03 - Public, cher inconnu !
Colloques et journées d’étude
Le Temps des médias n°3, printemps 2004, p.213-222.
L'Humanité, une centenaire fragilisée
Les 1er et 2 avril 2004 s'est tenu à la Bibliothèque Nationale un colloque co-organisé par Christian Delporte, Claude Pennetier, Jean-François Sirinelli et Serge Wolikov, appuyé sur quatre laboratoires de recherche, associant historiens, sociologues et politologues pour évoquer « L'Humanité de Jaurès à nos jours ». Les communicants ont exploré maintes facettes d'un quotidien dont les archives viennent d'être déposées aux archives départementales de Seine-Saint-Denis [1].
L'époque de Jaurès contient déjà en germe les contradictions auxquelles L'Humanité va se heurter pendant un siècle : préserver un espace d'autonomie tout en étant financée, inspirée et contrôlée par un parti (M. Rebérioux) ; fonctionner avec des structures capitalistes tout en prônant l'idéologie marxiste (P. Albert) ; adopter quelques recettes de la presse bourgeoise, publier par exemple des faits-divers passionnels à la Une, alors qu'on se veut conscience politique de la classe ouvrière (A.-C. Ambroise-Rendu). Le passage du socialisme au communisme en 1921 n'efface pas immédiatement les survivances jauressistes, même si c'est désormais la conception léniniste d'un journal « organisateur collectif » qui l'emporte (A. Courban).
Les contributions traitant de l'entre-deux-guerres évoquent d'abord quelques acteurs-clés du quotidien. Marcel Cachin, directeur-éditorialiste dès 1918, souhaite un journal certes militant, mais ouvert aussi aux informations générales, y compris sportives (S. Wolikow). Il ne voit ses conceptions triompher qu'en 1926-28 et sous le Front populaire, c'est-à -dire quand Paul Vaillant-Couturier est rédacteur en chef (A. Burger-Roussenac). Aragon, entré à L'Humanité en 1933, y perd vite son style ironique et distancié (Y. Lavoinne). Le journal se trouve au creux de la vague en 1929, Tardieu tentant alors de profiter de ses difficultés financières pour l'interdire (J.Y. Mollier). La première union de la gauche provoque en revanche un essor de sa diffusion et de son rayonnement, comme le montrent les films militants contemporains du Front populaire (T. Perron). L'Humanité développe alors plusieurs satellites. Ses almanachs (1926-1992), tout en visant un lectorat élargi auquel sont proposées des informations pratiques ou récréatives, présentent les chefs communistes comme des demi-dieux, et cherchent à forger une communauté émotionnelle (Y. Dilas). Née en 1937, La Terre exalte parfois l'exploitation rurale familiale, alors que L'Humanité condamne la privatisation des moyens de production (J. Vigreux). La Vie ouvrière, organe de la CGTU, après avoir édité un contenu presque identique aux pages syndicales de L'Humanité, gagne à partir de 1933 en autonomie rédactionnelle (S. Boulouque). Le Canard enchaîné, quant à lui, passe de l'entraide et de la confiance, avec transfert occasionnel de rédacteurs et dessinateurs, à la méfiance à partir de 1947, puis à l'indifférence condescendante, ces vingt dernières années (L. Martin).
L'Humanité, ce sont aussi des silences, par exemple ceux que l'on repère dans sa version clandestine éditée pendant la Seconde Guerre mondiale, où l'on ne lit presque rien à propos des actes terroristes commis contre les personnes, pas plus que sur le rôle croissant des États-Unis, ou enfin sur les persécutions antisémites (Y. Santamaria).
