15 - Justice(s)
Jean-Yves Mollier
Dreyfus au bagne ou comment briser les prisonniers politiques ?
Le Temps des médias n°15, automne 2010, p. 180-191.La condamnation d’Alfred Dreyfus à la déportation dans une enceinte fortifiée située hors du territoire continental, peine qu’il effectua à l’île du Diable, au pays de la « guillotine sèche », la Guyane, marqua l’opinion publique internationale à la fin du XIXe siècle. Elle devint même le symbole de l’iniquité d’une raison d’Etat frappant à l’aveugle une victime innocente. Au-delà du cas personnel de celui qui devint le héros involontaire de « l’Affaire », c’est toute l’histoire de la déportation politique, des lendemains de la Révolution française à nos jours, que l’on entend retracer ici. Qu’il s’agisse en effet des victimes de la répression politique qui s’abattit sur les républicains enfermés dans les casemates du Mont-Saint-Michel avant 1830, de leurs frères de 1848-1849 transférés à Belle-Ile-en-Mer, des déportés aux îles Marquises, en Guyane, en Algérie ou en Nouvelle-Calédonie des années 1851-1876, le but de la condamnation est le même : faire peur, briser le moral des politiques et ôter toute envie à leurs partisans de les imiter. Dreyfus échappa à la mort parce que cette pénalité avait été supprimée en 1848 mais son transfert au large de la Guyane à la sinistre réputation relevait de l’intention délibérée de le voir y mourir. La presse ne s’y trompa pas qui décrivit l’horreur du « bagne », par un trompeur effet d’assimilation de la peine infligée avec celle des condamnés de droit commun, et c’est cette influence des médias sur l’inculcation d’un imaginaire de la prison que l’on s’efforcera d’appréhender dans cet article.