02 - Publicité, quelle histoire ?
Colloques et journées d’études
Le Temps des médias n°2, printemps 2004, p.244-250
Hommes de médias, hommes de culture, de 1945 à nos jours
L'originalité de la journée du 19 décembre 2003 à l'INA résidait à la fois dans la forme de la rencontre et dans le thème choisi par les organisateurs (Agnès Chauveau et Christian Delporte). Il s'agissait d'étudier les relations entre les médias et la culture à travers la confrontation des chercheurs et des professionnels des médias.
La matinée était réservée aux études portant sur la presse écrite. Dans le domaine de la culture littéraire, Patrick Eveno a souligné la filiation entre les feuilletons du Temps et les suppléments du Monde. Au sein de ces publications, Patrick Kechichian a souligné, en réponse, la spécificité de l'origine culturelle de celui qui tient le feuilleton (il est « critique littéraire » lorsque les autres membres de la rédaction sont « rédacteurs journalistes »). Passant aux mobiles de la critique, Laurent Martin a montré que les jugements de Francis Jeanson héritaient, à la fois, de son engagement citoyen et de son expérience d'homme de théâtre et de cinéma. Ses choix étaient souvent plus politiques qu'esthétiques. À France-Observateur, étudié par Philippe Tétart, les deux registres se mêlaient, dans la perspective de créer un journal, guide culturel. Enfin, à travers l'exemple du Figaro littéraire, c'est la culture historique transmise qui a été analysée par Claire Blandin, puis par Alain-Gérard Slama.
Le partenariat avec l'INA a permis la diffusion de nombreux extraits, audiovisuels ou sonores, lors de l'après-midi consacrée à la radio et à la télévision. Yannick Dehée, assisté par Jean-Jacques Bernard, s'est interrogé sur la place de la culture cinématographique à la télévision française. Rappelant la coà ¯ncidence de la naissance de la télévision et de la cinéphilie en France, la diversité des émissions qui se sont succédé en quarante ans, ils n'ont pu que constater l'abandon actuel de tout projet pédagogique dans ce domaine. Seules les chaînes du câble permettent parfois l'ouverture vers d'autres cinémas ou vers des discours sortant du promotionnel.
« Lectures pour tous » reste sans doute, dans l'imaginaire collectif, comme l'émission ayant porté la culture littéraire à l'écran. Sophie de Closets a souligné qu'elle fut un espace d'innovation pour une équipe d'hommes cultivés, porteurs d'un langage audiovisuel nouveau, tandis que Pierre Dumayet, lui, a revendiqué la notion d'amateurisme, en se félicitant de la liberté qu'il offrait. Il a sans doute permis de saisir un peu de la personnalité d'écrivains peu préparés à l'exercice, dont Dumayet prenait le temps d'écouter les paroles et les silences.
C'est que la question de la médiation de la culture est bien centrale. Karine Le Bail a montré comment elle faisait évoluer la programmation de France-Musique(s). Ses auditeurs lui reprochent, en effet, tantôt de « trop parler », tantôt de ne pas être assez pédagogique. Directeur adjoint de la station, Olivier Morel-Maroger a confirmé les nouvelles difficultés posées dans ce domaine par l'explosion de l'offre, soulignant aussi que la radio reste l'outil le plus adapté à l'appréhension du langage de la musique.
Si elle n'a, bien sûr, pas fait le tour de la question posée, cette journée a donné lieu à des débats riches et foisonnants. On peut donc souhaiter qu'aboutisse le projet des organisateurs de renouveler la rencontre l'an prochain sur « Livre, littérature et médias ». La formule des regards croisés des chercheurs et des hommes de médias s'est révélée très intéressante. L'étude du domaine culturel confirme, pour la presse écrite, le processus de professionnalisation et la rupture entre les milieux journalistiques et littéraires. Mais elle montre aussi la montée en puissance d'un journalisme de compte rendu, centré sur l'actualité de la production culturelle. La culture quitterait donc le divertissement pour se rapprocher de l'information. La radio et la télévision ont, elles, mis en place une méditation nécessairement plus consensuelle que celle de la presse écrite. Mais elles cherchent toujours à jeter des ponts entre la culture du petit nombre et celle de la masse du public.
Claire Blandin
Nouvelles pratiques d'information : extension ou dérive du journalisme ?
Ces journées d'études des 24 et 25 octobre 2003 s'inscrivent dans le cadre du programme de recherche « Hybridation et création des genres médiatiques : réalités, représentations et usages des transformations de l'information », mené par un réseau de chercheurs appartenant à des laboratoires situés en France, au Canada, au Brésil, et à La Réunion.