L'après-guerre démarre en fanfare : 425 000 exemplaires vendus en 1945, d'où d'importantes provisions, précieuses pour résorber les déficits qui s'installent après 1947. En 1955 la diffusion est descendue à 125 000 : les lecteurs ont fui un journal trop austère. Mais, double ballon d'oxygène, en 1956 L'Humanité reçoit une grosse indemnité d'éviction, et par ailleurs voit l'URSS et les partis-frères souscrire abonnements et contrats publicitaires (P. Eveno). Toutefois la baisse des ventes n'est pas enrayée quand Gorbatchev stoppe l'aide soviétique, et malgré une nouvelle maquette (E. Saitta) couplée avec la rupture des liens avec le PC puis l'ouverture de l'actionnariat (1999-2001), la diffusion n'atteint que 48 000 en 2003. Ce déclin s'opère malgré la volonté ponctuelle de répondre aux attentes d'une fraction de la population, par exemple celles du contingent envoyé en Algérie, lequel bénéficie d'une rubrique particulière « le coin du soldat » (L. Bantigny), en dépit aussi de l'engagement des militants diffuseurs, figures-pivot de l'identité communiste (P. Boulland). Certes, la répression frappe fréquemment L'Humanité entre 1949 et 1962 (saisies, poursuites), mais le journal sait l'instrumentaliser (F. Genevée). En fait, confrontée à la dépolitisation d'une partie du lectorat pendant les Trente Glorieuses ou à ses réticences envers certains aspects du contenu,
L'Humanité vit, face à la direction du PC ou de l'URSS, dans la peur permanente de la déviation (P. Buton). Le quotidien s'isole en pratiquant un journalisme de dénonciation tous azimuts à l'égard de la classe politique (J. Garrigues) et adopte un ton très violent contre ses adversaires, en particulier de 1950 à 1958 quand André Stil est rédacteur en chef (G. Bonnet), y compris dans ses dessins stigmatisant les Américains pendant la Guerre froide (C. Beuvain). En revanche, dans les années 1970, la Détente occupe peu de place dans ses colonnes, et les tensions à l'intérieur du bloc soviétique sont occultées (L. Rucker). Une telle politique éditoriale surprend, irrite ou décourage une partie des lecteurs, lesquels passent parfois de la lecture rituelle et spéculaire, à l'indifférence voire au refus de lecture à la fin des années 1960 (B. Fleury-Vilatte, J. Walter).
Au total une trentaine de communications passionnantes, et… quelques légères frustrations. Ainsi l'approche comparative avec des quotidiens communistes étrangers n'a été qu'effleurée à propos de L'Unità vers 1950 (M. Lazar). Surtout, paradoxe pour un colloque concernant un journal d'opinion, si la gestion et le fonctionnement du journal ont été largement analysés, le contenu de L'Humanité a davantage été abordé dans des aspects intéressants mais un peu marginaux, telle la page littéraire (M.C. Bouju) ou les faits-divers, que dans sa substance strictement politique, en particulier celle qui relève du registre non de la dénonciation, mais de la révérence (vis-à -vis du PC, de la classe ouvrière, de l'URSS…). À cette réserve près, justifiée partiellement par la volonté des organisateurs d'emprunter résolument des pistes nouvelles, le bilan scientifique s'avère riche. Il est possible désormais d'établir sur la longue durée une chronologie fine concernant les relations entre L'Humanité et le parti socialiste puis communiste, avec lesquels le journal ne s'identifie pas toujours. La vie économique du quotidien est d'autre part mieux connue, une approche quantitative commençant à être possible avec l'ouverture de ses archives. La dialectique du lectorat et de l'offre est apparue également comme un champ de recherche fécond : L'Humanité doit se vendre, d'où la présence de registres d'écriture variés, accompagnés d'âpres débats internes. Un travail prosopographique, susceptible d'éclairer certains choix éditoriaux, est d'autre part amorcé concernant les journalistes : itinéraires individuels, phénomènes de génération, ascension éventuelle dans le parti.
Diffusion de L’Humanité, de la Libération à nos jours - Graphique établi par Patrick Eveno pour sa communication au colloque
Claude Cabanes, ancien rédacteur en chef de 1984 à 2001, a récemment déclaré : « Il y a, par nature, une contradiction à être le journal d'un parti. Le parti, c'est la quête du pouvoir, tandis qu'un journal doit produire non pas « une » vérité, mais « de la » vérité ». Aujourd'hui L'Humanité essaie de conquérir une identité détachée du PC, et donc renoue avec ses origines : une nouvelle fois le détour par le passé aide donc à mieux comprendre le présent.
Cécile-Anne Sibout
Les archives des entreprises de presse
Archives départementales de la Seine-Saint-Denis, 16 mars 2004
Parce que les archives des journaux sont pauvres ; parce que les journalistes ont été parmi les premiers utilisateurs du téléphone, du fax ou des e-mails, l'historien de la presse doit être inventif et multiplier les sources d'archives. Inventifs, les historiens témoignant au cours de cette journée l'ont été dans le choix de l'angle d'attaque de leur sujet (comme l'histoire de l'entreprise Le Monde pour Patrick Eveno). Ils l'ont été aussi pour trouver des fonds « connexes » : Alexandre Courban a étudié L'Humanité grâce aux archives du PCF.
