Mémoires et thèses
COMBY Jean-Baptiste, Créer un climat favorable. Les enjeux liés aux changements climatiques : valorisation publique, médiatisation et appropriations au quotidien, sous la direction de Rémy Rieffel, Thèse en Sciences de l’information, Univ. Paris II Panthéon-Assas, 2008.
En France, au début des années 2000, les changements climatiques commencent à devenir un problème qui compte. Ce qui rend possible cette valorisation publique relève de logiques qui conduisent des agents issus d’univers sociaux divers à s’investir dans un travail politique et collectif de "sensibilisation". Cet impératif qui vise à rendre sensible pour faire prendre conscience, se traduit par une dépolitisation du problème climatique. Il l’individualise en ce qu’il rend surtout visible les responsabilités domestiques. Il l’indifférencie en ce qu’il obscurcit les inégalités sociales de contribution et d’exposition au problème. Il le consensualise en ce qu’il disqualifie les controverses à propos de la responsabilité des comportements individuels. Du point de vue de la production de l’information, cela se traduit par un traitement qui se focalise sur les conséquences du problème climatique plutôt que sur ses causes. La transformation sociologique du groupe de journalistes spécialisés "environnement" au cours des années 1990 favorise ainsi un traitement déconflictualisé des enjeux climatiques. Face à ce dispositif de publicisation, les individus, dotés de dsipositions inégales, se positionnent différemment. D’une part, ils se distinguent en pratique puisqu’en fonction de leurs ressources matérielles, ils ont une propension inégale à émettre des gaz à effet de serre. D’autre part, l’intérêt aux économies d’énergie (et au-delà aux enjeux climatiques) ne revêt ni le même sens, ni la même portée selon qu’il est motivé par des soucis distinctifs de vertu civique ou bien contraint par la nécessité de ne pas trop dépenser. En somme, la sociologie du problème climatique met au jour ses réalités sociales et politiques, là où d’ordinaire, on invite à n’y voir que des faits naturels et individuels.
Pour en savoir plus : Position de thèse de Jean-Baptiste Comby parue dans Le Temps des médias, n°12, 2009, p. 231-232.
Comment expliquer les rapports différenciés que des individus socialement situés entretiennent sur un plan symbolique et pratique avec le problème des changements climatiques ? Pour répondre à cette question de départ, la thèse se nourrit de trois terrains indissociables. Tout d’abord, une enquête par entretiens au sein des différents univers sociaux qui interviennent dans la construction publique du problème climatique. Ensuite, une analyse du traitement de ces enjeux au sein des journaux télévisés du soir de TF1 et France 2 entre 1997 et 2006, qui s’appuie sur une sociologie des journalistes en charge de l’environnement. Enfin, douze entretiens collectifs adossés à des données quantitatives de seconde main permettent de révéler les logiques qui gouvernent les appropriations quotidiennes des visions les plus accessibles du problème.
L’articulation de ces matériaux, dans une sociologie des problèmes publics appréhendés « par le haut » et « par le bas », met au jour des mécanismes de domination symbolique. Les définitions récurrentes des problèmes climatiques, lorsqu’elles incitent chacun à prendre en main l’avenir de la planète, génèrent des asymétries entre les groupes sociaux exposés à ces normes. Si tout le monde peut reconnaître, à l’occasion d’un sondage, que l’environnement est une chose importante, les capacités à civiliser (au sens de Norbert Elias) ses pratiques sous l’égide de la contrainte écologique demeurent inégales. Pour les groupes les mieux dotés en ressources scolaires et matérielles, les injonctions prescriptives de bonnes conduites donnent l’opportunité de se distinguer en faisant valoir des attitudes civiques et maîtrisées envers l’environnement. À l’inverse, les plus démunis se départissent rarement des cadrages médiatiques dominants et « avouent » modifier leurs comportements moins pour des raisons écologiques qu’économiques. Ces effets de distinction sont redoublés par des niveaux de contribution au problème là encore inégaux. Ainsi, ceux qui se « targuent » d’intégrer la norme environnementale à l’organisation de leur quotidien sont aussi ceux qui ont le plus de propension à émettre des gaz à effet de serre. Pourtant, rien n’invite à penser ces différences souvent reléguées aux marges des appareils statistiques susceptibles de les identifier.
Plus exactement, l’invisibilisation de ces rapports différenciés participe de l’accès du problème climatique au rang de question qui compte. Elle autorise la définition de dispositifs incitatifs d’autant plus légitimes qu’ils « ciblent » des comportements appréhendés au prisme de taxinomies génériques (« les Français », « les citoyens », « les ménages », etc.). Ainsi, la valorisation de ces enjeux dans les médias s’est imposée avec d’autant plus de force que la responsabilité du problème était attribuée aux particuliers. Ces derniers doivent en effet profiter d’une situation d’information pure et parfaite jugée indispensable pour qu’ils adoptent des « modes de vie » écologiquement rationnels.
En neutralisant les responsabilisations alternatives et ceux qui les soutiennent, la rhétorique de la responsabilité individuelle ne bouscule pas d’intérêts organisés. L’unité d’intervention pertinente est un individu sans profondeur sociale et dont la parole sur ces questions est maîtrisée via les enquêtes d’opinion. Dès lors, l’investissement des scientifiques, des associations et des journalistes dans le problème climatique consiste surtout à participer à un effort collectif de « sensibilisation ». Il faut rendre sensible des enjeux perçus comme diffus de manière à faire prendre conscience. Par exemple, plus les journalistes parlent des changements climatiques, plus ils parlent des conséquences de ces dérèglements au détriment de leurs causes notamment. De même, les points de vue qui nuancent l’idée d’un consensus scientifique sur tous ces enjeux ou les aspects qui relèvent de l’adaptation au problème pénètrent rarement l’espace du dicible sur la question climatique. Celui-ci se révèle au final bien structuré par les exigences de la communication « grand public » qui imprègnent toujours plus les divers espaces sociaux où se construisent les problèmes publics.
Jean-Baptiste Comby
En savoir plus : http://corail.sudoc.abes.fr/DB=2.1/SET=13/TTL=1/SHW?FRST=2