, cinéma, érotisme et pornographie, 1960-1980, Paris, Plon, 1990, p. 167.
[58] Cf. l'article de Thierry Crépin et Anne Crétois. Thierry Crépin et Thierry Groesteen ed., « On tue à chaque page », la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, Paris, éd. du Temps, 1999.
[59] Roger Faligot et Rémi Kauffer, Porno business, Paris, Fayard, 1987, p. 178.
[60] Catherine Millet, Art Press, 22, janvier-février 1976.
[61] Gérard Lenne, Érotisme et cinéma, Paris, La Musardine, 1998, p. 341.