Sur L'Humanité toujours, Christian Beuvain a centré sa thèse sur les dessins de presse anti-américains. Même si, dans le cadre de la fabrication du journal, le dessin n'est pas toujours conservé, ce chercheur a pu retrouver un grand nombre de documents portant parfois des indications au dos, sur l'auteur ou le contexte de production. Cette journée d'étude, organisée autour du dépôt des papiers de L'Humanité aux archives départementales de Seine-Saint-Denis, a aussi révélé l'importance du fonds de photographies. 17 000 boîtes de photos et 58 000 planches de négatifs ont été repérées. Ces clichés sont issus du travail des photographes de L'Humanité (catégorie numériquement la mieux représentée du fait de la présence de reportages entiers) et des achats du journal en agence. Ils renferment une part importante de la mémoire visuelle du mouvement ouvrier français. Ces documents, qui se dégradent, posent d'importants problèmes de stockage.
La seconde partie de la journée a été consacrée à l'histoire de la presse militante. On peut en effet penser que les archives des cercles dirigeants des partis peuvent être utilisées pour ces recherches. Il faut dire que les milieux des journalistes et des dirigeants sont bien souvent perméables. Roland Leroy est revenu sur la distance variable qui a pu exister, au cours du temps, entre la rédaction de L'Humanité et le Comité central du PCF. Il faut dire que, pour ce journal, les contacts pouvaient exister à tous les échelons : les militants devenir journalistes, les journalistes se révéler d'âpres militants.
La perception qu'ont ces journalistes de la nature et de l'utilisation des archives reste, enfin, la clef. Lucien San Biagio, responsable de la documentation de L'Humanité, a souligné, par exemple, leur vision utilitariste de la documentation. Ils vivent dans l'action et dans l'éphémère. Les historiens devront donc continuer à être inventifs : les archives publiques ne leur offrent que des ressources limitées. Les journalistes ne sont, par exemple, pas repérés en tant que tels dans les archives nationales. Si les séries AP, AR et AS offrent des ressources certaines, les contenus des dossiers sont souvent aléatoires. Le recueil des archives des journaux et journalistes en exercice reste donc une priorité essentielle, et l'imagination toujours nécessaire pour trouver les sources de l'histoire de la presse.
Claire Blandin
Questionner l'internationalisation. Cultures, acteurs, organisations, machines
Le 14e congrès de la Société française des Sciences de l'information et de la communication, les 2, 3 et 4 juin 2004 à Béziers, centré sur les processus d'internationalisation de la communication, a majoritairement retenu les interventions apportant des éléments de réflexion sur les réseaux. Internet s'est donc naturellement imposé quasiment dans les seize ateliers proposés, qu'il s'agisse de la citoyenneté (la Toile apparaissant comme vecteur de contestation et de communication alternative), des problèmes posés par l'interculturalité, de ceux liés aux processus d'acculturation – phénomènes de métissage voire d'« hybridation culturelle » –, de l'accès aux connaissances. Une attention toute particulière a été portée aux formes de l'information qu'induisent les « nouvelles machines à communiquer » : a été évoquée, lors d'une table ronde, la mise en place au niveau de la production, de normes et de standards indispensables à la normalisation des processus de communication (interopérabilité).
Les nouveaux médias sont encore, du point de vue de l'analyse sémiotique des « objets » d'étude en construction, non figés. Et les contenus diffusés sur les supports électroniques demandent à être analysés au même titre que les pratiques inédites qu'ils génèrent, les transformations des conditions de travail des professionnels de l'information, ainsi que les discours idéologiques qui les accompagnent. L'entreprise, la collectivité territoriale et la vie associative s'en trouvent inexorablement affectées. La volonté de standardiser les contenus, d'homogénéiser les formations suscitent des interrogations : que serait une mondialisation de la formation alors même que la mondialisation économique ne réduit pas les inégalités ? La logique de la compétitivité ne va-t-elle pas inéluctablement entraîner une marchandisation du savoir ?
Le rapport au savoir, ses modalités de circulation et de diffusion via les autoroutes de l'information, l'articulation entre le local et le global, la singularité et le collectif préoccupent actuellement un nombre important de chercheurs. Sur ce dernier point, les universités virtuelles paraissent répondre à une demande croissante tant de la part des acteurs politiques et institutionnels que des apprenants.
Des questionnements surgissent concernant l'exportation des produits culturels et esthétiques. Le concept d'« œuvre ouverte », les frontières spatiales d'un message, souvent impensés par les SIC, révèlent les mécanismes de résistance identitaires et culturels étayés par le socle mortaisé de la croyance et des pratiques religieuses. Les enjeux sont fondamentaux si l'on pense aux préoccupations actuelles onusiennes concernant l'universalisme, la constitution d'une polis européenne qui se définirait non par antagonismes mais par agrégation, alors que l'interpénétration des communautés et les possibilités exponentielles d'interactions complexifient les règles d'une société globale. L'analyse discursive des instances gouvernementales européennes démontre une volonté transversale d'une définition de la citoyenneté européenne et d'une homogénéisation des mentalités visant à terme les conduites.
