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Comptes rendus

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Article paru dans L’Humanité du 1er avril 2004

Entretien. Dialectique du quotidien et de l’organisation politique

Responsable du laboratoire d’histoire contemporaine de l’université de Bourgogne, Serge Wolikow s’est particulièrement intéressé à la figure de Marcel Cachin.

Votre laboratoire d’histoire contemporaine, à l’université de Bourgogne, coorganise le colloque sur l’histoire de l’Humanité. Dans quelles perspectives ?

Serge Wolikow : Le laboratoire d’histoire contemporaine que je dirige travaille sur le mouvement ouvrier en France. Aussi, des études y sont-elles développées sur le lien entre la presse et les courants politiques, comme sur la structuration de ce que l’on pourrait appeler le débat d’idées ou le débat politique dans ce pays. Or, l’Humanité tient dans ce champ de travail un rôle tout à fait central. C’est donc par ce biais que nous avons été amenés à réfléchir notre participation au colloque. Nous apportons à la discussion plusieurs contributions, chacune se référant à un aspect de cette double problématique. Le journal fondé par Jaurès, pour rester fidèle à ses objectifs premiers, à savoir être un journal d’opinion accessible au plus grand nombre, a été obligé de s’adosser à une organisation politique solide. Alexandre Courban va expliquer comment et pourquoi l’Humanité est ainsi passée du socialisme au communisme. Mais cet adossement, cet appui ont créé une tension, devenue par suite constitutive de la dynamique de l’Huma. Le journal s’est en effet appuyé sur une organisation dont il est très vite devenu l’organe de représentation : dans l’entre-deux-guerres, le Parti communiste compte quatre à cinq fois moins d’adhérents que l’Humanité de lecteurs. C’est le premier moment. Mais, après la Seconde Guerre mondiale s’effectue un renversement, l’organisation des communistes devient puissante et le journal passe à un rôle de prolongement de son activité politique. Cette dialectique du rapport entre l’Humanité et le Parti, tout à fait intéressante, aide à comprendre le fonctionnement même du journal. Elle est envisagée par deux contributions. À la lumière du travail de dessin caricatural antiaméricain mené par l’Humanité dans les années cinquante, c’est l’apport de Christian Beuvain ; par la communication de Frédéric Genevée, dont la thèse porte sur l’attitude des communistes face à la répression. Il y a enfin deux autres problématiques qui nous intéressaient, auxquelles le journal a été tout de suite confronté, que l’on peut lier : la question du rapport du journal, et des publications qui l’accompagnent, avec le lectorat ; celle de la difficile conjugaison d’une volonté rédactionnelle critique et l’attente des lecteurs en ce qui concerne l’information en général, mais aussi l’information sportive, des faits divers, etc. Ces deux problématiques font l’objet de deux autres tribunes. Anne-Claude Ambroise-Rendu va intervenir sur les faits divers et Jean Vigreux parlera de la manière, grâce à la Terre, dont les communistes se sont adressés à la paysannerie.

Vous avez donc opté pour une approche de l’Humanité que l’on pourrait qualifier d’extérieure au processus même du journalisme.

Serge Wolikow : Si l’on essaie de faire l’histoire ancienne de ce journal, on se trouve immédiatement face à la difficulté des archives. Au-delà de l’Humanité, c’est la conservation des archives de la presse qui fait d’ailleurs problème. Pour la période récente, c’est plus facile. On peut associer à la recherche ceux qui fabriquent un journal, à différents niveaux. Mais cette démarche est encore balbutiante. Raison pour laquelle si le colloque enregistre un regain d’activité autour de l’histoire de l’Humanité, celle-ci reste surtout axée sur son rapport à la population, au Parti et sur le contenu éditorial, ce que produisent les journalistes, ce que les lecteurs peuvent lire. Je peux illustrer ce problème d’archive à partir de ma propre contribution sur Marcel Cachin. Dirigeant politique, militant, et directeur de l’Humanité. Or nous avons très peu de documents sur cette longue et importante période de son existence.

À propos de Marcel Cachin, justement. Une figure dans laquelle nous retrouvons beaucoup des tensions, sinon des contradictions, inhérentes à la direction d’un tel journal : action politique et journalisme, obligation d’un contenu rédactionnel critique vis-à -vis du système capitaliste et nécessité d’informer sur le sport, les jeux...

Serge Wolikow : Ici encore la fonction, en quelque sorte, forme l’homme. La plupart des directeurs de l’Humanité n’étaient pas hommes de presse avant leur prise de responsabilité. Arrivant au journal ils en découvrent les multiples contraintes : financières, économiques, de parution, de diffusion. Et ces hommes s’identifient très vite au journal. Au point que leur forme principale d’identité politique au sein même de l’organisation finit par se confondre au journal. Cachin est l’exemple même de cela. Dans ses carnets, on remarque ainsi que, non seulement, il note presque chaque jour le tirage du journal, mais qu’il prépare toutes ses interventions publiques en croisant les préoccupations du Parti et celles du journal. Marcel Cachin est particulièrement intéressant en cela que c’est lui qui assure la transition entre l’Humanité du socialisme et l’Humanité du communisme. En l’étudiant, on s’aperçoit qu’il y a des éléments de continuité très forts entre ces deux étapes de la vie du journal, permis certainement par la longévité politique, et tout simplement existentielle de Cachin.

Entretien réalisé par J.-A. N. © Journal l’Humanité

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/Entretien-Dialectique-du-quotidien.html