La démarche est fondée sur l'élaboration d'une problématique commune (encadrée par R. Ringoot et J.-M. Utard) et sur des études de terrains différents réalisées par des équipes pluridisciplinaires. Initiée à Lannion (ONTICM/CRAPE) en 2001, sous l'impulsion de F. Demers, à l'issue du programme consacré à la presse en ligne [1] piloté par D. Ruellan, cette recherche donnera lieu à plusieurs publications (premier volume en septembre 2004). Les journées de Strasbourg accueillies par le GSPE ont été précédées par d'autres réunions organisées, de janvier 2002 à mars 2003, par les membres des structures impliquées : Médias et identités (F. Rebillard, Lyon), le CELSA (V. Jeanne-Perrier), le Laboratoire de journalisme de l'Université Laval de Québec (F. Demers), le GRAM (Paris). Les prochaines rencontres se dérouleront en septembre 2004 à Lannion à l'occasion du colloque « Genres journalistiques : savoirs et savoir-faire », et à Aix (D. Augey, CAE).
L'enjeu de ce travail coopératif est de rendre compte du journalisme à travers la métamorphose des genres journalistiques étudiée dans une perspective socio-discursive. Partant du postulat que le journalisme n'a jamais eu l'homogénéité qui lui est généralement attribuée, les chercheurs se proposent de montrer que les transformations qui l'affectent ne sont pas des formes de dilution dans des pratiques communicationnelles qui lui seraient étrangères, mais le résultat d'une dynamique propre à la pratique journalistique elle-même. Alimentée par les travaux questionnant les genres journalistiques, la notion de genre discursif, les genres de journalistes et de journalismes, la réflexion a permis de définir les genres comme ensembles de règles qui régissent la pratique discursive des journalistes, cette pratique étant elle-même conçue comme interaction entre différentes contraintes. Les mutations ne sont pas alors pensées comme brouillage ou confusion de genres, mais comme travail sur les règles génériques, processus de transformation et d'invention de règles dans un contexte d'évolution.
Inspirée par Michel Foucault, qui postule l'hétérogénéité de contenus et de formes d'une formation discursive tout en objectivant des frontières historiquement construites, la proposition envisage le journalisme en termes de dispersion et non pas en termes d'inférences ou de différences. Dans cette perspective, le journalisme est une pratique discursive qui articule des interactions entre des facteurs hétérogènes mais reliés : acteurs professionnels (journalistes, législateurs, entrepreneurs), publics (destinataires ou non), sources (institutionnelles ou privées). Ainsi, le journalisme met en jeu et produit aussi bien des normes linguistiques et discursives que professionnelles, sociales, culturelles, idéologiques. Si la question de l'origine du journalisme n'est pas pertinente dans ce travail, celle de l'apparition de formes journalistiques et de leur transformation est centrale. Les terrains d'observation choisis éclairent les marges selon deux axes : 1) l'étude des pratiques discursives des journalistes professionnels articulées sur d'autres univers de discours (paroles de femmes et journalisme de la presse féminine) ou articulées sur d'autres contextes socio-culturels et politiques (le journalisme sur l'île de la Réunion et un espace public en formation ; journalisme et pratiques de communication de la société civile au Brésil ; le concept de communication publique au Québec) ; 2) l'étude de l'émergence de pratiques aux marges du journalisme professionnel qui se développent aujourd'hui dans la presse écrite par la multiplication des journaux gratuits ou des magazines de marque et dans les publications en ligne de nouveaux opérateurs (les collectivités locales et territoriales), ou de nouveaux acteurs espérant y développer une information libérée de toute contrainte (« webzine » et « weblog »).
Chacune de ces études montre comment les interactions entre les sources, les journalistes (légitimes ou non), les publics, produisent des normes de genres spécifiques à leurs champs d'action et contribuent à la diversité du journalisme. On repère d'ores et déjà l'émergence d'un genre auto-journalistique par l'intégration des instances rédacteurs/source/public (weblogs), l'émergence d'un nouveau public pour l'information générale (gratuits), l'émergence d'un journalisme d'enseigne (magazine Épok), la radicalisation de positions hybrides (« public-source » et « expert-journaliste ») dans les magazines féminins.
Roselyne Ringoot
Le témoignage photographique
Le témoignage photographique était le thème de la journée d'étude organisée par le Pôle Images-Sons et Recherches en Sciences Humaines (Maryline Crivello) et par le Pôle Villes (Samuel Bordreuil), le 16 décembre 2003, à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme (MMSH, Aix-en-Provence).