L'internationalisation, si elle apparaît comme une « donnée de fait », n'en demeure pas moins au cœur de débats dont universitaires et professionnels n'ont pas hésité à souligner les écueils, les dangers et les promesses. Mêlant perspectives historiques, recherches théoriques, travaux empiriques, approches comparatistes, pluralisme méthodologique, les interventions du colloque ont offert un regard croisé sur la notion d'internationalisation. La mondialisation a aussi été évoquée, celle dont Kant avait jeté les bases théoriques, formulée pour la première fois de manière explicite dans L'idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique.
Laurence Corroy et Emmanuelle Serres-Palson
Le livre et la presse de jeunesse dans une dimension internationale : quelles pistes de recherches ?
La dimension comparatiste était au centre de cette première journée d'étude organisée par le Centre d'histoire culturelle de l'Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines (à la Médiathèque de Charleville-Mézières, le 15 mai 2004). Seule la communication de Thierry Crépin (« L'adaptation des bandes dessinées américaines et italiennes en France, des années 1930 aux années 1950 ») portait sur la presse, mais elle permet de mentionner l'ensemble des problèmes soulevés pour le secteur de l'édition.
C'est en octobre 1934 que le Journal de Mickey est publié pour la première fois en France. Aux États-Unis, ce genre de bandes dessinées n'est pas spécifiquement destiné aux enfants. En Italie, certaines sont également conçues pour les adultes. Les auteurs se permettent donc des audaces inconnues dans la presse française, et les éditeurs français s'interrogent sur les images que les éducateurs peuvent laisser passer. Les questions morales sont prises en compte bien avant la Libération et la loi de 1949. L'interdit le plus fort porte sur l'image du corps de la femme. Toutes les représentations de tendresse entre les personnages sont aussi bannies. Dans les années 1950, les « Filles de la jungle », très appréciées aux États-Unis, se retrouvent habillées dans l'édition italienne. On achète les droits d'un personnage mais en le transformant ensuite pour qu'il entre dans les normes acceptables. Les problèmes des traducteurs, évoqués par François Mathieu, ne sont pas loin de ces interrogations. Mais les mutilations viennent aussi des contraintes politiques : L'As, bande dessinée d'aventure, justifiait dans sa version originale l'intervention de l'armée italienne dans la guerre d'Espagne ; tous les dialogues sont modifiés pour publication en France. Ces problèmes moraux et politiques posés par les adaptations avaient déjà été mentionnés par Luc Pinhas, travaillant sur l'édition de la littérature de jeunesse en Afrique noire francophone.
Pour revenir à la bande dessinée étudiée par Thierry Crépin, notons que les problèmes matériels, à l'époque, sont avant tout de format : les illustrés français sont deux fois plus petits que les suppléments dominicaux américains. Les images sont altérées et les éditeurs ont moins de place pour le texte. Comme l'anglais est une langue brève et riche en nuances, l'éditeur français doit soit dessiner des bulles plus grandes et cacher une partie du dessin, ou simplifier le discours d'origine. La disposition originale des vignettes n'est souvent pas respectée et certaines d'entre elles sont supprimées.
Des projets de centre de littérature de jeunesse en Belgique francophone à la conservation des fonds d'éditeur, en passant par la difficulté de l'adaptation de ces textes, la journée a ouvert un vaste panorama des questionnements autour des littératures de jeunesse. Dans la suite des travaux de ce groupe, en particulier lors du colloque organisé à Arras en décembre 2004, la presse sera au centre des interrogations.
Claire Blandin
Les Figures du témoin
Les quatrièmes journées d'études de l'École doctorale ASSIC (Arts du spectacle, théâtre, cinéma et audiovisuel), qui se sont déroulées les 14 et 15 mai dernier à l'Université Paris III, portaient cette année sur les « figures du témoin ». Les interventions des doctorants en information-communication ont été très nombreuses et ont permis de mieux cerner le rôle des journalistes et des médias comme témoins du temps présent. Certaines communications, en s'attachant à décrire une figure de témoin en particulier, comme celle de Rhoda Desbordes sur Frédéric Remington, témoin de l'idéologie de la « destinée manifeste » aux États-Unis, celle de Luc Lagarde sur le photographe Gilles Caron, témoin de la guerre du Vietnam, ou encore celle de Wafa Ghermani qui évoqua Régis Bergeron, passeur en France du cinéma chinois, ont mis à jour l'importance du regard du témoin amené à construire une réalité qu'il va ensuite tenter de transmettre. Ce regard a également été appréhendé par les tableaux ou la photographie. Paola Pacifici au travers du thème de La leçon d'anatomie, récurrent dans la peinture de la Renaissance, a illustré l'une des fonctions du témoin et Paola Checcoli, avec la photographie, a souligné l'importance de l'allégorie servant à représenter quelque chose et permettant, en même temps, d'introduire un écart avec cette réalité : celui de l'art.
