Ouvrages de référence
RENAULT Jean-Michel, Censure et caricatures, Paris, Pat à pan, 2006.
Depuis l’Affaire des caricatures de Mahomet et ses conséquences en terme de censure et d’autocensure, on peut légitimement se demander si Anastasie, la vieille concierge aux ongles crochus et à l’immense paire de ciseaux croquée par André Gill au XIXe siècle, n’est pas de retour. Jean-Michel Renault, profondément outré par la résurgence de l’obscurantisme en matière de pensée et d’image, relève un challenge impressionnant : constituer une sorte de catalogue des images (surtout satiriques) ayant subi les affres de la censure depuis… l’Ancien Testament ! Des morceaux de draps couvrant les nudités du Jugement dernier de Michel Ange aux caricatures publiées par le Jyllands-Posten puis France-soir et Charlie-Hebdo en passant par la bande dessinée, J.M. Renault stigmatise, les « pressions de tous les intégrismes religieux » et la « dictature du bien pensant ».
Ce livre, militant, s’offre comme un album d’illustrations éclairées par de fortes légendes. Tout au long de l’ouvrage, comme un fil d’Ariane, une chronologie rappelle les principales lois de censure et de restriction en matière de liberté de publication. On y découvre aussi les procès, les amendes et les peines de prison assénées aux patrons de presse ou aux caricaturistes. La chronologie signale la naissance de tel ou tel dessinateur, de telle ou telle revue aujourd’hui oubliée.
Les pouvoirs se sont toujours méfiés du potentiel subversif des images, et notamment de la plus puissante d’entre elle jusqu’à l’invention de l’image animée : la caricature. Il était judicieux de rappeler ce lourd passif, qui ne cesse pas avec la loi de 1881 sur la presse, votée après des années de travail de commissions et de vifs débats parlementaires. L’iconographie de Censure et caricature apparaît comme très riche et ne manquant pas de diversité. Bien des légendes apportent non seulement des informations sur les conditions de production et de diffusion des images, mais aussi des clefs de lecture pour en comprendre le contenu. Toutefois, l’ensemble souffre néanmoins de quelques erreurs. En outre, contrairement à ce qu’indique le sous-titre, l’ouvrage porte plus sur l’imagerie française que mondiale…
Embrasser plusieurs siècle de l’histoire de l’image n’est évidemment pas aisé. Nous retiendrons l’immense apport de l’ouvrage : réunir en un seul volume l’iconographie qui a le plus heurté les pouvoirs, quelle que soit sa tendance : républicaine sous Louis Philippe, le Second Empire et l’Ordre Moral, ou encore royaliste, antisémite, socialiste, anarchiste et communiste ensuite. Car c’est principalement la caricature politique qui subit les coups de ciseaux administratifs, même si les images portant atteinte « aux bonnes mÅ“urs » ne sont pas épargnées, comme la bande dessinée au XXe siècle.
On retiendra de ces pages que tous les camps recourent à la virulence de la charge pour atteindre leurs adversaires et que presque tous les gouvernements, toutes les religions, tous les pouvoirs s’exercent à en limiter la portée sous les prétextes les plus divers. La pratique sociale de l’image qui se développe au XIXe siècle grâce aux progrès immenses en matière d’impression n’échappe pas aux dirigeants politiques. Ce constat donne naissance, au XXe siècle, à une propagande d’Etat particulièrement efficace.
A l’heure où les Eglises réclament une limitation du droit à brocarder les religions, ce livre jette un cri d’alarme en exhumant la mémoire de ces dessinateurs, qui, quels que soient leur sensibilité, ont chèrement payé la liberté de leur crayon. Si la liberté d’expression n’est jamais définitive, l’ouvrage rappelle également que l’autocensure ou les pressions les plus diverses jouent aussi pleinement leur rôle castrateur. Aujourd’hui les moyens de communication sont concentrés dans les mains d’un nombre restreint de groupes financiers dont la puissance égale ou dépasse parfois celle des Etats. Anastasie a changé de méthode : elle se fait moins voyante, plus sournoise, mais non moins efficace. Et quand ça ne suffit pas, l’obscurantisme se manifeste violemment contre la liberté d’expression. Une violence insupportable !
Recension de Guillaume Doizy
Caricaturesetcaricature.com
http://www.caricaturesetcaricature.com/article-5460296.html
En savoir plus : http://www.jeanmichelrenault.fr/biblio/censure-et-caricatures