Le premier exposé était consacré à l'album photographique du dispensaire La Mouche-Gerland (1929-1936). Stéphanie Samson puis Vincent Lemire ont raconté une belle histoire scientifique : celle de la genèse de Baraques [2], ouvrage couronnant une recherche menée par de jeunes historiens de l'ENS LHS depuis 1998. Soucieux de mener une opération de « sauvetage de la mémoire » du quartier de Gerland, dans la banlieue lyonnaise, ceux-ci ont d'abord réalisé un documentaire consacré à une usine avant sa destruction (Attaches, 2001). L'album photographique du dispensaire catholique a complété leurs informations sur ce quartier où vivaient, dans la misère, des ouvriers français, italiens et espagnols de l'entre-deux-guerres. Le corpus a fait l'objet d'un travail d'historien qui a abouti à une double production : une exposition et Baraques, conservant aux photographies leur statut de documents et non pas d'illustrations. L'intervention de Laurence Américi, auteur d'un article sur l'histoire du dispensaire, a été l'occasion de découvrir la version multimédia de son texte, prochainement accessible sur le Web dans le cadre de l'expérience du Recueil électronique [3] du Pôle Images-Sons (MMSH). Cette communication à trois voix a donc démontré de manière incontestable la richesse du thème médias-histoire, ainsi que la complémentarité des différents supports de communication – écrit, oral, photographique, filmique et multimédia – pour rendre compte du travail scientifique.
L'exposé suivant concernait un corpus de photographies données aux Archives de Marseille, en 1996, par la Société des excursionnistes marseillais. Mêlant plaques de verre, albums, tirages d'originaux et cartes postales, cet ensemble de 17 000 photographies, présenté par Marie-Noà « lle Perrin, attachée de conservation aux Archives de Marseille, témoigne de l'activité de l'association fondée en 1897. Son succès fut croissant et plusieurs de ses membres s'adonnèrent à la photographie amateur. L'étude de Marie-Françoise Attard-Maraninchi, historienne, s'est principalement portée sur les origines de la société de 1897 à 1914. Elle indique, grâce à plusieurs sources – photographies, cartes postales, bulletins annuels de la société, histoire orale –, que la société proposait l'excursion comme un antidote à la civilisation urbaine. Par ailleurs, cette collection transmet, comme témoin de son temps, une partie de l'histoire sociale de Marseille.
L'après-midi, animée par Jean-Marie Guillon, s'est déroulée autour du travail de Jacques Windenberger, qui se définit lui-même comme un « journaliste-reporter-photographe ». Depuis près de cinquante ans, ses photographies témoignent de la vie quotidienne – habitat, travail, loisirs – de la seconde moitié du xxe siècle. La projection de clichés de Sarcelles, premier « grand ensemble » périurbain en France, ainsi que de Marseille et de Porto Alegre, a cette fois permis de questionner la photographie du côté de sa production. Suscitant de vives réactions, cette intervention a soulevé des questions cruciales pour la recherche : nécessité de replacer l'image dans son contexte de création, ou encore difficulté de dénoncer le sort des populations défavorisées sans faire de misérabilisme.
Cette journée interdisciplinaire, féconde, tant du point de vue des contenus que de la méthodologie, a ainsi permis de saisir la diversité de la source photographique.
Mayalen Zubillaga
Atelier doctoral de la SPHM
La deuxième édition de l'atelier doctoral, qui a eu lieu le 24 janvier 2004 à l'Institut d'Études Politiques de Paris, a, une fois encore, confirmé le dynamisme et la diversité des recherches en cours sur les médias. Sept doctorants se sont ainsi succédé en suscitant à chaque fois, auprès du public, intérêt et questionnement.
Dans la problématique des représentations évoquée lors de la matinée, Isabelle Flahaut-Domergue (Univ. Paris I), en travaillant sur la France libre en images, a tout d'abord montré la nécessité d'étudier précisément les conditions de production des images fixes ou animées. Analyser leurs fonctions pour les Français libres ou présenter la mise en scène des thèmes et des événements ne saurait se comprendre sans l'identification des multiples producteurs, l'organisation des structures concernées ainsi que l'évolution de leurs relations.
Plus contemporain, Denis Guthleben (Univ. Paris I) a tenté, quant à lui, de réconcilier histoire des relations internationales et histoire des médias en étudiant l'image des États-Unis à la télévision française depuis 1995. Mais c'est surtout une histoire de l'antiaméricanisme télévisuel qu'il se propose de démonter à travers une sélection de thèmes (comme la peine de mort) permettant d'analyser la fascination/répulsion à l'égard du géant américain, perçu dans le discours journalistique français.