Les témoins professionnels que sont les journalistes ont été interrogés par des communications comme celle de Patricia Tirmont qui a rappelé la figure du fait-diversier comme témoin de son époque au tournant du xixe – xxe siècle. Analysant les situations dans les années 1990-2000, Carmen Ionescu a, pour sa part, décrit le travail des journalistes de l'agence de monitoring Rador, en Roumanie, signalant qu'ils étaient des témoins plus ou moins neutres de l'actualité, tout comme les agenciers de l'AFP dont le rôle discutable dans la gestion de la guerre civile en Sierra Léone a été souligné par Ibrahim Seaga Shaw. Sirin Dilli, qui a travaillé sur les médias communautaires, a également accentué ces aspects de construction d'une réalité particulière à chaque témoin, réalité dépendant des origines du journaliste : l'analyse d'un corpus provenant de Radio France Internationale, à propos de la couverture de la capture de Saddam Hussein en décembre 2003, étayait son propos.
L'espace médiatique et son fonctionnement ont ensuite été revisités par certains intervenants qui ont choisi de montrer que cet univers met en scène de nouveaux types de témoins. Pour la presse, Marie-Christine Lipani a montré que les témoins proliféraient dans les articles, tandis que pour Dominique Simonnet, les journalistes choisissent certains témoins en fonction de ce qu'ils veulent évoquer et non plus comme des figures neutres. En ce qui concerne la télévision, Laurent Michel a expliqué comment la télé-réalité choisit de donner une place écrasante au témoin qui n'est plus un expert. Ces nouveaux types de témoins visibles dans les émissions de talk-shows ont d'ailleurs été analysés par Nicolas Desquinabo qui a proposé la typologie suivante : il existerait à la télévision des témoins polémiques, des témoins de médiation ou des témoins intimes. Nicolas Becqueret, qui travaille sur la radio, est parvenu aux mêmes conclusions, expliquant que ces témoins doivent, de plus en plus, s'ancrer dans le quotidien et abandonner le débat pour la mise en scène de leur ego. Face à une réalité contestable véhiculée par les médias (Lucas Dufour a ainsi montré que les médias ne présentent qu'une partie de l'actualité et ne sont ainsi que des témoins partiels de cette actualité), Aurélie Aubert a souligné que des téléspectateurs tentaient parfois de se substituer aux journalistes en témoignant d'événements dont ils ont été les spectateurs.
Les nouvelles technologies, avec la création d'un site internet novateur, évoqué par sa conceptrice Carol-Ann Braun, permettant aux internautes de s'exprimer et de créer un univers ludique et créatif, peuvent proposer des pistes de réflexions sur une figure de témoin revisitée par la modernité. Laurent Gago s'est, pour sa part, intéressé aux sites internet personnels où l'on découvre en ligne des journaux intimes des internautes.
Emmanuelle Serres-Palson a, de son côté, expliqué comment l'institution muséale replaçait au centre de ces préoccupations les visiteurs de ses expositions pour proposer des contenus d'exposition améliorés. Au terme des journées d'études, la figure du témoin s'est trouvée éclatée en plusieurs facettes, tantôt antagonistes, tantôt complémentaires. Au centre des communications, la notion de vérité, de véracité s'est trouvée discutée, voire malmenée. Le langage, les langues, le discours, la parole furent, à leur tour, interrogés : la langue serait un instrument qui peut se tordre, se réinterpréter et donner lieu alors à des témoignages divers. Pour finir, presque une curiosité : ce sont le droit et le journalisme dit d'enquête pour qui la place centrale des faits (et du récit) serait la mieux assurée.
Ces communications (34 au total) étaient organisées autour de quatre pôles : les figures du témoin à travers l'histoire ; le témoin de la modernité éclatée ; témoins professionnels et témoins mis en scène ; sources, témoins et faux-semblants de la vérité. Les actes de ces journées d'études sont disponibles à l'Université Paris III Sorbonne Nouvelle, ainsi que les actes des précédentes journées d'études : Les Figures du messager en 2001 et de L'Acteur en 2002. (contact : michael.palmer@univ-paris3.fr).
Aurélie Aubert
[1] La publication des Actes de ce colloque est prévue pour l'automne 2004 chez Nouveau monde Éditions.