Scylla Morel (Univ. Versailles-St-Quentin), en observant les représentations des « tabous » dans le dessin de presse depuis les années 1960, a posé la difficile question du rôle du dessinateur de presse dans l'évolution des sujets sensibles auxquels est confrontée une société à une période donnée. L'image et l'humour aident-ils plus efficacement que les mots à briser les silences ? L'usage des stéréotypes n'encourage-t-il pas au contraire au dérobement face à l'enjeu d'un débat ? Ces questions seront abordées à travers une approche comparatiste puisque dessins de presse français et britanniques composeront le corpus de cette thèse.
La seconde demi-journée abordait la question du circuit de l'information. Rhoda Desbordes (Univ. Paris III) a ainsi présenté les grands axes d'une thèse bien avancée sur les agences internationales d'information en Amérique du Sud (1874-1919). Il apparaît que, face à la concurrence, le rôle de l'agence Havas a été prépondérant dans l'implantation et le développement du réseau d'information. La stratégie et le pragmatisme des dirigeants londoniens, soucieux de détenir un monopole, et la mise en place progressive de bureaux et de correspondants ont contribué à révéler un continent à part entière aux yeux des Européens et des Américains.
À travers l'analyse des formes du journal parlé de France Inter au temps de l'ORTF (1964-1974), Béatrice Donzelle (Univ. Versailles/St-Quentin) a, pour sa part, clairement dressé les évolutions d'un discours journalistique et ses nécessaires adaptations. Adaptation, d'une part, à la concurrence des radios périphériques puis de la télévision par l'adoption d'un ton plus rythmé et l'offre d'une information plus fréquente et plus proche des auditeurs. Adaptation, beaucoup moins contraignante d'autre part, aux changements politiques : dès 1968, la rédaction renouvelée de France Inter ne cache plus son soutien aux gouvernements successifs en entretenant un discours journalistique flou et déséquilibré, aux dépens de l'opposition.
Par une enquête de terrain au sein même des rédactions, le sociologue Nicolas Hubé (IEP Strasbourg/FU Berlin) a observé les logiques nationales de production de l'actualité et la mise en place, dans la presse allemande, d'une routine du travail journalistique dans un contexte de guerre, en l'occurrence le conflit irakien du printemps 2003. L'étude des mécanismes organisationnels démontre l'inévitable prépondérance prise par l'événement dans la hiérarchie de l'information mais également son rapide essoufflement au bout de trois semaines. Comment renouveler une information limitée entre la routine du terrain et l'incertitude des avancées diplomatiques ? Comment, pour une rédaction, résoudre la difficile préservation d'une tradition journalistique, celle du culte du « fait passé et vérifié » et la soumission aux impératifs de bouclage serré d'un quotidien ? L'exercice rappelle que la question du lectorat reste un enjeu fondamental et qu'une crise internationale peut parfois aider à combattre une crise de la presse.
C'est à l'étude du lectorat que s'est d'ailleurs attachée Marie-Christine Lipani (Univ. Paris III) en témoignant de la difficulté, pour le chercheur, de mener une étude sur la réception. À travers l'enquête orale (1 036 questionnaires et plus de 30 entretiens de recherche) sont étudiés ici les comportements des jeunes face à la presse et, plus précisément, l'impact qu'a sur eux l'émergence de la presse gratuite. Le renouvellement du lectorat est un enjeu majeur pour les quotidiens payants. Aussi mesure-t-on l'intérêt d'étudier des habitudes de lecture en formation chez cette catégorie de public que l'on cherche à séduire mais qui, manifestement, se détourne des titres traditionnels en lui préférant un gratuit aux articles courts, rythmés, illustrés et apolitisés. Pour autant, ces jeunes qui ont conscience d'avoir entre les mains un journal qui n'est pas un outil d'analyse affirment chercher d'autres vecteurs pour satisfaire une curiosité plus grande. Les besoins du lectorat ici dessinés peuvent-ils augurer favorablement de l'avenir des payants ?
Claire Sécail-Traques
[1] Damian B, Ringoot R., Ruellan D., Thierry D. (dir), Inform@tion.local. Le paysage médiatique à l'heure électronique, L'Harmattan, 2001.
[2] Lemire Vincent, Samson Stéphanie (dir.), Baraques. L'album du Dispensaire La Mouche-Gerland 1929-1936, ENS Éditions (Lyon) / Éditions Le Temps qu'il fait (Cognac), 2003.
[3] http://www.mmsh.univ-aix.fr/recueil